Jeudi, 12 Juillet, 2018
La
qualification de l’équipe de France pour la finale de la Coupe du
monde, dimanche, à Moscou, a suscité de nombreuses scènes de liesse dans
le pays. Une occasion, plutôt rare, pour le peuple français, de faire
société.
Mardi
soir, aux abords de la fan-zone de la place de l’hôtel de ville de
Paris, Loïc, Yassine et Quentin fêtent, dans un vaste bain de foule,
l’implacable victoire des Bleus sur la Belgique en demi-finale de la
Coupe du monde. Trois jeunes hommes du même quartier mais qui,
jusqu’ici, ne s’étaient jamais croisés et encore moins parlé. « C’est le
Mondial qui m’a permis de rencontrer ces deux-là ! s’amuse Quentin, 27
ans. Maintenant, on se retrouve à chaque fois pour voir les matchs
ensemble. » Autour d’eux, la marée des supporters, escortée par le
tintamarre des Klaxons, se dirige vers les Champs-Élysées et ses
platanes, qui en ont vu d’autres. Les gens sautent en tous sens,
s’enlacent sans autre forme de procès. Il y a des cadres en bras de
chemise, descendu des bureaux. Des gamins en survêt venus du bout des
lignes de métro. Des femmes, des hommes, des mômes. Aïda, 19 ans, en
serait presque émue aux larmes. « On se sent fiers mais aussi unis. Ça
rapproche une Coupe du monde ! Et plus la France va loin, plus ça nous
soude. »
Destin de la nation
De Paris à Marseille, de Montpellier à Strasbourg,
jusqu’au plus petit village et à l’arrière-cour de camping, la France
connaît depuis mardi soir le souffle grisant et rare de la ferveur
populaire. Ce vent de bonheur partagé qui accompagne les victoires, ne
fussent-elles que sportives. Vingt ans après le sacre de 1998, qui a vu
les Bleus de Zidane offrir sa première Coupe du monde à la France, la
même communion est à l’œuvre. L’affaire est certes éphémère, factice
diront certains, mais tellement indispensable. « C’est beau, ça unit
tout le monde autour du foot, glisse Léa, 18 ans, le visage peint aux
couleurs de la France et le drapeau tricolore noué à la taille. Il y a
un esprit collectif qui émerge ! » Yassine acquiesce et va plus loin :
« Une Coupe du monde joue sur les rapports que nous avons entre nous,
Français. Il y a une cohésion, une fraternité, une proximité que tu ne
peux pas avoir dans d’autres moments. Cela me fait penser à
l’après-Charlie Hebdo, sauf que là, on se réunit dans la fête, pas dans
la noirceur. »
Pour l’historien Paul Dietschy, cette union populaire
autour du sport est devenue comme une nécessité dans notre société. « En
dépit des attentats ou, dans un passé plus lointain, la guerre
d’Algérie, la France vit depuis 70 ans dans la paix. Il n’y a plus
d’événements, historiques, dramatiques, qui impliquent la nation tout
entière et la font se sentir une », explique-t-il. À ses yeux, le
football, parce qu’il est un sport universel, permet ainsi de mettre en
jeu de façon ludique le destin de la nation, dans une compétition comme
la Coupe du monde. « Et de vivre des moments importants, marquants, qui
se font rares dans nos sociétés de plus en plus réglées, corsetées »,
ajoute Paul Dietschy. De là à donner des significations politiques plus
large à cette effervescence ? L’historien ne s’y risque pas. « Ce n’est
qu’une parenthèse ludique. La Coupe du monde est devenue une fête de fin
de printemps et d’été, qui réunit un public beaucoup plus large, et
féminin, que celui qui suit la Ligue 1 ou la Ligue des champions. Dans
ces moments-là, chacun recherche l’émotion brute, le plaisir. Mais tout
en sachant qu’il ne s’agit que d’une parenthèse : même si la France
gagne, la vie des gens ne va pas être bouleversée. Emmanuel Macron
grappillera peut-être quelques points dans les sondages, mais ça n’ira
pas plus loin… »
Solidarité entre joueurs
N’empêche. Sans verser dans l’illusion d’un mythique
Black-Blanc-Beur qui bousculerait à lui seul la société, le spectacle de
cette équipe de France, symbole d’une aventure collective réjouissante,
à quelque chose d’inspirant, si ce n’est d’exemplaire. À commencer par
sa philosophie de jeu. « Ce qui me frappe, raconte Youssef, un supporter
dyonisien, c’est sa capacité à jouer ensemble, que ce soit en attaque
ou en défense. Cette solidarité entre joueurs, forcément, ça fait
plaisir à voir. Surtout à l’heure où chacun a tendance à ne penser qu’à
sa g… » L’une des grandes réussites du sélectionneur Didier Deschamps a
été, à l’image d’un Aimé Jacquet, de parvenir à redorer ce blason
collectif de l’équipe de France, mal en point après la Coupe du monde
2010 en Afrique du Sud et le choc de Knysna, quand les joueurs ont fait
une invraisemblable grève de l’entraînement. « Petit à petit, les Bleus
se sont reconstruits une image, avec une communication très minimaliste
et ce semblant de proximité avec le public, raconte le journaliste
sportif Romain Molina (1). L’image publique de Deschamps aussi joue : le
mec qui gagne, le capitaine de France 98, mais c’est tout aussi de la
communication. » Une communication qui marche tant que les résultats
suivent. « Pour qu’une équipe véhicule un vrai engouement populaire, ni
éphémère, ni superficiel, elle doit gagner et s’attacher à une éthique
de jeu, souligne Thibault Leplat, auteur de Football à la française. Ce
qui fait la ferveur autour d’elle c’est sa capacité à séduire. » Jusqu’à
très récemment, l’émotion des spectateurs était surtout suspendue à
l’enjeu, plus qu’au jeu des Bleus. Un constat qui est en train de
changer avec cette identité d’équipe surgie durant les 8es de finale et
ce fabuleux match contre l’Argentine qui a retourné les foules. L’équipe
de France est devenue ce collectif fait de sang-froid et de patience,
adaptable et futé. Une image positive renvoyée à la société elle-même.
Et reprise aujourd’hui par les foules de supporters.
Pied de nez aux discours racistes
« L’équipe de France a toujours cristallisé l’identité du
pays », souligne Mickaël Correia, auteur d’Une histoire populaire du
football (la Découverte, 2018). Et celle-ci, avec son effectif composé à
plus de 80 % de joueurs issus de l’immigration, n’y échappe évidemment
pas. Selon un sondage OpinionWay pour le Parisien paru début juin, les
Français estiment d’ailleurs que « le brassage culturel » (37 %) et le
« sens du collectif » sont les deux premières valeurs qui incarnent
l’équipe de France. Seulement 4 % y voient « l’argent », à l’opposé du
foot-business incarné par les clubs.
«En 1998, l’épisode Black-Blanc-Beur était de mon point de
vue une illusion. Il n’a en tout cas pas duré longtemps », rappelle
Mickaël Correia. Mais la symbolique, elle, et les messages qu’elle
envoie à l’inconscient collectif sont bien réels. « Quand on voit
l’équipe de France composée, pour plus de la moitié, de jeunes issus des
quartiers populaires, ou de familles issues de l’immigration, c’est un
pied de nez aux discours racistes ou anti-migrants qui fleurissent dans
notre pays depuis des mois. Avec sa mère algérienne et son père
camerounais, Mbappé dribble et tacle tous ces discours identitaires
nauséabonds. » Une bouffée d’oxygène que l’on verrait bien se prolonger
au-delà de dimanche, 17 heures…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire