L’exécutif
a donné le coup d’envoi, jeudi, à la réforme qui doit être présentée à
la mi-2019, et selon laquelle « chaque euro cotisé doit donner les mêmes
droits » à pension pour tous. Derrière se profile un régime par points
qui prépare l’éclatement du système solidaire. Décryptage.
Emmanuel
Macron en avait fait un de ses slogans de campagne pour l’élection
présidentielle : « Un euro cotisé (doit) donne (r) les mêmes droits » à
la retraite pour chacun. La formule, séduisante car elle renvoie à une
apparence d’égalité parfaite, a été explicitée par Jean-Paul Delevoye à
l’occasion du lancement, hier, d’une « consultation citoyenne » sur la
future réforme des retraites, qui doit être présentée à la mi-2019. Le
haut-commissaire nommé pour préparer ce chantier confirme qu’il s’agit
bien de passer à un « système par points ». « L’objectif est qu’à
carrière identique, revenu identique, la retraite soit identique »,
a-t-il déclaré dans un entretien publié dans le Parisien-Aujourd’hui en
France. L’égalité, à revenus et carrières comparables, donc. Mais comme,
dans la vie, les carrières et les salaires ne sont pas les mêmes pour
tous – et encore moins pour toutes –, les capacités contributives de
chacun, dans ce nouveau système « à la carte », seront très différentes
d’un individu à l’autre. « Dire que pour un euro, on aura la même valeur
de retraite, c’est passer outre le fait que certain-es gagnent beaucoup
d’euros et d’autres beaucoup moins », a fait ainsi valoir le syndicat
Solidaires. Quant à la CGT, elle a réagi hier en estimant que « les
problématiques et les questions posées (dans la consultation – NDLR)
sont orientées et les réponses attendues téléphonées », et en dénonçant
une volonté de « casser notre système de retraite par répartition et
solidaire » et de « poursuivre la baisse des pensions ».
1 Un principe faussement juste et inégalitaire
De fait, dans le système à points, quand certains
gagneront à peine de quoi cotiser à un taux minimal, d’autres pourront y
consacrer une large part de leurs revenus. En clair, plus on est aisé,
plus on pourra partir plus tôt à la retraite et avec une meilleure
pension. Ce nouveau système va donc en réalité reproduire, voire
amplifier, les inégalités au détriment des salaires les plus faibles et
des parcours professionnels les plus chaotiques. Les femmes, les
ouvriers, les chômeurs, les malades en seront les premières victimes.
« L’argument d’un euro cotisé donne les mêmes droits et va à l’envers du
principe qui veut que la retraite compense un peu les inégalités de
salaires et de carrière, relève Henri Sterdyniak, membre des Économistes
atterrés. Dans le système actuel, quand vous ne cotisez pas parce que
vous êtes malade ou au chômage, vous avez quand mêmes des droits. » Prévenant
les critiques, Jean-Paul Delevoye le promet : « Cette réforme
maintiendra et consolidera les solidarités qui seront les piliers du
nouveau système. » La majoration pour enfants, la prise en compte des
périodes d’invalidité et de chômage, les minima contributifs et la
pension de réversion (pension du conjoint décédé versée au conjoint
survivant) seront donc conservés dans le nouveau système, mais ces
correctifs pourraient être financés par l’impôt, c’est-à-dire par la
« solidarité nationale » et non par les cotisations. À l’instar de « la
majoration pour enfants (qui) est une politique de caractère familial »,
prévient Jean-Paul Delevoye : logique, d’une certaine manière, puisque
ces politiques de solidarité contredisent le principe posé des « mêmes
droits pour chaque euro cotisé ». Ce qui réintroduit un peu de justice
dans des carrières fondamentalement inégalitaires pourrait ainsi ne plus
relever de la responsabilité sociale des entreprises, à l’exemple de
certains avantages sociaux « déjà payés par le Fonds de solidarité
vieillesse (FSV), donc en partie par la CSG qui le finance, souligne
Henri Sterdyniak, et par l’excédent de la branche famille », dont les
ressources sont à 40 % fiscalisées (CSG et autres impôts et taxes) en
2018.
2la retraite à 62 ans réservée aux plus aisés ?
