L’ordre international néolibéral fondé par les États-Unis et leur hégémonie unique à la fin de la guerre froide est aujourd’hui en crise.
De nouvelles aspirations émergent, notamment de pays considérés il y a quelques décennies comme faisant partie de la « périphérie » du capitalisme, que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de « sud global », qui portent des revendications propres : celles de remettre en cause l’hégémonie unique du dollar et des institutions de Bretton Woods et celles d’envisager les relations internationales sous l’angle du multilatéralisme.
Il s’agit d’une évolution majeure des rapports de force internationaux, sur les bases d’une mondialisation capitaliste de plus en plus fragmentée et d’un impérialisme américain de plus en plus contesté. Nul besoin d’y rechercher la constitution d’un nouveau « bloc ». Ce serait rester dépendant de schémas anciens. Il ne s’agit pas nécessairement d’un état d’esprit et d’un comportement politique anti-occidental, ou encore « non aligné ». Mais la question, qui est la plus intéressante pour les communistes, est l’exigence de relations internationales qui ne s’inscrivent pas dans une logique de blocs, qui remettent en cause les mécanismes financiers de la domination des États-Unis et qui construisent un multilatéralisme nouveau. C’est là la principale nouveauté.
Ces exigences, portées par des gouvernements et des États qui ont leurs intérêts propres, pas nécessairement convergents, génèrent par conséquent des contradictions, qu’il faut analyser. Ces gouvernements peuvent mener, à une échelle régionale voire interrégionale, une politique de puissance pour trouver leur place dans la recomposition armée des rapports de force.
Les BRICS sont l’un des cadres où s’expriment ces aspirations et où s’exercent ces contradictions. Leur sommet annuel est devenu un rendez-vous international de première importance, comme l’a démontré cette année la présence du secrétaire général de l’ONU.
En prenant en compte les neuf membres, leur poids économique global est aujourd’hui supérieur à celui du G7. Il représente 33,7 % du PIB mondial (en comparaison, en 1992, les futurs BRICS n’en représentait que 15 %, ce qui illustre la rapidité des recompositions internationales).
Le G7, souffrant des résultats des politiques d’austérité et de la désindustrialisation du centre historique du capitalisme (il n’est plus aujourd’hui l’unique centre), est passé au cours de la même période de 46 % à 29 %. Mais des contradictions émergent : la dynamique chinoise ralentit d’une manière importante alors que d’autres pôles de croissance se confirment.
- Le 16e sommet annuel des chefs d’État et de gouvernement s’est réuni à Kazan (Russie) du 22 au 24 octobre dernier. La presse occidentale a souvent essayé d’en minimiser les résultats. Pourtant, trois décisions importantes ont été prises.
La création d’un statut de « partenaires » des BRICS attribué à treize pays dont la Turquie, des pays d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Thailande, Malaisie…), et d’Afrique (Algérie, Nigeria, Ouganda). Cela permet aux cinq membres fondateurs de garder une certaine prééminence et à des pays qui sont intéressés tout en gardant une approche prudente, à l’image du Vietnam, de trouver les cadres d’une coopération souple1. L’approche à la fois intéressée et prudente du Vietnam mérite d’être méditée. - La mise en place d’un système de règlement et de compensation du commerce, tant dans un commerce intra-BRICS que dans le cadre du commerce entre BRICS et pays « partenaires », garanti par la Nouvelle Banque de développement, qui demeure à ce jour la seule institution commune au groupe. Ce système dit « BRICS clear », a pour ambition d’offrir une alternative au système SWIFT. C’est une avancée vers un système financier d’échange international commun.
- Le lancement d’un système d’assurance et la réassurance pour les transactions commerciales, sans passer par conséquent par les assurances occidentales.
Ces décisions sont un pas supplémentaire dans la dédollarisation des échanges internationaux.
Enfin, les BRICS offrent un cadre pour aplanir les tensions bilatérales qu’un certain nombre de pays membres nourrissent entre eux. En marge du sommet de Kazan, la Chine et l’Inde sont parvenues à un accord partiel au sujet de leur frontière commune longue de 4000 km : il porte sur la répartition des zones de patrouille. Depuis 4 ans, les relations entre les deux pays étaient au plus bas suite à un échange de tirs entre soldats indiens et chinois qui avait fait une vingtaine de morts en 2020. S’il ne s’agit pas d’un accord global sur une frontière qui reste disputée, il permet un retour à la situation antérieure à 2020 et pourrait appeler des discussions futures. D’une manière moins relayée médiatiquement, on pourrait citer le partenariat stratégique global conclu entre l’Inde et la Malaisie.
Il faut noter des divergences et des méfiances. Peu d’États sont prêts à s’engager dans une guerre de civilisation contre « l’Occident collectif » que promeut le régime de Vladimir Poutine. Au contraire, l’Inde, la Chine et le Brésil ne souhaitent pas une démarche ultra-sécuritaire et cherchent à prendre des initiatives pour une solution négociée en Ukraine. Le poids commercial et financier de la Chine ne va pas non plus sans susciter des interrogations au sein du groupe.
Les BRICS méritent donc intérêt et une analyse poussée, tant de la dynamique qu’ils révèlent que de leurs contradictions. La manière dont ces dernières pourront être dépassées dans la période future indiquera quelles seront les prochaines étapes de leur développement.
1. À l’heure actuelle, les neuf pays membres sont : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie. Les treize partenaires sont : la Turquie, l'Indonésie, l'Algérie, le Brésil, Cuba, la Bolivie, la Malaisie, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Thaïlande, le Vietnam, le Nigeria et l'Ouganda.
Article publié dans CommunisteS, numéro 1017 du 6 novembre 2024
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