Derrière
ses outrances décrivant l’Union européenne comme une « ennemie », le
président américain veut imposer un libre-échange sapant les normes
sociales et environnementales. Un projet qui coïncide, au fond, avec
celui des institutions européennes…
Même
les paranoïaques ont des ennemis. Avec Donald Trump, cette sagesse en
vigueur dans les cercles diplomatiques prend tout son sens : un an et
demi après son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain
cajole certains de ses adversaires historiques, comme la Russie ou la
Corée du Nord, et cogne systématiquement tous ses alliés… Que des
ennemis, partout : au moment où il menace de déclencher une guerre
économique d’une ampleur inédite contre la Chine – mais pas seulement –,
on aura probablement une nouvelle illustration de ce principe directeur
avec la réception à Washington, ce mercredi, de Jean-Claude Juncker. Ce
président de la Commission européenne qui, l’air débonnaire, comme
enivré par les sommets, embrasse, tape sur la joue ou plaisante
systématiquement avec les autres chefs d’État dans les séances photos
officielles, Donald Trump l’a décrit il y a quelques semaines comme une
personnalité « brutale ». Dans la même veine, il a explicitement placé
l’Union européenne (UE) au premier rang des « ennemis » des États-Unis,
devant la Russie et la Chine, l’accusant de « profiter » des États-Unis
« du point de vue commercial ». Contre toute vérité – la dimension
atlantiste de la construction européenne est largement connue –, le
président américain décrit, d’une manière générale, l’Union européenne
comme un conglomérat « créé pour prendre le dessus sur les États-Unis ».
Obnubilé par sa conception de la « négociation d’homme à
homme », avec concours de serrage de pinces, Donald Trump cherche, sans
s’en cacher, à faire imploser l’Union européenne pour négocier
directement des accords commerciaux avec les États membres, dans un
rapport de forces qu’il imagine bien plus favorable. Il salue
systématiquement l’arrivée au pouvoir des partis les plus réactionnaires
et racistes, comme en Italie ou en Autriche, alors que son ex-idéologue
Steve Bannon s’apprête à lancer une fondation destinée à financer les
extrêmes droites européennes. Mais surtout, il instrumentalise le
Brexit : lors de son récent séjour au Royaume-Uni, il en a fait des
tonnes pour défendre la perspective d’une sortie du pays sans accord
avec l’UE – de quoi renforcer « une guerre commerciale » qui, se réjouit
l’éditorialiste de l’hebdomadaire conservateur The Spectator,
« pourrait provoquer un choc qui forcera l’UE à ouvrir son marché
agricole et à promouvoir un commerce plus libre, sans interdiction
injustifiée des aliments aux OGM et du poulet lavé à l’eau de Javel ».
Derrière les multiples provocations et les outrances, sous
les habits « protectionnistes » dont il s’est opportunément paré pour
s’emparer de la Maison-Blanche, Trump vise au fond une nouvelle étape de
dérégulation néolibérale et du libre-échange. Les accords multilatéraux
de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont vécu, et les
discussions sur la plupart des grands accords commerciaux, dits « de
nouvelle génération », patinent, grâce à la pression citoyenne sur les
dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux causés par un commerce
international basé sur les principes de dérégulation et d’ouverture
effrénée à la concurrence.
la Maison-Blanche veut casser les normes sociales
Le président américain compte peut-être changer d’échelle
pour le libre-échange, mais sans surprise, il ne remet aucunement en
cause ses fondements… Au contraire, il les radicalise : tout en agitant
la menace d’une nouvelle tournée de hausse des droits de douane, qui,
après celle fixée pour l’acier et l’aluminium, toucherait le secteur
automobile européen (lire notre encadré), son administration fait ainsi
savoir, à la veille de la rencontre avec Jean-Claude Juncker, que les
États-Unis attendent une offre européenne de grande ampleur, baissant
notamment toutes les normes sociales, sanitaires et environnementales.
Ces fameux « obstacles non tarifaires » au commerce sont dans le
collimateur des multinationales et des grandes entreprises
agroalimentaires notamment. « Tout accord de libre-échange avec l’UE
devra aller bien au-delà des droits de douane, avertit Steven Mnuchin,
ex-banquier d’affaires chez Goldman Sachs nommé secrétaire au Trésor par
Donald Trump. Cela devra concerner tous les obstacles non tarifaires
ainsi que les subventions publiques. Cela devra être un accord sur tous
ces sujets ! »
Sur ce plan, les institutions européennes ne sont sans
doute pas aussi éloignées qu’elles le prétendent du président américain.
Si Jean-Claude Juncker affirme qu’il va à Washington « sans offre » et
avec l’ambition de trouver le chemin d’une « désescalade », l’UE, qui
revendique crânement son attachement au « libre-échange », milite
également depuis des années pour la levée des « obstacles non
tarifaires », comme l’a démontré l’approche de la Commission européenne
dans la négociation discrète sur le traité transatlantique (Tafta ou
TTIP). À propos des « subsides », lors de sa dernière réunion, le 28
juin, le Conseil européen, rassemblant les chefs d’État et de
gouvernement des Vingt-Huit, a lancé un ballon d’essai en appelant l’UE à
« répondre à toutes les actions de nature protectionniste, y compris
celles qui mettent en question la politique agricole commune (PAC) ».
Signe exemplaire d’ouverture néolibérale partagée d’un côté comme de
l’autre de l’Atlantique : même les paranoïaques n’ont pas que des
ennemis…
Donald trump menace le secteur automobile européen
C’est via ses habituels micromessages sur Twitter que le président américain, Donald Trump, a défendu hier sa stratégie. « Les tarifs douaniers sont les meilleurs, fanfaronne-t-il. Soit un pays qui a traité les États-Unis de manière injuste sur le commerce négocie un accord juste, soit il est frappé de tarifs douaniers. »
La Maison-Blanche menace de droits de douane les importations de
voitures européennes. De quoi engendrer une nouvelle riposte de
Bruxelles, qui, après l’attaque sur l’acier et l’aluminium, a décidé de
taxer des motos et des jeans emblématiques des États-Unis. « L’Europe
ne se laissera pas menacer par le président Trump. Car si nous le
permettons une fois, alors nous devrons faire face à ce type de
comportement de plus en plus souvent », réplique Heiko Maas, le chef de la diplomatie allemande.
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