Invité
à Bruxelles par la Commission d’enquête parlementaire sur les Panama
Papers, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz en appelle à une
transformation radicale du système fiscal international qui dans son
état actuel, sape, selon lui, les fondements mêmes de la société
mondiale.
C’est
peut-être parce qu’il a le même âge que Mick Jagger et qu’il en partage
la célébrité, qu’on l’affuble souvent du surnom de rock star de
l’économie. Sans doute aussi parce que, comme le chanteur de
Satisfaction, le prix Nobel d’économie n’hésite pas à hausser la voix
lorsqu’il s’agit de dénoncer les travers de l’ordre économique mondial.
Il en a pourtant été à plusieurs reprises l’un des acteurs au plus haut
niveau: entre autres, comme membre de l’administration Clinton, ou comme
vice-président du FMI, ce qui ne l’empêchera pas de critiquer vivement
cette institution.
En tous cas, le monde entier se l’arrache dès qu’il s’agit de
donner un avis sur une question économique, et les députés européens
n’ont pas résisté, eux non plus, à l’envie d’inviter le boss, pour
l’entendre donner son avis sur le scandale des Panama Papers, et au
delà, sur les moyens de lutter contre ce fléau mondial qu’est l’évasion
fiscale et le blanchiment d’argent.
Un fléau qui pour Joseph Stiglitz, n’est d’ailleurs pas uniquement
économique, mais dont les effets pernicieux s’étendent à l’ensemble de
la société - « car le blanchiment encourage la corruption », dit-il - et
pas seulement au Panama, mais au niveau mondial.
« 80% de ce que révèlent les Panamas Papers ne se déroule pas au
Panama, » explique le Prix Nobel pour qui, si les documents qui ont
fuité sont bien « une mine d’or », ils ne constituent pourtant qu’une
minuscule partie du gigantesque iceberg de l’évasion fiscale.
D’abord parce qu’il y a des centaines d’autres sociétés au Panama
du même type que Mossack Fonseca ( le cabinet d’avocats par qui le
scandale est arrivé ), mais aussi parce que, malgré les 214 000 sociétés
offshore qu’elle abrite, c’est une des moins importantes du pays.
Quand on sait que sur la base des informations contenues dans les
seuls Panama Papers, la France vient de lancer 560 contrôles fiscaux, on
se met à rêver aux sommes cachées qu’il serait possible de débusquer si
l’on avait accès aux coffres de toutes les sociétés qui se livrent au
même business partout dans le monde.
« L’évasion fiscale, le blanchiment d’argent sapent les bases de la
société mondiale, c’est le côté obscur de la mondialisation », explique
Joseph Stiglitz, qui exhorte à s’attaquer de front à ce problème, sinon
« la confiance des citoyens sera définitivement sapée.»
Comment ?
L’économiste propose plusieurs pistes.
La première, c’est d’avoir une approche globale du secret fiscal,
car si ce secret perdure dans un seul endroit, on ne pourra pas
efficacement lutter contre. « Il faut une approche planétaire et une
tolérance 0 », assure Joseph Stiglitz.
Trop complexe ? Trop difficile ?
« Quand on s’est attaqué au terrorisme, certains disaient la même
chose, et pourtant on y est arrivé », répond-il, reconnaissant qu’en ce
qui concerne le blanchiment, pour l’instant, « on a choisi de ne pas le
faire. » C’est pour lui l’unique raison qui fait que l’évasion fiscale
dure toujours et qu’elle se porte si bien.
Pourquoi ?
« Parce que ne sont pas seulement des sociétés offshore », qui se
livrent au sport mondial de l’évasion fiscale, explique Joseph Stiglitz,
« ce sont aussi les sociétés « onshore », aux Etats-Unis et en Europe.
C’est pourquoi, selon lui, c’est aujourd’hui d’abord aux Etats-Unis
et à l’Europe de prendre la tête du combat mondial contre le
blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. L’administration américaine a
commencé à le faire, explique-t-il, notamment en renforçant la
surveillance des banques, mais ce n’est pas suffisant.
L'un des principaux objectifs, selon Joseph Stiglitz, doit être la
création d'un registre public répertoriant les véritables propriétaires
et bénéficiaires des sociétés de boîtes aux lettres, ce qui empêcherait
les entreprises et les particuliers de soustraire leurs richesses à la
surveillance des autorités fiscales et du public.
« Beaucoup de multinationales ont des centaines de filiales,
explique-t-il. Pour quoi faire ? Quand on tombe sur des enchevêtrements
de ce type, il y a un soupçon très net que c’est parce qu’elles veulent
éviter de payer les impôts, » ajoutant : « qui est derrière ces
centaines de d’entreprises ? Quel en est le propriétaire ? Qui les a
crées ? Pour quoi faire ? Il faut que les états créent un registre
public de ces entreprises, ça n’existe nulle part. »
Joseph Stiglitz en appelle aussi à la fin de la concurrence fiscale
entre les états. Pour lui, cette concurrence est destructrice et
engendre des coûts sociaux énormes. Il tacle au passage l’Irlande pour
avoir annoncé une augmentation de 26% de ses richesses tout en ayant un
taux d’impôts pratiquement nul. Selon lui, une telle croissance est
impossible, elle ne correspond à aucune activité économique réelle. Le
soupçon pèse donc que ces ressources proviennent de l’évasion fiscale,
sans rapporter d’impôts. « Mais c’est une fausse croissance, analyse
Stiglitz. Lorsqu’il n’y a pas de recettes fiscales, on ne peut pas
investir dans les infrastructures, les recherches technologiques, la
formation, etc...Tous les investissements sont touchés. »
Comment faire pour convaincre les états de coopérer ?
Là encore, pour le Prix Nobel, d’économie, il faut en passer par
des mesures coercitives. « La pression doit être mise sur les états qui
ne voudraient pas coopérer, en leur disant que s’ils refusent, leurs
banques ne seront plus autorisées à avoir de relations avec les banques
des pays qui respectent les règles. » Il faut même, ajoute Stiglitz,
refuser aux pays qui ne collaboreraient pas, l’accès aux marchés
mondiaux. « Le droit de commercer, c’est un privilège, pas un droit
inconditionnel,» conclut-il.
Malgré l’énormité du combat à mener contre l’évasion fiscale,
Joseph Stiglitz se veut malgré tout optimiste. Même si tous les pays n’y
participent pas, il relève que les Etats-Unis et l’Europe commencent à
s’y mettre. Compte tenu de l’arrivée de Trump au pouvoir, il demande
cependant à l’Europe de s’apprêter aujourd’hui à assumer le rôle
principal dans cette lutte, car « quand votre président est le chef de
l’évasion, estime-t-il en parlant de Donald Trump, il est difficile
d’avoir confiance dans la direction que va prendre le pays. »
Pour lui, le rôle des citoyens et des opinions publiques est
décisif dans cette lutte. C’est pourquoi il en appelle à un véritable
statut des lanceurs d’alerte. On en est loin aujourd’hui en Europe,
malgré tous les débats autour de cette question.
Interrogé par le député européen, membre de Die Linke, Fabio De
Masi ( Gauche unitaire européenne ), sur la façon dont les mesures
fiscales pourraient aider l'Europe à surmonter ses problèmes
économiques, Joseph Stiglitz a répondu que ces pratiques illicites que
sont le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale « ne font rien moins
que de mettre en péril l'avenir de l'Europe », car, a-t-il conclut,
s’appuyant sur le mauvais exemple de l’Irlande, « s'il n'y a pas de
recettes fiscales, on n’a pas de ressources pour faire les
investissements dont le pays a besoin. »
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