Il n’y a pas si longtemps, l’Allemagne était vue comme un des rares
pays politiquement stables. En surface, avec une forte croissance
économique et une position dominante en Europe, tout semblait aller pour
le mieux pour la classe dirigeante allemande. Mais cette stabilité est
aujourd’hui profondément bouleversée.
Depuis plus de 70 ans, la CDU (Union Chrétienne Démocratique) et la CSU (Union Chrétienne Sociale) forment un bloc uni, la CSU se présentant aux élections bavaroises et la CDU partout ailleurs. La plupart du temps, cette alliance a été bénéfique aux deux partis… jusqu’à ce qu’une dispute sur la question de l’immigration éclate et menace de rompre l’entente.
L’étincelle qui a allumé le conflit a été lancée lorsque Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur et dirigeant de la CSU, devait présenter un plan pour durcir l’approche allemande sur la question des demandeurs d’asile. Le ministre voulait donner à la police le droit de refouler des réfugiés à la frontière s’ils étaient déjà inscrits dans un autre pays de l’Union Européenne. Mais cette proposition a été rejetée par Angela Merkel, qui a ainsi énervé le parti frère de la CDU.
Défiant ouvertement Merkel, Seehofer a menacé de mettre tout de même en œuvre cette politique, qui relève de son portefeuille ministériel. Merkel a répliqué en indiquant que ses plans ne rentreraient pas « automatiquement » en vigueur, une menace à peine voilée de révocation. Cette manœuvre très risquée aurait pu amener la CSU à retirer son soutien à la CDU et à quitter la majorité de la Grande Coalition précipitant ainsi de nouvelles élections. Heureusement pour la classe dirigeante allemande, cette conséquence drastique a été évitée lorsque la CSU a donné à Merkel un délai supplémentaire (jusqu’au sommet européen du 28-29 juin) pour trouver une solution et négocier un certain nombre d’accords bilatéraux.
L’Allemagne est la plus forte économie de l’Union Européenne, avec un taux de chômage de 3,4 %, le troisième plus bas de l’UE. L’austérité poursuivie depuis 2008 a été bien moins sévère que dans d’autres pays dans le monde. A quoi est donc dû le rejet des grands partis que nous observons aujourd’hui dans ce pays ?
La classe dirigeante allemande a entamé sa politique d’austérité bien avant le début de la crise financière. Dans une tentative de restauration de la « compétitivité », le gouvernement SPD (Parti Social Démocrate) de Gerhard Schröder a mené une politique de « maîtrise des salaires » entre 1998 et 2005. Cette politique, connue sous le nom d’« Agenda 2010 », consistait en des coupes massives dans les taxes destinées aux plus les riches, couplées à des coupes dans les pensions et les aides aux chômeurs. En 2008, la part du revenu national dédiée aux salaires est descendue à 64,5 %, la plus basse depuis 50 ans. Les inégalités sont à leur plus haut niveau depuis 1913. Cela signifie que le capitalisme allemand a drastiquement comprimé le prix du travail, rendant ainsi les biens produits en Allemagne plus compétitifs au niveau mondial. En outre, la forte diminution du pouvoir d’achat des travailleurs (40 % de la population a aujourd’hui un pouvoir d’achat plus bas qu’il y a 20 ans) implique une baisse des importations. L’Allemagne est donc passée du statut de « canard boiteux » de l’Europe à celui d’une économie forte, fondée sur des bas salaires et de fortes exportations.
Cela veut aussi dire que, sous la surface, la colère et le ressentiment croissent. Comme dans de nombreux autres pays dans le monde, cette colère a mené à l’effondrement du soi-disant centre. Les élections fédérales ont donné à la CSU/CDU et au SPD leur pire résultat depuis les années 1940. Cette tendance s’est même renforcée avec la formation de la « Grande Coalition » : le score des trois partis mis ensemble atteint aujourd’hui moins de 50 %.
