Le
secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, appelle tous ceux qui
ne peuvent pas faire grève à manifester le 1er mai. Malgré le refus de
FO et de la CFDT d’organiser des cortèges communs, il ne désespère pas
de parvenir à l’unité. Il dénonce la tentative de passage en force du
gouvernement à la SNCF et promet des suites au 1er mai.
Humanité
Dimanche. Selon vous, la mobilisation a grossi et s’est élargie le
19 avril, un seuil supplémentaire peut-il être franchi le 1er mai
prochain ?
Philippe Martinez. La période reste compliquée en raison des congés scolaires. Mais notre ambition est de permettre à tous ceux qui, par peur de représailles ou parce qu’ils sont précaires ou intérimaires, ne peuvent pas faire grève en temps normal, de manifester le 1er mai puisque c’est un jour férié pour la plupart des salariés.
Humanité Dimanche. Dans les entreprises, les syndicalistes constatent un profond mécontentement de la part des salariés mais celui-ci peine à se traduire en mobilisation. Pourquoi ?
Philippe Martinez. Cela dépend de la démarche. Si des salariés se mobilisent dans leur entreprise mais ne participent pas à une mobilisation interprofessionnelle, cela veut dire que le mot d’ordre ne leur convient pas. Si le mot d’ordre est de se mobiliser pour obtenir le départ d’Emmanuel Macron, nous n’allons pas rassembler beaucoup de monde. Emmanuel Macron est là pour cinq ans. Et, en tant que syndicat, notre rôle n’est pas de débarquer qui que ce soit. Nous sommes là pour mettre en avant des revendications. Notre démarche est de partir des réalités de l’entreprise tout en organisant des temps forts interprofessionnels. Ces moments permettent de donner confiance aux salariés en lutte et de lever les oppositions. Laissez les cheminots se mobiliser seuls, c’est cultiver l’idée qu’ils défendent des privilèges. Comme le 19 avril, le 1er mai doit permettre aux salariés d’exprimer leurs revendications tout en démontrant qu’elles ont des points communs. La lutte des retraités pour l’augmentation de leur pension n’est pas différente de celles pour la hausse des salaires. Il s’agit de la même bataille pour le pouvoir d’achat. À la SNCF, à l’hôpital, à l’école ou chez EDF, c’est la même lutte pour le service public.
Humanité Dimanche. Quel sera le mot d’ordre du 1er mai ?
Philippe Martinez. C’est à la fois permettre d’exprimer les mécontentements et de défendre des propositions alternatives. C’est exiger une meilleure répartition des richesses pour augmenter les salaires, créer des emplois et développer des services publics dignes d’un pays comme le nôtre. C’est exiger des droits collectifs. On le vérifie à nouveau avec le statut des cheminots, ce que Macron vise, c’est la casse de tous les repères collectifs. Il essaie d’imposer une société individualiste où chacun se débrouille comme il peut. C’est pour cette raison qu’il s’est d’abord attaqué au Code du travail via les ordonnances. On en voit les conséquences. Dans le cadre de la négociation de la convention collective de la métallurgie, le patronat vient de proposer de travailler 11 heures de plus par semaine. Son plan est de passer à 46 heures en proposant un volume d’heures supplémentaires annuelles de 510 heures dont 280 seraient obligatoires. 280 heures obligatoires, c’est un samedi sur deux au travail.
Humanité Dimanche. Votre proposition de 1er mai unitaire a été rejetée, notamment par la CFDT et FO. Pourquoi, selon vous ?
Philippe Martinez. Je ne me l’explique pas. Je viens de lire la tribune de Laurent Berger et du secrétaire général des cheminots CFDT. C’est un texte que la CGT peut signer. Je ne comprends pas les faux prétextes que l’on nous oppose comme celui selon lequel la CGT mènerait un combat politique. Ce n’est pas le cas. Il n’est pas compréhensible qu’il y ait unité syndicale chez les cheminots, à Air France ou encore dans la fonction publique, et que les confédérations ne parviennent pas à surmonter leur différence pour permettre ensemble aux salariés de se mobiliser. Du côté de FO, j’ai noté que le futur secrétaire général se dit favorable à des mobilisations.
