Paul Boccara nous a quittés. Il laisse un immense vide mais aussi une œuvre considérable.
Né en 1932 à
Tunis, Paul est devenu un économiste, historien et anthropologue
français de renommée mondiale. Fondateur de l'école qu’il nommait
« néo-marxiste » de la régulation systémique par crises, ancien membre
du comité central puis national du PCF, agrégé d'histoire, il fut maître
de conférences en sciences économiques, à l'université d’Amiens et le
principal animateur de la revue « Economie et Politique ».
Paul a
toujours avancé sur deux jambes : les idées d'abord, leur renouvellement
incessant et le lien constant à la pratique dans le laboratoire des
luttes sociales, sociétales et politiques. C'est ce qui fondait son
engagement politique indéfectible et sa totale liberté de pensée et
d'expression au sein du PCF dont il animait la section économique.
Dans cette
relation à la pratique sociale s’exprimait sa grande humanité, son
énergie son caractère unique, sa fougue méditerranéenne et son ouverture
à toutes et tous, militants, étudiants, comme intellectuels.
Paul Boccara a fait œuvre de novation, il cherchait à ouvrir vers le 21è siècle à « monter sur les épaules de Marx » pour pousser plus loin la dynamique contradictoire du capitalisme et de ses crises au 21è siècle.
Refoulé
dans les médias dominants comme dans les milieux académiques dont il
était pourtant partie prenante, ses idées marqueront loin. Il était dans
notre société, dans notre monde, empreint de tout ce qui faisait à son
sens la pensée contemporaine, sans exclusive aucune.
Paul
Boccara prolongea de façon critique les anticipations de Marx pour
devenir un théoricien de la révolution informationnelle et du
dépassement du capitalisme et du libéralisme vers ce que lui-même
appelait « une nouvelle civilisation de partages de toute l'humanité ».
Il a su
voir l'immense besoin de renouvellement au lieu de l'enfermement
mortifère dans la vulgate marxiste-léniniste ou du ralliement au
« réalisme » social-démocrate.
Il a
commencé par des recherches philosophiques sur le Capital de Marx, en
débat avec L. Althusser, R. Garaudy et M. Godelier. On retient souvent
de lui qu’il a développé la théorie du Capitalisme Monopoliste d’État,
mais on omet qu'il en a surtout théorisé la crise.
Dès
1967-1968, à partir de sa théorie de la crise de
sur-accumulation-dévalorisation du capital, inscrite dans son analyse
des cycles longs du capitalisme, il repère « la crise » et les débuts
d'une longue phase de difficultés. Il ouvre alors le chapitre fondateur
d'études fécondes sur ce qu'il appela la « révolution
informationnelle ». Dans les années 1970 il s’implique pour que le
programme commun porte une « nouvelle logique » et pour une victoire de
l’Union de la gauche.
Dans les
années 1980, pour la réussite de l’expérience de gauche et face aux
défis patronaux il dialogue avec les salariés et les syndicalistes, à
partir de leurs luttes et de ses travaux, pour faire progresser de
nouveaux critères de gestion d'efficacité sociale des entreprises
alternatifs à ceux de la rentabilité financière, convaincu du besoin de
rompre avec la vision étatiste prédominante -selon lui- chez nombre de
penseurs marxiens.
Dans les
années 1990 et 2000, il impulse de nouvelles recherches et l'élaboration
de propositions alternatives sur l'Europe et la mondialisation qui
prennent une dimension opératoire et politique considérable avec la
crise financière de 2007-2008.
Paul avait le sens de l'Histoire.
Il avait
aussi le souci de déboucher sur des propositions utiles aux luttes,
opérationnelles et radicales. Dans ce sens, il a été le créateur du
projet de « sécurité d'emploi ou de formation », devenu une proposition
centrale des propositions du PCF. Paul Boccara a toujours cherché à
articuler les enjeux de transformation radicale de la sphère économique à
ceux de la sphère « anthroponomique », c'est-à-dire tout ce qui
concerne l'ensemble des activités de « régénération humaine », jetant
ainsi des bases pour une convergence possible de toutes les luttes
(féminisme et de genre, écologique, immigration, paix, …) avec les
luttes sociales.
Ivrien de très longue date, Paul a lutté ces derniers mois avec courage contre le cancer.
Mes pensées
vont à sa compagne Catherine Mills, à ses enfants, Michel, Geneviève,
Frédéric et Charlotte, ainsi qu’à tous ses petits-enfants et à tous ceux
qui l’aimaient.
Pierre Laurent, secrétaire national du PCF,
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