Cela a engendré un vide politique en Allemagne, en partie comblé par l’AfD. Alors que le bloc CDU/CSU est traditionnellement le représentant de la grande industrie, l’AfD s’est construit un certain soutien parmi la petite bourgeoisie en plaidant pour des politiques protectionnistes, telles que celles s’opposant au TTIP. En outre, vu l’échec du SPD et de Die Linke à offrir une alternative radicale, l’AfD est également parvenue à attirer des travailleurs de façon démagogique, en soutenant le salaire minimum et la diminution des impôts sur les familles avec enfants. Enfin, comme il n’y a pas d’organisation de masse capable d’expliquer que le niveau de vie a été réduit à cause du système capitaliste, et non pas à cause de l’immigration, il n’y a rien d’étonnant à ce que certaines personnes pensent pouvoir résoudre leurs problèmes en fermant les frontières.
Alors que l’AfD a gagné des voix avec une position eurosceptique et protectionniste, cette approche va à l’encontre des intérêts du capitalisme allemand, largement dépendant de l’Union Européenne. Le capitalisme allemand est fondé sur une économie tournée vers l’exportation (dont dépendent 30 % des emplois), qui est destinée à 65 % à l’Union Européenne. Suite à l’introduction de barrières douanières qui menaceraient les exportations vers les Etats-Unis et augmenteraient potentiellement la compétition avec les produits chinois inondant le marché à bas prix, l’UE – qui permet à l’Allemagne d’agir au sein d’un bloc politique pour concourir à une échelle mondiale – deviendra de plus en plus importante pour le capitalisme allemand.
Il n’est donc pas étonnant que Merkel rejette la proposition de Seehofer qui va à l’encontre d’une solution « pan européenne ». La seule option pour Merkel – qui essaye désespérément de garder l’Union unie – a été de rechercher des accords bilatéraux avec chaque pays. Heureusement pour elle, Alexis Tsipras est venu à la rescousse le 28 juin, en déclarant au Financial Times que la Grèce était prête à aider. Mais ceci pourrait bien être soumis à certaines conditions, comme un allègement de la lourde dette de l’Etat grec. Cela causerait en soi des problèmes politiques, étant donnée la rhétorique immonde de certains à droite au sujet des « Grecs fainéants ». Dans tous les cas, la Grèce ne permettrait qu’à 50 ou 100 migrants de passer sa frontière nord, ce qui ne changerait pas grand-chose. Après tout, l’Allemagne a accueilli à elle seule 1,4 million de migrants depuis 2015.
Dans une tentative désespérée pour préserver l’unité de l’Union, il se pourrait bien que Merkel propose au gouvernement italien une exemption des règles budgétaires européennes pour que le gouvernement puisse mener certaines des réformes inscrites dans les manifestes des deux partis. Néanmoins, vu le niveau d’endettement massif de l’Italie, cela entraînerait une forte instabilité dans l’Union. De plus, cette option pourrait bien ne pas fonctionner. Un diplomate de l’UE s’est ainsi demandé s’il existait « un chèque assez gros » pour changer les positions de Salvini.
Le manque de solutions disponibles à Merkel est apparu clairement lors du sommet européen du 28 juin. Les dirigeants européens présents se sont mis d’accord pour créer des camps d’hébergement pour les migrants et les demandeurs d’asile jusqu’à ce qu’une décision sur leur acceptation en Europe soit prise. Ces camps seraient situés en Afrique du Nord et dans des pays « volontaires » de l’UE. Un accord est cependant bien loin d’être conclu pour savoir qui accueillera ces migrants. La proposition de partager leur nombre – soutenue par l’Italie – a été catégoriquement refusée par un groupe de pays menés par la Hongrie. Finalement, il a été décidé que des marques de « solidarité » – comme l’hébergement des demandeurs d’asile – se prendraient sur une base « volontaire ». Cela ne résout absolument rien. Avant l’« accord », le problème était que certains Etats refusaient d’accueillir plus de migrants et que le « fardeau » pesait trop lourdement sur les pays en première ligne. Cela restera un problème aujourd’hui.
Malgré les concessions apparentes de Seehofer, il y a eu une rupture nette au sein de la CSU au sujet de l’accord proposé par Merkel. D’un côté, l’aile pro-européenne semblait contente : le vice-président du groupe CSU, Hans Michelbach, a ainsi décrit l’accord comme « un signal positif que quelque chose est en train de bouger en Europe, dans la bonne direction ». D’un autre côté, Seehofer a rejeté l’accord, le jugeant « inadéquat » et « pas efficace ». Malheureusement pour Seehofer, comme l’a reporté le Financial Times, il n’a pas reçu le soutien de l’exécutif et a donc proposé sa démission.