Humanité Dimanche. Donc, vous ne désespérez pas de parvenir à réaliser l’unité…
Philippe Martinez. Il n’y aucune raison objective aujourd’hui qui justifie que les confédérations ne soient pas en soutien aux luttes en cours qui sont quasiment toujours unitaires.
Humanité Dimanche. Depuis le 22 mars où cheminots et agents de la fonction publique ont convergé place de la Bastille, les syndicats des entreprises ou des secteurs en lutte ne parviennent pas à trouver des dates communes de mobilisation. Pourquoi ?
Philippe Martinez. Cela fait partie des discussions que nous avons avec les autres organisations syndicales. Les luttes professionnelles doivent être visibles. Il est donc normal que les organisations syndicales adoptent leurs propres calendriers. Mais, nous pensons aussi que, pour éviter que les salariés soient opposés entre eux, il faut des mobilisations communes et des journées interprofessionnelles. C’était le sens du 19 avril, ce sera le sens du 1er mai et c’est le sens que nous voulons donner aux suites du 1er mai.
Humanité Dimanche. Il y aura d’autres journées interprofessionnelles après le 1er mai…
Philippe Martinez. Nous y réfléchissons et nous voulons en discuter avec les autres organisations syndicales. Avant d’organiser le 19 avril, nous les avions invitées à se réunir le 19 mars pour faire le point sur la mobilisation et examiner les possibilités d’organiser une journée d’action interprofessionnelle. C’était un ordre du jour clair mais les autres organisations n’y ont pas répondu. Par contre, deux jours plus tard, lorsque la CFDT a proposé une réunion de secrétaires généraux, nous avons accepté. La CGT est unitaire. La situation est suffisamment difficile aujourd’hui pour que chacun mette de côté ses susceptibilités.
Humanité Dimanche. La CGT est-elle isolée aujourd’hui ?
Philippe Martinez. À la SNCF, je ne crois pas. Chez Air France, je ne crois pas. Dans la fonction publique, je ne crois pas.
Humanité Dimanche. De nombreux secteurs sont peu mobilisés malgré le fait que les raisons ne manquent pas, comme le démontre l’exemple de la tentative du patronat d’allonger le temps de travail dans la métallurgie. Comment y remédier ?
Philippe Martinez. Il y a un travail d’information et d’explication à mener auprès des salariés. Dans des secteurs comme la métallurgie, il existe de très nombreuses entreprises, dont beaucoup n’ont pas de syndicats. Cela impose de poursuivre notre effort pour aller à leur rencontre. Il y a aussi beaucoup de luttes qui ne sont pas connues car peu ou pas médiatisées. Ainsi les salariés de Daunat, le fabricant de sandwiches, se sont mis récemment en grève reconductible pour obtenir entre autres, de l’eau chaude dans les douches. C’est la preuve que, quand les salariés sont motivés, ils savent y aller.
Humanité Dimanche. La mobilisation ne souffre-t-elle pas d’un doute sur la possibilité de faire reculer le gouvernement ?
Philippe Martinez. J’ai l’habitude de dire que l’appétit vient en mangeant. Quand on parvient à marquer un point, cela donne envie d’en marquer un second. Il faut donner confiance. Cela passe par gagner et par montrer que d’autres autour de toi se mobilisent. Le 1er mai est l’occasion de se donner confiance.
Humanité Dimanche. Le gouvernement n’hésite pas à recourir à la force pour faire évacuer les universités comme celle de Paris-X Tolbiac. Pourquoi ces démonstrations de force ?
Philippe Martinez. Le gouvernement veut passer en force. Il l’a aussi démontré avec la tentative des CRS d’entrer dans le carré de tête le 19 avril. Nous avons eu plusieurs blessés, dont une camarade qui a passé la nuit à l’hôpital. C’est une façon de dire, c’est moi qui décide. Ce gouvernement ne veut pas négocier. Il fait mine de consulter. L’exemple des cheminots le démontre. Les syndicats se réunissent avec la ministre mais ils apprennent par voie de presse la filialisation du fret ou la fin du recrutement au statut à partir de 2020.
