jeudi 28 juin 2018

Privatisation. Ceux qui se partagent le gâteau de l’énergie

L’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie promettait de meilleures offres pour les particuliers. Onze ans après, les consommateurs doutent, les salariés de l’énergie s’alarment de la casse de leur métier et les opérateurs privés se bousculent pour se partager les morceaux d’EDF et d’Engie.
Permettre aux usagers de choisir entre le producteur-fournisseur historique qu’était EDF-GDF et de nouveaux prestataires dits alternatifs : telle était l’ambition affichée en 2007, à l’heure de finaliser l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence. À la clé, la promesse faite aux particuliers de profiter d’offres plus avantageuses. Le fait est, surtout, que le « budget énergie » de ces derniers intéressait plus d’un opérateur. Onze ans après la consécration de la vente à la découpe d’EDF et de GDF, les repreneurs sont légion à se partager les morceaux. Tour d’horizon.

1 Des concurrents, mais combien ?

Côté producteurs, EDF et Engie (ex-GDF-Suez) restent les leaders du gaz et de l’électricité. L’allemand E.ON se place immédiatement en troisième position, entre autres grâce à l’acquisition, en 2008, de la Société nationale d’électricité et de thermique (Snet). À eux trois, ces groupes assurent 95 % de la production énergétique française. Les 5 % restants se disputent le gâteau des énergies renouvelables – Total et le canadien Boralex sur l’éolien, le groupe Neoen sur le solaire ou encore Unite sur l’hydraulique comptent parmi les principaux acteurs. Alors que l’on annonce la mise en vente de 150 barrages hydrauliques français, d’autres sont à l’affût, parmi lesquels l’allemand Vattenfall, l’espagnol Iberdrola, ou encore le norvégien Statkraft.
Mais l’ouverture à la concurrence est surtout visible du côté des fournisseurs, c’est-à-dire des entreprises qui achètent l’énergie en gros afin de la revendre au détail aux particuliers. Elles sont près d’une trentaine à se disputer les faveurs des consommateurs. Là encore, EDF (publique à 84 %) et Engie (privée à 75 %), seules à pouvoir proposer des tarifs réglementés, continue de dominer le secteur. Cela dit, elles-mêmes ont mué en entreprises alternatives, EDF se mêlant désormais de fournir du gaz, Engie de l’électricité.
Leur première concurrente n’est autre que Total. Le pétrolier français aura mis moins de trois ans à se hisser sur le podium, en rachetant le producteur belge Lampiris, en créant sa propre offre d’électricité verte, baptisée Total Spring, puis en mettant la main sur le fournisseur Direct énergie, détenteur de plus de 5 % des parts du marché de l’électricité. Tous les autres fournisseurs en détiennent quant à eux moins de 1 % (moins de 0,4 % en ce qui concerne le gaz).

2 De la rentabilité, mais pour qui ?

Bas tarifs, offres concurrentielles… si certains opérateurs privés parviennent à proposer des prix avantageux, ce n’est pas que leur énergie coûte moins cher que les autres, mais qu’ils profitent d’un cadre construit à la mesure de leurs ambitions. Créé en 2010 dans le cadre de la loi Nome, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique impose ainsi à EDF de revendre à prix réglementés un quart de sa production électrique d’origine nucléaire à ses concurrents, et ce afin de « compenser son avantage compétitif ». Pour le reste, les principaux fournisseurs s’approvisionnent sur les marchés spots européens, lesquels proposent des achats immédiats à prix très volatils. Ils revendiquent également des structures allégées – centre d’appels et présence renforcée sur Internet plutôt que boutiques physiques.
Leurs clients ne sont pas toujours gagnants pour autant. En avril dernier, l’association de consommateurs CLCV assignait ainsi en justice Cdiscount (Casino), Total Spring et Engie pour pratiques commerciales trompeuses. Plus globalement, le prix de l’électricité s’affiche en augmentation constante depuis 2007.

3 De l’énergie verte, mais jusqu’où ?

Objectifs de transition aidant, beaucoup de fournisseurs mettent en avant des offres d’énergie renouvelable. C’est le cas de Direct énergie et de Total Spring, lesquelles proposent des offres 100 % vertes. Reste à les nuancer. Injectée dans le réseau, l’électricité renouvelable se mélange à l’électricité classique, et s’avère donc impossible à tracer.
Au final, l’offre d’électricité verte fonctionne sur un principe d’équivalence, obligeant le fournisseur à garantir qu’une quantité équivalente d’électricité a été produite quelque part en Europe à partir d’un moyen de production d’électricité renouvelable (éolien, hydraulique, etc.). Beaucoup d’entre eux, en outre, n’hésitent pas à manger à tous les râteliers, proposant des offres vertes sous une marque et d’autres plus conventionnelles sous d’autres – c’est le cas de Casino, qui accole son nom à sa filiale Greenyellow, 100 % verte, tout en proposant, bien plus anonymement, une électricité low cost des plus classique via sa filiale Cdiscount. Certaines, enfin, défendent le gaz comme énergie complémentaire aux énergies solaire ou éolienne – Direct énergie a ainsi récemment investi dans deux centrales combiné gaz. Un gaz qui n’en reste pas moins une énergie fossile, avec tout ce que cela induit pour le réchauffement climatique.
Les énergéticiens occupent leurs lieux de travail et battent le pavé
La mobilisation croît et la mayonnaise prend. « J’ai vingt ans de boîte, c’est la première fois que je vois un mouvement ascendant en plein mois de juin, porteur en plus d’un vrai message de fond », assure Cédric Liechti, de la CGT énergie Paris. Depuis avril, la FNME CGT se mobilise. Pour un service public de l’énergie, en soutien aux cheminots, contre la fermeture des derniers points d’accueil au public d’EDF… Ce 26 juin était dédié à l’avenir du gaz en France. Demain, les énergéticiens répondront, dans la rue comme sur leurs lieux de travail, à l’appel interprofessionnel de la CGT, de FO et des organisations de jeunesse.

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