Néanmoins, Seehofer et Merkel ont organisé une dernière rencontre le lundi 2 juillet, lors de laquelle Seehofer a annoncé qu’ils avaient atteint un « accord après de très intenses négociations ». Cet accord comprend la mise en place de centres de transit à la frontière austro-allemande où les réfugiés pourraient être renvoyés dans les pays où ils sont arrivés, plutôt que d’être refoulés à la frontière. Merkel a souligné qu’ils concluraient « des arrangements administratifs avec les pays concernés » et que cela reflète « le véritable esprit européen ».
Néanmoins, Seehofer et d’autres figures de la CSU se sont lancés dans des promesses odieuses pour résoudre le problème de l’immigration. En Bavière, le mécontentement grandit dans les masses urbaines et rurales quant à la qualité de vie, autour de sujets comme le manque d’hébergement à prix abordable. La CSU ne peut pas y apporter de solution : le Premier ministre de Bavière, Markus Söder, a en effet été responsable de la privatisation des compagnies de logements publics alors qu’il était ministre des Finances. La CSU s’attache donc à attiser le sentiment anti-migrants pour distraire la population. En l’absence d’une alternative de gauche, toute marche arrière de la CSU se verra certainement sanctionnée par un tournant encore plus marqué vers l’AfD.
Il n’est pas non plus certain que Merkel arrive à convaincre les gouvernements de reprendre des migrants qui ont été enregistrés dans d’autres pays. Il importe bien peu au gouvernement italien que des migrants soient renvoyés en Italie directement depuis la frontière ou bien à la « gentille » façon « européenne », après un séjour dans des camps-prisons.
Indépendamment de la résolution de ce conflit particulier, il apparaît qu’en Allemagne, comme dans de nombreux autres pays à travers le monde, la classe dirigeante est de moins en moins capable de régner à l’ancienne. Lénine a expliqué que des divisions au sommet de l’Etat sont une des conditions nécessaires à l’émergence d’une situation révolutionnaire. Il semble que l’Allemagne ait rejoint la liste des pays où les fractures deviennent apparentes.
Depuis plus de 70 ans, la CDU (Union Chrétienne Démocratique) et la CSU (Union Chrétienne Sociale) forment un bloc uni, la CSU se présentant aux élections bavaroises et la CDU partout ailleurs. La plupart du temps, cette alliance a été bénéfique aux deux partis… jusqu’à ce qu’une dispute sur la question de l’immigration éclate et menace de rompre l’entente.
L’étincelle qui a allumé le conflit a été lancée lorsque Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur et dirigeant de la CSU, devait présenter un plan pour durcir l’approche allemande sur la question des demandeurs d’asile. Le ministre voulait donner à la police le droit de refouler des réfugiés à la frontière s’ils étaient déjà inscrits dans un autre pays de l’Union Européenne. Mais cette proposition a été rejetée par Angela Merkel, qui a ainsi énervé le parti frère de la CDU.
Défiant ouvertement Merkel, Seehofer a menacé de mettre tout de même en œuvre cette politique, qui relève de son portefeuille ministériel. Merkel a répliqué en indiquant que ses plans ne rentreraient pas « automatiquement » en vigueur, une menace à peine voilée de révocation. Cette manœuvre très risquée aurait pu amener la CSU à retirer son soutien à la CDU et à quitter la majorité de la Grande Coalition précipitant ainsi de nouvelles élections. Heureusement pour la classe dirigeante allemande, cette conséquence drastique a été évitée lorsque la CSU a donné à Merkel un délai supplémentaire (jusqu’au sommet européen du 28-29 juin) pour trouver une solution et négocier un certain nombre d’accords bilatéraux.
Pourquoi une rupture maintenant ?