Humanité Dimanche. Pourquoi cette attitude ?
Philippe Martinez. Je vais rester poli. Disons qu’Emmanuel Macron pense que les syndicats ne servent à rien. Mais ils ne sont pas les seuls à ses yeux à ne servir à rien. Tous les corps intermédiaires pour lui sont inutiles. C’est une dérive autoritaire. Macron, c’est un peu Louis XIV. « L’État c’est moi. »
Son gouvernement refuse tout débat de fond. C’est flagrant sur le ferroviaire. Je trouve dramatique qu’un gouvernement écarte tout débat public sur cette question, qui implique pourtant de nombreux enjeux : qu’est-ce qu’une entreprise publique, quelles sont les missions d’un service public, comment préserver la planète… J’ai entendu Nicolas Hulot défendre la réforme du gouvernement. Mais je ne l’ai jamais vu dénoncer le fait que la SNCF était le premier transporteur routier de France ! Ce refus du débat vise à masquer les conséquences dramatiques qu’aura cette réforme.
Humanité Dimanche. C’est-à-dire ?
Philippe Martinez. La concurrence. Je ne connais aucun investisseur privé qui investisse dans une ligne utile aux usagers mais qui ne rapporte pas d’argent. Prenez le cas de la ligne des Alpes, qui va de Grenoble jusqu’à Digne. Elle n’est pas rentable, mais des milliers d’usagers l’empruntent chaque jour pour traverser les Alpes. Elle sera pourtant condamnée par la réforme. Autre exemple, la dette. C’est l’État qui en est responsable, en raison de ses choix passés. C’est aussi une volonté de la direction de la SNCF d’avoir un groupe présent partout dans le monde. Qu’est-ce qui justifie qu’un service ferroviaire français investisse dans des transports urbains à Las Vegas ? Pourquoi la SNCF devrait privilégier une croissance externe, posséder 1 000 filiales à l’étranger ? Tout cela coûte une fortune, mais ne rapporte rien. Il s’agit simplement de démonter que le groupe est mondialisé. C’est bien une logique importée du privé. La dette est une dette d’État, qui doit être reprise par l’État.
Humanité Dimanche. Peut-on mettre en échec le gouvernement ?
Philippe Martinez. Je ne connais aucun pouvoir qui puisse résister à une large mobilisation des salariés.
Humanité Dimanche. Constatez-vous une recrudescence des adhésions dans la période ?
Philippe Martinez. Oui, partout où on fait le boulot ! En Aveyron, par exemple, la CGT a réalisé autant d’adhésions sur les trois premiers mois de l’année 2018 que tout au long de l’année 2017. À Lille, les camarades m’expliquaient que des salariés venaient spontanément à plusieurs pour créer un syndicat. Je ne prétends pas que c’est partout ainsi. Mais quand on fait le boulot, ça paie.
Humanité Dimanche. Vous avez évoqué le 5 mai. La CGT ne veut pas faire la fête à Macron ?
Philippe Martinez. Quelles sont les revendications concrètes derrière ce mot d’ordre ? Nos objectifs, à la CGT, sont sociaux, il n’est pas question de dégager Macron. D’ailleurs, qui mettrait-on à la place ? Proposer une mobilisation quatre jours après une journée inscrite dans le paysage depuis longtemps (le 1er mai – NDLR), ce n’est pas le plus efficace pour rassembler le monde du travail. Le risque est que l’on parle plus de l’existence de ces deux dates que des travailleurs et de leurs problèmes. Cela génère des divisions.
Humanité Dimanche. Ce qui s’est passé à Marseille le 14 avril, où des partis politiques comme la FI et le NPA ont défilé aux côtés de syndicats (CGT, FSU…), est-il porteur d’espoir ?
Philippe Martinez. À Marseille, cela fait au moins quatre ans qu’ils font cela, tenter de faire converger les opposants à la politique du gouvernement. Ils menaient déjà ce genre de journées d’action sous le quinquennat Hollande.