Jean-Paul Delevoye abat franchement ses cartes sur un
aspect : « Dans un système à points, la notion de durée (de cotisation
pour partir à la retraite – NDLR) disparaît. C’est votre nombre de
points qui vous permet un arbitrage personnel. » Adieu, les 43 annuités
exigées pour des générations nées à partir de 1973. Désormais, chacun
fera « un arbitrage personnel » en fonction du nombre de points
collectés. Dans les faits, ce choix sera là encore réservé aux plus
aisés, qui auront les moyens de cotiser vite et beaucoup. Les autres
devront arbitrer entre une pension réduite ou la poursuite du travail… à
condition d’être épargnés par le chômage. Conséquence, fixer un âge de
la retraite n’aura plus de sens. « L’âge actuel de 62 ans devrait être
conservé », prétend pourtant Jean-Paul Delevoye. Mais il s’agit surtout
d’un « seuil en dessous duquel (les gens) ne peuvent pas partir pour
éviter que cela pèse » dans les comptes, précise le haut-commissaire.
« C’est injuste pour les travailleurs manuels aux carrières longues et
pénibles qui ne peuvent pas se maintenir au travail jusqu’à 60-62 ans »,
estime Henri Sterdyniak. Pour tous les autres, cet âge légal « ne
garantit aucunement qu’on parte à 62 ans », souligne encore
l’économiste.
3 Un niveau de pension qui ne sera plus garanti
« Dans le système par points, le niveau des retraites
n’est pas garanti par un taux de remplacement (le taux de la pension
calculé par rapport au salaire de référence) comme dans le système
actuel », poursuit Henri Sterdyniak. C’est même tout l’inverse : alors
que le système actuel est dit à « prestations définies », c’est-à-dire
qu’« il garantit un niveau de pension au moment du départ à la
retraite », explique la CGT, le système par points renverse la logique,
puisqu’il s’agit d’« un régime à cotisations définies (qui) garantit un
plafond de cotisation ». Dès lors, ce ne sont plus les actifs qui
supportent les aléas financiers du système grâce au réglage de
paramètres comme l’âge de départ, la durée de cotisation, le salaire de
référence ou encore le taux de cotisation, mais les retraités eux-mêmes,
pour lesquels « le niveau des prestations (...) est imprévisible à long
terme », poursuit le syndicat. En d’autres termes, le niveau de pension
peut baisser en cours de retraite en cas de choc économique ou
démographique. « Dans les systèmes envisagés, on saura ce qu’on paiera
chaque année, mais on ne saura qu’à la fin ce qu’on aura comme
retraite », résume l’union syndicale Solidaires.
4 Un système à deux vitesses avec les fonds de pension
Le système à la suédoise qui fait la part belle à la
capitalisation, « ce n’est pas du tout notre philosophie », jure le
haut-commissaire, qui se prononce pour le « maintien d’un système de
répartition par cotisation couvrant un maximum d’actifs ». En apparence,
l’essentiel est sauf, et les fonds de pension ne sont pas pour demain.
En apparence seulement… Car « la question se pose pour les plus gros
salaires qui excéderaient un certain plafond », concède Jean-Paul
Delevoye. Ceux qui gagnent 120 000 ou 160 000 euros annuels ou davantage
pourraient être éligibles à une « épargne individuelle, éventuellement
en capitalisation ». Même si cela ne concerne que « 200 000 à 300 000
personnes », le problème serait alors que ces très hauts revenus ne
voient plus l’intérêt de cotiser au « système universel » à partir du
moment où ils tireraient l’essentiel de leur retraite des fonds de
pension. « La grande idée, c’est d’attirer les traders de Londres en
fixant un plafond au-delà duquel ils seront exonérés de cotisation. Le
risque est alors que ne s’instaure un système à deux vitesses, avec
l’abaissement progressif de ce plafond, qui permette à de plus en plus
de gens de sortir du régime universel », commente Henri Sterdyniak.
Le medef en renfort de macron, veut « aller vite »
« Il est urgent d’aboutir avant 2019 », expliquait,
fin mars, Claude Tendil, vice-président du Medef. En somme, détaillait
le Monsieur social de l’organisation patronale, il suffit d’ « inciter les assurés à partir plus tard que l’âge légal » en instaurant « une nouvelle décote suffisamment forte ».
De son côté, Jean-Charles Simon, candidat à la succession de Pierre
Gattaz, estime qu’il faut carrément supprimer les cotisations
Agirc/Arrco au-delà de 3 310 euros de salaire brut mensuel. En clair,
exonérer les plus riches de la solidarité et alléger, encore, les
entreprises de cotisations. Une « économie » qu’il chiffre à 25
milliards d’euros. Quant aux favoris, Alexandre Saubot et Geoffroy Roux
de Bézieux, s’ils entendent conserver le système des complémentaires,
ils se laisseraient bien tenter par un financement par fonds de pension.
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