L’Assemblée
nationale examine en ce moment le premier texte d’une réforme qui vise à
soumettre définitivement le Parlement aux desiderata de l’exécutif.
Face à ce projet, qui menace aussi la Sécurité sociale, les
parlementaires PCF réclament un référendum.
Depuis
la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde, des montages
montrant un Emmanuel Macron qui exulte dans les gradins à l’idée de
pouvoir dorénavant faire passer n’importe quelle réforme tournent en
boucle sur les réseaux sociaux. Tout y passe : retraites à 75 ans,
explosion de la TVA, suppression de la Sécurité sociale… Ce qui pourrait
ici ressembler à une bonne blague sur l’opportunisme et le cynisme du
président de la République n’en est pourtant pas une : depuis le 10
juillet, l’Assemblée nationale examine en séance publique un projet de
réforme des institutions. En catimini, en plein été, souvent au cœur de
la nuit, la Macronie se livre à une réécriture de la Constitution. Elle
ne fait absolument rien – bien au contraire – pour provoquer et nourrir
le grand débat public et citoyen nécessaire et indispensable, en
démocratie, lorsqu’il s’agit de toucher à la loi fondamentale d’un pays.
C’est pourquoi les parlementaires communistes, députés et sénateurs,
ont fait le serment, le 9 juillet à Versailles, devant la salle du Jeu
de paume, de tout faire pour obtenir un référendum (voir ci-contre).
« Nous pétitionnerons dans tout le pays jusqu’à obtenir satisfaction », a
prévenu Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Car le projet de
réforme en cours entend s’attaquer frontalement au cœur même du
fonctionnement démocratique de la République, à la séparation des
pouvoirs, et même à la Sécurité sociale, comme l’ont démontré les débats
au Parlement.
Une diminution de 30% du nombre de parlementaires
Certes, tout le monde s’est entendu, ou presque, pour
supprimer le mot « race » de la Constitution, comme le proposaient les
communistes depuis des années, et pour y assurer l’égalité de tous
« sans distinction de sexe ». L’action pour « la préservation de
l’environnement » a également été consacrée. Mais le torchon a très vite
brûlé lorsque plusieurs groupes d’opposition ont souhaité fixer le
nombre actuel de parlementaires dans la loi fondamentale, afin
d’empêcher le gouvernement d’amputer demain les effectifs de la
représentation nationale. L’exécutif considère en effet que la
démocratie sera plus « représentative, responsable et efficace » avec
beaucoup moins de députés et de sénateurs. Il souhaite faire adopter
trois textes pour 2019 : un constitutionnel, un organique et un
ordinaire, qui, additionnés, composeront une réforme globale des
institutions. Et l’une des mesures phares prévoit justement une
diminution de 30 % du nombre de parlementaires, soit la plus drastique
depuis Napoléon III, qui ferait de la France le pays comptant le moins
de parlementaires par habitants en Europe. Une autre propose de
restreindre fondamentalement le droit d’amendement. Soit en ne
l’autorisant qu’en commission, soit en augmentant la possibilité de les
considérer comme « hors sujet », réduisant de fait considérablement le
rôle législatif des parlementaires. Raccourcir le temps d’examen des
projets de loi au Parlement, inclure une dose homéopathique de
proportionnelle aux législatives, redessiner à la hache les
circonscriptions, transformer le Conseil économique, social et
environnemental (Cese) en « chambre de la société civile », en plus de
l’amputer d’un tiers de ses membres, sont aussi, entre autres, au menu.
Face à un tel programme, la majorité des députés LR a
dénoncé « la domestication, la décomposition et la démolition de
l’Assemblée nationale », dans une tribune publiée par le Journal du
dimanche. Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle Gauche (PS), y
voit aussi une « réduction du pouvoir parlementaire » impossible à
cautionner. André Chassaigne, chef de file des députés PCF, a tancé lors
du Congrès de Versailles un régime « brutalisant la démocratie », dont
l’objectif est de constitutionnaliser une « dérive oligarchique » afin
de mettre en place une « technocrature ». Le coprésident du groupe
UDI-Agir, Jean-Christophe Lagarde, a, lui, annoncé qu’il ne votera qu’en
fonction de la globalité des trois textes, à condition que le Parlement
en sorte renforcé. « La présidentialisation, ça veut dire un vrai
Parlement. Sinon, c’est une monarchisation », a-t-il prévenu.
