Par François Houtart
En arrivant au Chiapas à la fin de l’année 2012, la question
à laquelle beaucoup m’avaient demandé de répondre était de savoir si les
Zapatistes existaient encore. Tant de rumeurs circulaient à leur égard… On ne
parlait presque plus d’eux, ce qui signifiait, pour ceux qui ne les
connaissaient guère, une quasi disparition. Le sous-commandant Marcos avait en
effet habitué les médias à une intense production de textes, de déclarations,
de contes, de récits plus ou moins symboliques. Aussi le silence de ce grand
communicateur ne pouvait signifier que repli ou, pire, aveu d’une défaite.
Or, le 21 décembre 2012, jour du changement d’ère maya (et
non de la fin du monde, comme la presse mondiale à sensation l’avait proclamé)
40 000 personnes, revêtues du passe-montagne zapatiste, défilent en silence
dans cinq villes de l’Etat du Chiapas, dont 20 000 dans la capitale historique
de l’Etat, San Cristobal de las Casas. Ils viennent des montagnes du centre et
du nord de l’Etat ou de la forêt de Lacandona, à l’est de San Cristobal - une
région grande comme la Belgique – en prenant tout le monde par surprise. Il
faut s’imaginer ce que signifie préparer une telle opération, réunir les
véhicules, mobiliser les gens, avoir l’accord de tous, prendre la route dans
une région de sécurité incertaine, parcourir des dizaines de kilomètres et
défiler en ordre, pacifiquement, dans cinq villes. Et cela, sans que personne
ne s’y attende.
Le plus impressionnant fut la manière de réaliser cette
manifestation : sans dire un mot, sans pancartes, sans slogans, sans discours
de clôture, simplement en marchant. C’était la réponse à la question posée au
début de ce texte. Le message était clair : vous nous croyiez en déclin, mais
nous existons et nous sommes aussi forts qu’il y a dix-neuf ans, quand nous
avions pris plusieurs des mêmes villes par les armes. Nous sommes même plus
forts car nous les prenons sans armes. Notre silence était éloquent car il
couvrait à la fois le renforcement de notre organisation locale et les
multiples expériences communautaires en cours, face au désastre actuel de la
société mexicaine. Une société qui s’enfonce dans la guerre du narcotrafic,
dans les méandres de la sale politique, dans l’utilisation systématique de la
torture, le trucage des élections et le début d’une récession économique.
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