Selon le Financial Times, les flux de migrants ont diminué de 90 % depuis 2015 ; il est donc étrange que cette crise ait lieu maintenant. La raison réelle de cette dispute a plus à voir avec la panique de la CSU face à la montée de l’AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite). Aux élections fédérales de 2017, le vote CSU s’est effondré de 38 % à 10,5 % alors que l’AfD a atteint 12,4 % en Bavière. Les dirigeants de la CSU sont de plus en plus inquiets en vue des élections régionales d’octobre prochain. Le parti a gouverné la région avec une majorité absolue depuis 1962, sauf en 2008 où son score de 43,4 % l’a obligé à former une coalition gouvernementale avec le FDP pendant cinq ans. Perdre la majorité en Bavière serait une grande défaite pour la CSU.L’Allemagne est la plus forte économie de l’Union Européenne, avec un taux de chômage de 3,4 %, le troisième plus bas de l’UE. L’austérité poursuivie depuis 2008 a été bien moins sévère que dans d’autres pays dans le monde. A quoi est donc dû le rejet des grands partis que nous observons aujourd’hui dans ce pays ?
La classe dirigeante allemande a entamé sa politique d’austérité bien avant le début de la crise financière. Dans une tentative de restauration de la « compétitivité », le gouvernement SPD (Parti Social Démocrate) de Gerhard Schröder a mené une politique de « maîtrise des salaires » entre 1998 et 2005. Cette politique, connue sous le nom d’« Agenda 2010 », consistait en des coupes massives dans les taxes destinées aux plus les riches, couplées à des coupes dans les pensions et les aides aux chômeurs. En 2008, la part du revenu national dédiée aux salaires est descendue à 64,5 %, la plus basse depuis 50 ans. Les inégalités sont à leur plus haut niveau depuis 1913. Cela signifie que le capitalisme allemand a drastiquement comprimé le prix du travail, rendant ainsi les biens produits en Allemagne plus compétitifs au niveau mondial. En outre, la forte diminution du pouvoir d’achat des travailleurs (40 % de la population a aujourd’hui un pouvoir d’achat plus bas qu’il y a 20 ans) implique une baisse des importations. L’Allemagne est donc passée du statut de « canard boiteux » de l’Europe à celui d’une économie forte, fondée sur des bas salaires et de fortes exportations.
Cela veut aussi dire que, sous la surface, la colère et le ressentiment croissent. Comme dans de nombreux autres pays dans le monde, cette colère a mené à l’effondrement du soi-disant centre. Les élections fédérales ont donné à la CSU/CDU et au SPD leur pire résultat depuis les années 1940. Cette tendance s’est même renforcée avec la formation de la « Grande Coalition » : le score des trois partis mis ensemble atteint aujourd’hui moins de 50 %.
La polarisation mine les partis traditionnels
La polarisation qui a eu lieu dans la politique allemande s’est exprimée à droite, en hostilité à Angela Merkel. Ce mouvement a été exacerbé par la décision de la chancelière de former une coalition avec le SPD : de nombreux sympathisants de la CDU se sont sentis « trahis et vendus », selon un député CDU cité par le Financial Times. A gauche, la trahison du SPD a drastiquement réduit son attrait et Die Linke (ancien parti socialiste de RDA, désormais à la gauche du SPD) souffre de son ancienne participation au sein du gouvernement.Cela a engendré un vide politique en Allemagne, en partie comblé par l’AfD. Alors que le bloc CDU/CSU est traditionnellement le représentant de la grande industrie, l’AfD s’est construit un certain soutien parmi la petite bourgeoisie en plaidant pour des politiques protectionnistes, telles que celles s’opposant au TTIP. En outre, vu l’échec du SPD et de Die Linke à offrir une alternative radicale, l’AfD est également parvenue à attirer des travailleurs de façon démagogique, en soutenant le salaire minimum et la diminution des impôts sur les familles avec enfants. Enfin, comme il n’y a pas d’organisation de masse capable d’expliquer que le niveau de vie a été réduit à cause du système capitaliste, et non pas à cause de l’immigration, il n’y a rien d’étonnant à ce que certaines personnes pensent pouvoir résoudre leurs problèmes en fermant les frontières.