« Une atteinte gravissime, à la séparation des pouvoirs »
Fait inédit, Emmanuel Macron lui-même, en plein Congrès,
le 9 juillet, a annoncé un amendement présidentiel visant la réforme de
la Constitution, afin qu’il puisse écouter les réponses des
parlementaires avant d’avoir le dernier mot à Versailles. « Une atteinte
sans précédent, gravissime, à la séparation des pouvoirs », s’indigne
le député PCF Sébastien Jumel. Au motif que le premier ministre est
normalement seul responsable devant le Parlement, de nombreux groupes
parlementaires ont dans la foulée accusé Macron de vouloir devenir
« président-premier ministre ». Non seulement parce que le président n’a
pas à amender les lois, mais aussi parce qu’il n’a pas à débattre avec
le Parlement. Macron pensait ici répondre à ses détracteurs. À l’instar
des députés FI, qui ont boycotté le Congrès, refusant d’assister à un
discours du trône unilatéral. Mais le président s’est au final enfoncé
davantage, selon Jean-Luc Mélenchon. « S’il écoute et répond, c’est un
discours de politique générale. Cela le met à un doigt d’un vote de
confiance », c’est-à-dire d’une possible censure par le Parlement, a
ironisé l’insoumis.
L’hôte de l’Élysée maîtrise en tout cas ses troupes à
l’Assemblée, totalement caporalisées et allongées devant ses desiderata,
ce qui est en soi déjà un grave problème démocratique. La preuve, c’est
que Richard Ferrand, président du groupe LaREM et rapporteur général du
texte constitutionnel, s’était, plusieurs jours avant le Congrès,
opposé à ce que le président de la République puisse écouter et répondre
lors d’un Congrès. Lors des débats en commission des Lois, il estimait
que cela revenait à remettre « en jeu la position de non-responsabilité
devant le Parlement ». Mais ça, c’était avant que le monarque ne dise
l’inverse. Depuis, Ferrand soutient l’idée d’un débat au Congrès, et a
fort opportunément appuyé un amendement allant en ce sens en séance
publique. Les députés LaREM n’ont même pas eu à le rédiger, puisque
c’est Jean-Christophe Lagarde qui l’a déposé. Le député UDI s’est
d’ailleurs défendu d’être « le poisson-pilote » de Macron sur cette
question, argumentant qu’il est favorable à un débat au Congrès depuis
2008, et qu’il avait rédigé cet amendement avant la parole du roi…
Des tractations de couloirs entre le gouvernement et le Sénat
Reste que des questions fondamentales d’équilibre et de
concentration des pouvoirs sont actuellement débattues dans le plus
grand silence de juillet. « Nous allons tout droit vers un système
présidentialiste à l’américaine, mais avec un Parlement français
beaucoup moins fort que le Congrès américain. Nous allons cumuler tous
les défauts de ces deux systèmes », s’alarme le député FI Éric Coquerel.
Le tout grâce à des tractations de couloirs entre le gouvernement et le
Sénat, dont le président, Gérard Larcher (LR), a obtenu qu’il y ait
demain au moins un sénateur et un député par département. En matière de
représentativité des territoires, de lien avec les citoyens et de
garantie de pluralisme, on a sans doute vu mieux…
Quant aux électeurs, il n’est absolument pas prévu qu’ils
soient consultés. Certes, il serait pour le moins surprenant de voir la
majorité LaREM lancer un processus constituant. « Nous n’avons pas été
élus pour ça », rappelait en novembre le président de l’Assemblée
nationale, François de Rugy. Mais examiner au milieu de la nuit des
amendements rédigés le plus discrètement possible est plus que
problématique, surtout quand ils concernent, par exemple, la Sécurité
sociale, qui touche de très près la vie de tous les jours des Français.
Après avoir écrit une proposition de suppression de quasiment toutes les
mentions de la Sécurité sociale dans la Constitution, le député LaREM
Olivier Véran a reformulé un amendement qui vise toujours à transformer
fondamentalement ce pilier de notre modèle social, sans prévenir, et
« sans mener les débats nécessaires dans la société », regrette le
communiste Pierre Dharréville. Voilà pourquoi les parlementaires PCF
lancent une pétition pour un référendum. « On ne peut pas imaginer de
changer notre Constitution sans organiser un référendum (…). Nous
exigeons donc que les Français et les Français, toutes celles et ceux
qui vivent et travaillent dans notre pays, soient consultés », insiste
Pierre Laurent.
Aurélien Soucheyre
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