jeudi 3 novembre 2011

"L'exhibition du lynchage de Kadhafi révèle une régression de nos sociétés vers la barbarie"

par Jean-Claude Paye, sociologue 
Les images capturées du lynchage de Kadhafi occupent l'espace médiatique et tournent en boucles. Intrusives, elles apparaissent en temps réel dans notre vie quotidienne. Elles nous capturent. Elles nous en disent beaucoup, non sur le conflit lui-même, mais sur l'état de nos sociétés, ainsi que sur le futur programmé de la Libye : une guerre permanente.
Ces images ont la fonction d'un sacrifice, celui d'un bouc émissaire. Elles nous introduisent dans la violence mimétique, c'est-à-dire dans un cycle pulsionnel, de la répétition de la mise à mort du mal personnifié. Il s'opère ainsi un retour en arrière dans l'histoire humaine, nous ramenant à un stade où le sacrifice humain occupait une place centrale, donnée ensuite à la loi. Ici, l'exigence de jouissance supplante le politique, la pulsion remplace la raison. L'exemple le plus significatif nous est donné par l'interview d'Hillary Clinton qui accueille ces images comme une offrante. Hilare, elle exalte sa toute puissance et fait partager sa jubilation suite au lynchage : "Nous sommes venus, nous avons vu, il [Kadhafi] est mort !", a t-elle déclaré au micro de la chaîne de télévision CBS.
La violence infligée au chef d'Etat libyen est aussi, pour les autres dirigeants occidentaux, un moment propice pour exprimer leur satisfaction et jouir de la réussite de leur initiative. "On ne va pas non plus verser des larmes sur Kadhafi", a déclaré Alain Juppé. Les médias nous confirment que "les dictateurs finissent toujours comme cela". Le lynchage devient la preuve même que le supplicié était un dictateur. La violence du meurtre, perpétré par les "libérateurs", nous montre qu'il s'agit bien d'une vengeance. Elle atteste ainsi que ses auteurs sont bien des victimes.
Les prises de position de nos dirigeants politiques, suite à la diffusion de ces images, nous confirment que l'élimination de Kadhafi est bien l'objectif de cette guerre et non la protection de populations. La tribune du 15 avril, de Barak Obama, Nicolas Sarkozy et de David Cameron, publiée conjointement par The Times, The International Herald Tribune, Al-Hayat et Le Figaro, nous avait pourtant communiqué qu'"il ne s'agit pas d'évincer Kadhafi par la force. Mais il est impossible d'imaginer que la Libye ait un avenir avec Kadhafi". Ainsi, sa violence consisterait essentiellement dans le fait qu'il n'ait pas abandonné le pouvoir, alors qu'il était inconcevable qu'il reste.
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