Alors que l’AfD a gagné des voix avec une position eurosceptique et protectionniste, cette approche va à l’encontre des intérêts du capitalisme allemand, largement dépendant de l’Union Européenne. Le capitalisme allemand est fondé sur une économie tournée vers l’exportation (dont dépendent 30 % des emplois), qui est destinée à 65 % à l’Union Européenne. Suite à l’introduction de barrières douanières qui menaceraient les exportations vers les Etats-Unis et augmenteraient potentiellement la compétition avec les produits chinois inondant le marché à bas prix, l’UE – qui permet à l’Allemagne d’agir au sein d’un bloc politique pour concourir à une échelle mondiale – deviendra de plus en plus importante pour le capitalisme allemand.
Il n’est donc pas étonnant que Merkel rejette la proposition de Seehofer qui va à l’encontre d’une solution « pan européenne ». La seule option pour Merkel – qui essaye désespérément de garder l’Union unie – a été de rechercher des accords bilatéraux avec chaque pays. Heureusement pour elle, Alexis Tsipras est venu à la rescousse le 28 juin, en déclarant au Financial Times que la Grèce était prête à aider. Mais ceci pourrait bien être soumis à certaines conditions, comme un allègement de la lourde dette de l’Etat grec. Cela causerait en soi des problèmes politiques, étant donnée la rhétorique immonde de certains à droite au sujet des « Grecs fainéants ». Dans tous les cas, la Grèce ne permettrait qu’à 50 ou 100 migrants de passer sa frontière nord, ce qui ne changerait pas grand-chose. Après tout, l’Allemagne a accueilli à elle seule 1,4 million de migrants depuis 2015.
Le problème italien
Merkel avait « avant tout besoin d’un accord avec les Italiens » comme l’a déclaré un député de la CDU. Vu sa position géographique en Europe, l’Italie voit de nombreux migrants arriver sur ses côtes. Si l’on prend Seehofer au mot, il demande donc que la police allemande ait le droit de renvoyer un très grand nombre de migrants et de demandeurs d’asile vers l’Italie. Mais il y a un problème : le gouvernement de coalition italien entre le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue a fait de la réduction de l’immigration un de ses chevaux de bataille. Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue et ministre de l’Intérieur a menacé de « renégocier la contribution de l’Italie à l’UE » si aucun accord n’était trouvé pour réduire le nombre de migrants reçus par l’Italie. Giuseppe Conte a également demandé un « changement radical » des accords de Dublin, qui stipulent que le pays dans lequel un demandeur d’asile arrive pour la première fois est responsable de sa prise en charge. Pour le gouvernement italien, il est injuste que l’Italie doive supporter ce fardeau pour toute l’Union Européenne à cause d’un coup du sort géographique. Il semble qu’il y ait à présent un conflit insoluble entre les souhaits de l’Allemagne et de l’Italie.Dans une tentative désespérée pour préserver l’unité de l’Union, il se pourrait bien que Merkel propose au gouvernement italien une exemption des règles budgétaires européennes pour que le gouvernement puisse mener certaines des réformes inscrites dans les manifestes des deux partis. Néanmoins, vu le niveau d’endettement massif de l’Italie, cela entraînerait une forte instabilité dans l’Union. De plus, cette option pourrait bien ne pas fonctionner. Un diplomate de l’UE s’est ainsi demandé s’il existait « un chèque assez gros » pour changer les positions de Salvini.
Le manque de solutions disponibles à Merkel est apparu clairement lors du sommet européen du 28 juin. Les dirigeants européens présents se sont mis d’accord pour créer des camps d’hébergement pour les migrants et les demandeurs d’asile jusqu’à ce qu’une décision sur leur acceptation en Europe soit prise. Ces camps seraient situés en Afrique du Nord et dans des pays « volontaires » de l’UE. Un accord est cependant bien loin d’être conclu pour savoir qui accueillera ces migrants. La proposition de partager leur nombre – soutenue par l’Italie – a été catégoriquement refusée par un groupe de pays menés par la Hongrie. Finalement, il a été décidé que des marques de « solidarité » – comme l’hébergement des demandeurs d’asile – se prendraient sur une base « volontaire ». Cela ne résout absolument rien. Avant l’« accord », le problème était que certains Etats refusaient d’accueillir plus de migrants et que le « fardeau » pesait trop lourdement sur les pays en première ligne. Cela restera un problème aujourd’hui.
