Prétendant faire une nouvelle « guerre à la drogue », le ministre de l’intérieur n’a aucune solution autre que d’amplifier la répression. Une politique en échec depuis des décennies, qui ne fait qu’ajouter de la violence à la violence.
Depuis une semaine, plusieurs jeunes sont morts sous des coups de couteaux, fusillades et balles perdues à Rennes, Poitiers, Valence, Marseille… Parmi les victimes : un enfant de cinq ans, de jeunes mineurs ou de très jeunes adultes. Toutes ces morts ne sont pas rattachées au trafic de drogue mais le narcotrafic est souvent en cause.
Comme dans un rituel établi, l’occupant de la place Beauvau se déplace et fait part aux journalistes de sa détermination. Avant lui, Darmanin et Macron lançaient les opération « places nettes », « XXL ». Selon un rapport sénatorial, « 473 opérations ‘places nettes’ ont été menées entre septembre 2023 et avril 2024 avec des résultats pour le moins limités » : 40 kilos de cocaïne saisis pour 50 000 gendarmes et policiers mobilisés, assurent les sénateurs.
Retailleau le sait bien, il vient du Sénat. Alors il lui faut frapper les esprits en cognant toujours plus fort. Il use de vieilles ficelles. Il invente des mots qui claquent : « narcoracailles ». Il assomme de peur son auditoire en parlant de rixe engageant des centaines d’habitants à Poitiers – très vite démenti par sa propre administration. Il lâche la menace ultime : « Soit il y a une mobilisation générale, soit il y a la mexicanisation du pays »1. Jordan Bardella court derrière et parle de « barbarie quotidienne ». S’imaginant chef du gouvernement ou de la majorité, Retailleau déborde le champ de son ministère et assure que « l’état actuel du droit ne permet pas de lutter » contre ces phénomènes d’hyperviolence et de narcotrafic et propose donc « un réarmement législatif ». Une nouvelle foire aux bonnes idées est ouverte : entendu 5/5 par le député macroniste, Karl Olive reprend des idées chères à Ségolène Royal puis Manuel Valls, et préconise de « déployer l’armée dans les quartiers sensibles ».
La grande criminalité compte parmi les forces économiques des plus puissantes au monde et peut déstabiliser des sociétés et des États. Cela va donc au-delà des seules politiques répressives. Cela dépasse les médiocre simulacres qui préparent les lois et les esprits au fascisme.
Il y a lieu d’être stupéfaits et inquiets par ces morts qui traduisent une montée de la violence et du narcotrafic. Mais pas de faire comme si le sujet émergeait et n’était pas documenté, traité par différentes instances dont le Sénat et le Conseil économique social et environnemental. Toutes les études convergent pour pointer l’échec de la politique de prohibition conduite en France depuis 50 ans. La France est le pays européen le plus consommateur de drogue avec cinq millions de fumeurs réguliers de cannabis dont un million toutes les semaines. Une part très significative de la jeunesse en consomme au mépris des effets dangereux sur un cerveau toujours en cours de maturation.
Autre constat inquiétant : la dangerosité croissante des drogues et notamment pour la plus répandue, le cannabis, une envolée du taux de THC, le principe actif, qui a doublé en vingt ans. Les drogues de synthèse se répandent et se banalisent. La diffusion de la drogue est facilitée par « l’ubérisation du trafic », sa décentralisation et ses échelles toujours plus fines. Les territoires ultramarins sont particulièrement impactés.
Pourtant, près d’un milliard est consacré à la lutte contre la drogue par l’État.
Mais pour reprendre l’expression des sénateurs : « On vide la mer avec une petite cuillère ». Des propositions et des revendications sont sur la table. Comme celle de la création d’un parquet spécialisé qui serait formé et outillé pour faire face à un crime qui se joue à une échelle internationale (notamment européenne) et qui mobilise des technologies de plus en plus sophistiquées d’acheminement, de diffusion, de blanchiment, etc. La question de la prison est également posée, avec la continuation du crime depuis les cellules.
Le débat sur la dépénalisation du cannabis est assurément nécessaire : il permettrait notamment un meilleur contrôle de substances, une politique de prévention et libérerait des forces et des moyens pour des résultats plus tangibles.
Car oui, la lutte contre la grande criminalité est un enjeu majeur. Elle compte parmi les forces économiques des plus puissantes au monde et peut déstabiliser des sociétés et des États. Cela va donc au-delà des seules politiques répressives. Cela dépasse les médiocre simulacres qui préparent les lois et les esprits au fascisme.
La criminalité organisée se reconstitue quand bien même on met ses soldats en prisons. Elle est plus qu’un marché. Elle est une économie auquel seul un tissu social robuste peut résister. La crainte d’une corruption qui se développe est des plus sérieuses. Plus encore : comment faire face à une puissance qui promet des gains faciles à une jeunesse qui n’a guère de perspective, qui se fait mépriser et qui a pour seul mirage Dubaï ?
- Au Mexique, le narcotrafic fait 30 000 morts par an. Au dernières élections de juin 2024, 35 candidats ont été assassiné, près de 500 blessés. Comparaison n’est pas raison. ↩︎
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