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c’est, en années de smic net, l’équivalent de la plus-value touchée par
Muriel Pénicaud sur la revente de ses stock-options.
Révélation. Muriel
Pénicaud a réalisé en 2013 une plus-value de 1,13 million d’euros sur
ses stock-options en tant que dirigeante de Danone, profitant de la
flambée en Bourse qui a suivi l’annonce de 900 suppressions d’emplois du
groupe en Europe.
Plus
d’un million d’euros de plus-values boursières par un simple jeu
d’écritures : c’est la somme gagnée en une journée par Muriel Pénicaud
comme directrice générale des ressources humaines (DGRH) chez Danone, le
30 avril 2013. Et cela alors que le groupe s’apprêtait à supprimer
900 emplois de cadres, dont 230 en France. L’information fait tache sur
le CV de la ministre du Travail, au moment où celle-ci défend mordicus
au Sénat l’idée que faciliter les licenciements sera in fine bénéfique à
l’emploi et donc aux salariés.
Selon les comptes officiels de Danone pour l’année 2013
que l’Humanité a consultés, Muriel Pénicaud a en effet perçu un gros
paquet de stock-options pour ses états de service au comité exécutif du
groupe alimentaire. Enregistrée par l’Autorité des marchés financiers à
la date du 30 avril 2013, la transaction porte sur un lot de
55 120 actions acquises à une valeur de 34,85 euros l’unité, bien en
dessous du cours de l’action ce jour-là, et revendues aussitôt pour
l’essentiel (52 220 actions) à 58,41 euros l’unité, au cours du marché.
Soit 1 920 932 euros à l’achat, et 3 049 966,54 euros à la revente.
Bilan de l’opération : une plus-value immédiate de 1 129 034,54 euros,
non comptées les 2 900 stock-options restant alors en sa possession.
La cagnotte boursière de 1,13 million d’euros de Muriel
Pénicaud n’est pas tombée du ciel. Pour réaliser un tel bénéfice de près
de 60 % sur sa mise de départ, la ministre a profité de la remontée de
l’action qui a suivi l’annonce d’un plan de restructuration du groupe,
faisant grimper le cours dans les semaines qui ont précédé la
transaction. Dans le cadre d’« économies de fonctionnement » de 200
millions d’euros décidées en 2012, la direction de Danone a, en effet,
annoncé, le 19 février 2013, la « suppression d’environ 900 postes
managériaux et administratifs répartis dans 26 pays européens ».
Le titre Danone s’envole à 55-60 euros en avril-mai
Un choix immédiatement salué par les marchés financiers
par un bond du titre, comme l’a relevé toute la presse à l’époque. « La
Bourse achète ce discours : l’action prenait presque 5 % mardi matin (19
février 2013 – NDLR) en début de séance », soulignait ainsi le Figaro.
« À court terme, des destructions d’emplois peuvent remonter le cours de
l’action et vont donc bénéficier au capital, contre la production et la
valeur ajoutée », confirme l’économiste spécialiste des entreprises qui
siège au Conseil économique, social et environnemental (Cese), Frédéric
Boccara, membre des Économistes atterrés et de la direction du PCF.
À partir de cette date, le cours de l’action marque en
effet une césure nette : d’une cotation située au-dessous de 52 euros
l’action avant l’annonce du plan de destruction d’emplois, le titre
Danone s’envole à 55-60 euros en avril-mai, accélérant plus vite que la
moyenne du CAC 40, pour ne plus redescendre avant octobre 2013. Tout bon
pour Muriel Pénicaud, qui fait valoir ses stock-options pile à
l’expiration du délai de garde de quatre ans exigé par Danone pour en
bénéficier.
Quand il procède à cette restructuration, le groupe est
pourtant loin d’être au bord de la faillite. Danone vient au contraire
de battre le record de son chiffre d’affaires, passant pour la première
fois en 2012 le cap des 20 milliards d’euros dans le monde, en hausse de
8 % en un an. Et les perspectives pour 2013 sont bonnes, avec une
nouvelle progression escomptée d’au moins 5 %. Mais, pour le PDG du
leader mondial des produits laitiers et numéro deux des eaux en
bouteilles, Franck Riboud, la marge avant impôts de Danone, déjà très
élevée à 14,18 %, soit près de 3 milliards d’euros, est encore
insuffisante. L’Europe montre des signes de fléchissement, avec une
baisse des ventes de 3 % et une marge de « seulement » 15,66 %,
supérieure aux autres continents, mais en recul par rapport à 2011
(17,37 %). Cela, le PDG de Danone, qui vient de proposer un dividende en
hausse de 4,3 % à ses actionnaires, ne le supporte pas : « C’est une
équation qui n’est pas pérenne, et une situation que nous allons
surmonter », grâce à « une adaptation de nos organisations » visant à
« redonner de la compétitivité et de l’efficacité en Europe »,
déclare-t-il. L’idée d’un plan de suppression d’emplois est lancée, à la
grande joie de la Bourse… et du porte-monnaie de la future ministre du
Travail.