Sauvée du précipice… pour le moment
Vu le manque d’options, il semble très probable que le partenariat CSU/CDU se termine. Néanmoins, malgré la tension croissante entre les deux camps, l’alliance a été incroyablement bénéfique aux deux partis. Elle a permis à la CSU de gagner des ministères et à la CDU de s’appuyer sur les sièges remportés en Bavière pour soutenir ses performances électorales nationales. Si l’accord était rompu, la CDU pourrait décider de participer aux élections en Bavière et la CSU dans le reste de l’Allemagne. Cela fractionnerait le vote des deux partis et les affaiblirait face à l’AfD. Après tout, le conflit a d’abord émergé par crainte de perdre le pouvoir… C’est la raison pour laquelle Seehofer a indiqué qu’une rupture serait « irréaliste » ; un député CSU a également parlé d’une « communauté de destin » des deux partis.Malgré les concessions apparentes de Seehofer, il y a eu une rupture nette au sein de la CSU au sujet de l’accord proposé par Merkel. D’un côté, l’aile pro-européenne semblait contente : le vice-président du groupe CSU, Hans Michelbach, a ainsi décrit l’accord comme « un signal positif que quelque chose est en train de bouger en Europe, dans la bonne direction ». D’un autre côté, Seehofer a rejeté l’accord, le jugeant « inadéquat » et « pas efficace ». Malheureusement pour Seehofer, comme l’a reporté le Financial Times, il n’a pas reçu le soutien de l’exécutif et a donc proposé sa démission.
Néanmoins, Seehofer et Merkel ont organisé une dernière rencontre le lundi 2 juillet, lors de laquelle Seehofer a annoncé qu’ils avaient atteint un « accord après de très intenses négociations ». Cet accord comprend la mise en place de centres de transit à la frontière austro-allemande où les réfugiés pourraient être renvoyés dans les pays où ils sont arrivés, plutôt que d’être refoulés à la frontière. Merkel a souligné qu’ils concluraient « des arrangements administratifs avec les pays concernés » et que cela reflète « le véritable esprit européen ».
Néanmoins, Seehofer et d’autres figures de la CSU se sont lancés dans des promesses odieuses pour résoudre le problème de l’immigration. En Bavière, le mécontentement grandit dans les masses urbaines et rurales quant à la qualité de vie, autour de sujets comme le manque d’hébergement à prix abordable. La CSU ne peut pas y apporter de solution : le Premier ministre de Bavière, Markus Söder, a en effet été responsable de la privatisation des compagnies de logements publics alors qu’il était ministre des Finances. La CSU s’attache donc à attiser le sentiment anti-migrants pour distraire la population. En l’absence d’une alternative de gauche, toute marche arrière de la CSU se verra certainement sanctionnée par un tournant encore plus marqué vers l’AfD.
Une crise irrésolue
Il n’est pas certain que Merkel arrive à convaincre le SPD de soutenir ce qui est en réalité des camps de prisonniers pour réfugiés. Ce deal s’écarte très largement de l’accord de coalition signé il y a une centaine de jours et constitue un tournant très clair vers la droite. Néanmoins, la tête du SPD – qui n’est pas connue pour sa capacité à adopter des positions de principe – sera terrifiée à l’idée de provoquer de nouvelles élections et pourrait docilement accepter les différentes propositions.Il n’est pas non plus certain que Merkel arrive à convaincre les gouvernements de reprendre des migrants qui ont été enregistrés dans d’autres pays. Il importe bien peu au gouvernement italien que des migrants soient renvoyés en Italie directement depuis la frontière ou bien à la « gentille » façon « européenne », après un séjour dans des camps-prisons.
Indépendamment de la résolution de ce conflit particulier, il apparaît qu’en Allemagne, comme dans de nombreux autres pays à travers le monde, la classe dirigeante est de moins en moins capable de régner à l’ancienne. Lénine a expliqué que des divisions au sommet de l’Etat sont une des conditions nécessaires à l’émergence d’une situation révolutionnaire. Il semble que l’Allemagne ait rejoint la liste des pays où les fractures deviennent apparentes.
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