À
l’occasion d’un discours devant les mutuelles françaises, le chef de
l’État est revenu plus largement sur les contours de la société dont il
rêve pour le pays. Pourfendant les « statuts », il propose, au nom de la
« mobilité », une protection moindre, dans un marché de dupes.
La
publication par les communicants du président d’une vidéo où Emmanuel
Macron affirme qu’on « met un pognon de dingue dans les minima sociaux
et les gens ne s’en sortent pas », en prélude à son discours devant la
mutualité française, n’est pas un accident. Depuis plusieurs semaines
déjà, la petite musique d’une vaste refonte des aides sociales est jouée
au gouvernement. Gabriel Attal, porte-parole du parti LREM, a beau dire
qu’il n’y aurait « pas de diminution des aides individuelles qui sont
perçues aujourd’hui par les Français », dans une interview au JDD, la
ministre de la Santé affirmait le contraire. Le gouvernement, assure
Agnès Buzyn, ne fera pas d’économies « sur le dos des pauvres », mais
sans s’interdire de « réinterroger » un dispositif d’aides sociales
« s’il ne produit pas les résultats attendus ». « Il faut prévenir la
pauvreté et responsabiliser les gens pour qu’ils sortent de la pauvreté.
Et sur la santé, c’est pareil », affirme le président. En termes plus
directs, « lui qui d’un côté n’a pas hésité à augmenter le point de CSG,
y compris pour les retraités, à réduire le montant de l’aide
personnalisée au logement, à affaiblir tous les bailleurs sociaux et à
supprimer les emplois aidés… n’a en revanche pas lésiné à redistribuer
vers les plus riches en supprimant l’ISF ou créant la flat tax », a
commenté l’ex-ministre socialiste Martine Aubry.
Devant le congrès de la Mutualité française, Emmanuel
Macron a redit son credo, de vouloir « mieux responsabiliser tous les
acteurs », à commencer donc par les pauvres eux-mêmes, qui sont un peu
responsables de leur sort, selon la pensée classique à droite. À
plusieurs reprises, le chef de l’État hier a redit vouloir en finir avec
« une société de statuts ». Son discours, qui réhabilite le fantasme de
pesanteurs françaises, opère en fait un curieux retournement : ce qui
était protecteur, le statut, serait désormais un frein. En réalité,
Emmanuel Macron passe ainsi d’une logique de protection collective
qu’apporte le statut, qui doit ici être vu au sens large d’un ensemble
de droits ouverts, à une logique de l’individu. Où au passage chacun
perd la protection antérieure qu’apportait le statut. La « disruption »
chez Macron, comme le soulignait récemment Bernard Stiegler, est d’abord
une manière de tétaniser, une stratégie « pour prendre de vitesse ses
compétiteurs et ses régulateurs ». Macron est le premier à reconnaître
qu’il n’y aura pas de « grand tournant social », mais ne dit pas que,
pour « rendre les droits effectifs », il faudra en rogner, alors que les
minima sociaux que perçoivent un peu plus de 10 % de la population sont
déjà sous le seuil de pauvreté.
Les cheminots sont les premiers à en faire les frais
Pour l’heure, dans la mise à bas de cette « société de
statuts » qui prépare l’extension du travail précaire, les cheminots en
font les premiers les frais. D’autres pourraient venir : rencontrant des
journalistes récemment, un proche du président reprenait la formule de
« société de statuts » pour résumer la première année du quinquennat,
expliquant que son enterrement avait déjà commencé quand « travail et
mérite se retrouvent dans toute une série de réformes ».
Dans Challenges en 2016, Emmanuel Macron se faisait clair,
« la solution est que l’État protège non les statuts ni les rentes de
manière diffuse, mais les individus de manière transparente : c’est vers
cela qu’il faut aller ». Que comprendre, sinon que l’État ne devrait
assurer qu’une protection minimale, en échange de garantir une
hypothétique mobilité sociale ? En 2016, Macron affirmait déjà « notre
société n’est pas la plus inégalitaire, mais elle est l’une des plus
immobiles ». « Ce sont, ajoute-t-il, des morceaux de la société qui se
sont organisés pour défendre leurs intérêts (…). Des professions ont
créé des barrières à l’accès des plus jeunes. »
C’était avant d’être élu, avant même d’annoncer la réforme
de la SNCF, dont l’un des volets est d’en finir avec le statut des
cheminots, pour les futurs embauchés. Or, jamais n’est expliqué en quoi
le statut des actuels cheminots est un frein à la mobilité sociale. La
réponse est simple : il n’y a pas de rapport. Ce n’est pas le statut des
cheminots qui empêche les jeunes des quartiers populaires ou ceux qui
ont basculé dans la précarité de s’inventer un avenir.
Le « plan pauvreté », promis pour le mois prochain, à
peine esquissé hier par le chef de l’État, qui en est resté aux grands
principes, participe de la même logique. Objectif, selon l’Élysée,
« davantage d’investissement social que de lutte monétaire contre la
pauvreté, fondée sur la redistribution d’allocations ».
Le paradoxe est que, « protégés par leur statut, leur
activité ou leur diplôme, les classes aisées ferment les yeux sur
l’armée des flexibles qui font tourner l’économie en décalé et exercent
les tâches les plus ingrates, à la maison comme dans l’entreprise »,
écrit Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités (lire
également l’entretien ci-contre). Le futur président avouait encore en
2016 être « contre l’égalitarisme, qui est une promesse intenable ».
S’il n’y a plus de redistribution, alors il est aisé « de passer à une
société de la mobilité et de la reconnaissance, où chacun occupe une
place différente ». La mobilité devient un paravent pour ouvrir la voie à
la déréglementation.
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