D’autant que celle-ci n’a pas seulement fait une affaire à
la revente. Le prix d’achat de ses actions s’est aussi avéré
ultrarentable : à 34,85 euros l’unité, elle en a fait l’acquisition au
cours proche du plancher de ces dix dernières années. Le mécanisme des
stock-options est ainsi fait que le prix d’acquisition est fixé lors de
l’attribution des actions plusieurs années avant que son bénéficiaire ne
les achète réellement : on parle d’« option d’achat ». Quand vient le
moment pour le haut dirigeant de « lever l’option », c’est-à-dire de
débourser l’argent pour les acquérir, il le fait au prix fixé à
l’avance. Pour Muriel Pénicaud, cela s’est très bien agencé : ses
stock-options, et le prix qui leur était attaché, lui ont en effet été
attribuées le 23 avril 2009, juste après l’effondrement des valeurs
boursières du CAC 40 à la suite du krach de 2008-2009. Entre le 8
janvier 2008 et le 19 mars 2009, l’action Danone a perdu ainsi près de
la moitié de sa valeur, passant de 63,71 euros à 33,67 euros. À quelques
mois près, la ministre, qui siégeait au comité exécutif du groupe en
tant que DGRH depuis mars 2008, aurait peut-être dû mettre ses
stock-options à la poubelle !
C’est en effet l’autre avantage de ce mode de rémunération
prisé des PDG, à l’instar de ceux de Danone ou de Renault : comme il
s’agit d’une « option d’achat », le dirigeant ne court aucun risque,
puisqu’il peut tout simplement renoncer à acheter s’il constate que
l’action a perdu de sa valeur. Ici, rien de tel : si la terrible crise
économique a fait des perdants, elle a aussi fait des gagnants et Muriel
Pénicaud en fait partie. La chance lui a souri d’ailleurs jusqu’au
bout, puisqu’elle est l’une des dernières dirigeantes de Danone à avoir
bénéficié de stock-options avant que l’entreprise ne renonce à ce type
de rémunération en 2010, au profit d’attributions d’actions liées à la
performance.
Contacté à plusieurs reprises par l’Humanité, le cabinet
de la ministre du Travail n’a pas souhaité donner suite à nos demandes
de réactions de sa part. Quant à Danone, l’entreprise s’est contentée de
confirmer nos informations sur les stock-options dont a bénéficié son
ex-DGRH, sans dévoiler d’autres éléments de rémunération.
« Muriel Pénicaud n’a rien à voir avec le monde du travail »
Reste que cela écorne sérieusement le portrait de la
ministre, dépeinte dans la presse comme une DRH attentive à la
démocratie sociale et au facteur humain. « C’est quelqu’un qui se
prétend salarié mais qui se situe objectivement du côté des intérêts du
capital, et qui s’est trouvé à ce titre directement intéressé aux
destructions d’emplois, estime l’économiste Frédéric Boccara. Elle a
peut-être une fibre sociale quand elle va à confesse, mais elle n’a rien
à voir avec le monde du travail, celui des salariés, mais aussi celui
des artisans et même des petits patrons. » Lors de sa nomination, la
fédération CGT de l’agroalimentaire avait d’ailleurs dénoncé les « bons
et loyaux services » de l’ex-DGRH qui a « estampillé » le plan social de
2013 déguisé en « départs volontaires », selon le syndicat, une
« véritable Bérézina pour les salariés ».
Muriel Pénicaud, qui a cumulé les rémunérations de Danone
avec celles perçues au conseil d’administration d’Orange (58 000 euros
de jetons de présence perçus en 2013 pour l’exercice 2012) et a occupé
les fonctions de directrice générale adjointe de Dassault-systèmes et
d’administratrice de la SNCF, ne s’est d’ailleurs pas appliquée à
elle-même la recommandation d’un rapport qu’elle a cosigné en 2010, et
qui préconisait de prendre en compte la « performance sociale » dans la
rémunération variable des dirigeants d’entreprise, plutôt que la seule
« performance économique ». En l’occurrence, concernant les
stock-options, l’indexation sur le seul cours de la Bourse.
Un amendement propose d’interdire toute suppression d’emploi boursière
Mais le plus embarrassant est sans doute la réponse faite
le 12 juillet en présence de la ministre par le rapporteur de la loi
travail bis, le député macroniste Laurent Pietraszewski, à un amendement
de Sébastien Jumel (PCF). Ce dernier proposait d’interdire « toute
suppression d’emploi (…) lorsque l’entreprise a distribué des dividendes
ou des stock-options ou des actions gratuites ». Soit exactement ce qui
s’est passé chez Danone en 2013. « Nous sommes tous au clair là-dessus,
lui a répondu le rapporteur en motivant le refus de l’amendement. Nul
ne souhaite en effet qu’une entreprise qui réalise un bénéfice ou
distribue des dividendes à ses actionnaires puisse en même temps
licencier en toute impunité des salariés pour des raisons d’opportunité
financière. » Et la ministre d’ajouter dans l’Hémicycle : « Même avis »…
Des fermetures d’usines très profitables aux actionnaires
Après le plan de restructuration de 2013, le groupe a annoncé en juin
2014 la fermeture pour la mi-2015 de ses usines de Casale Cremasco en
Italie, de Hagenow en Allemagne et de Budapest en Hongrie, entraînant la
suppression de 325 postes. La faute à une « baisse significative des
ventes » en Europe qui a entraîné des « situations de surcapacité
locale » de production, a expliqué la direction. En revanche, dans le
même temps, la profitabilité de la branche Europe de Danone s’est
spectaculairement redressée, passée de 14,42 % de taux de marge avant
impôt en 2013 à 17,26 % en 2015, tirant vers le haut toute l a
rentabilité du groupe au niveau mondial. Les dividendes servis aux
actionnaires ont suivi le même chemin, passant de 1,45 euro par action
pour l’exercice 2013 à 1,60 euro en 2015 (+ 10,3 %).
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