Ruwen Ogien, philosophe et auteur de La Guerre contre les pauvres commence à l’école : sur la morale laïque
a très gentiment accepté de répondre à nos questions pour le site
Questions de classe(s). Nous vous livrons son analyse du projet de
Vincent Peillon de rétablissement de la morale à l’école.
À noter également que Ruwen Ogien était l’invité de l’émission
"Tête-à-tête" sur France culture du 28 avril, pour un entretien vraiment
passionnant à écouter ici.
Questions de classe(s) - Avec La Guerre contre les pauvres commence à l’école : sur la morale laïque (Grasset, 2013, 168 p., 14,50 €)
vous nous proposez un livre « sur » l’actualité qui s’ouvre en montrant
que ce retour prôné par Vincent Peillon est tout sauf original et qu’il
s’inscrit à la fois dans la nostalgie de l’école d’antan et dans le
mouvement de revanche contre « l’esprit 68 » déjà porté par ses
prédécesseurs. La nouveauté serait surtout que Vincent Peillon pourrait
réussir à convertir la gauche au conservatisme scolaire, comme elle
s’est convertie au libéralisme ou à la pensée sécuritaire...
Ruwen Ogien - Ce que la pensée conservatrice a de
plus frappant, c’est sa vision moraliste des urgences politiques. Pour
ceux qui la propagent, le problème principal de nos sociétés n’est pas
l’accroissement considérable des inégalités de richesse et de pouvoir,
le traitement inhumain des immigrés sans papiers, ou les atteintes à la
vie privée par le fichage clandestin et la surveillance illégitime des
communications. Non. Ce qui les préoccupe, c’est l’effondrement d’un
certain ordre moral fondé sur le goût de l’effort, le sens de la
hiérarchie, le respect de la discipline, le contrôle des désirs, la
fidélité aux traditions, l’identification à la communauté nationale, et
la valorisation de la famille « naturelle » et hétérosexuelle.
Logiquement, la priorité, pour les conservateurs, n’est pas d’améliorer
la condition économique des plus défavorisés, ou de mieux protéger les
droits et les libertés de chacun. Elle est de restaurer cet ordre moral.
Le projet de ramener la morale « laïque » à l’école séduit
manifestement beaucoup de monde, à droite comme à gauche. Il repose
cependant sur une idée profondément conservatrice : le problème
principal de l’école ne serait pas qu’elle manque de moyens matériels,
et qu’elle est incapable, aujourd’hui, de compenser les injustices
causées par un système économique et social profondément inégal. Non. Le
problème, c’est l’immoralité des élèves, plus exactement l’immoralité
des élèves des quartiers défavorisés ! Car pourquoi auraient-ils besoin
de cours de morale, s’ils étaient déjà moraux ?
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