Humanité Dimanche. Mais que pensez-vous de ce type d’initiatives, visant à réunir partis politiques et syndicats sous une même bannière ?
Philippe Martinez. Sur le principe, je n’ai rien contre rassembler le plus large possible, au contraire. Mais chacun doit jouer son rôle en conservant son identité. Des partis, associations et syndicats peuvent se retrouver ensemble, mais cela doit se faire à partir des champs d’intervention de chacun. Les syndicats et les partis politiques n’interviennent pas dans le même champ.
À la CGT, nous portons un projet social, de transformation de la société : nous voulons des services publics de qualité, davantage de pouvoir d’achat, des droits collectifs… Mais nous ne portons pas le projet d’un parti politique. Notre objectif à nous n’est pas de dégager Macron ! Ce n’est pas aux syndicats d’élaborer des alternatives politiques, c’est aux partis politiques. Par exemple, cela fait deux fois qu’un membre de la famille Le Pen est au second tour de la présidentielle, je suis inquiet pour la troisième fois. Nous alertons, à la CGT, sur les dangers de la montée de l’extrême droite, mais c’est aux partis politiques de dégager des alternatives…
Philippe Martinez. La période reste compliquée en raison des congés scolaires. Mais notre ambition est de permettre à tous ceux qui, par peur de représailles ou parce qu’ils sont précaires ou intérimaires, ne peuvent pas faire grève en temps normal, de manifester le 1er mai puisque c’est un jour férié pour la plupart des salariés.
Humanité Dimanche. Dans les entreprises, les syndicalistes constatent un profond mécontentement de la part des salariés mais celui-ci peine à se traduire en mobilisation. Pourquoi ?
Philippe Martinez. Cela dépend de la démarche. Si des salariés se mobilisent dans leur entreprise mais ne participent pas à une mobilisation interprofessionnelle, cela veut dire que le mot d’ordre ne leur convient pas. Si le mot d’ordre est de se mobiliser pour obtenir le départ d’Emmanuel Macron, nous n’allons pas rassembler beaucoup de monde. Emmanuel Macron est là pour cinq ans. Et, en tant que syndicat, notre rôle n’est pas de débarquer qui que ce soit. Nous sommes là pour mettre en avant des revendications. Notre démarche est de partir des réalités de l’entreprise tout en organisant des temps forts interprofessionnels. Ces moments permettent de donner confiance aux salariés en lutte et de lever les oppositions. Laissez les cheminots se mobiliser seuls, c’est cultiver l’idée qu’ils défendent des privilèges. Comme le 19 avril, le 1er mai doit permettre aux salariés d’exprimer leurs revendications tout en démontrant qu’elles ont des points communs. La lutte des retraités pour l’augmentation de leur pension n’est pas différente de celles pour la hausse des salaires. Il s’agit de la même bataille pour le pouvoir d’achat. À la SNCF, à l’hôpital, à l’école ou chez EDF, c’est la même lutte pour le service public.
Humanité Dimanche. Quel sera le mot d’ordre du 1er mai ?
Philippe Martinez. C’est à la fois permettre d’exprimer les mécontentements et de défendre des propositions alternatives. C’est exiger une meilleure répartition des richesses pour augmenter les salaires, créer des emplois et développer des services publics dignes d’un pays comme le nôtre. C’est exiger des droits collectifs. On le vérifie à nouveau avec le statut des cheminots, ce que Macron vise, c’est la casse de tous les repères collectifs. Il essaie d’imposer une société individualiste où chacun se débrouille comme il peut. C’est pour cette raison qu’il s’est d’abord attaqué au Code du travail via les ordonnances. On en voit les conséquences. Dans le cadre de la négociation de la convention collective de la métallurgie, le patronat vient de proposer de travailler 11 heures de plus par semaine. Son plan est de passer à 46 heures en proposant un volume d’heures supplémentaires annuelles de 510 heures dont 280 seraient obligatoires. 280 heures obligatoires, c’est un samedi sur deux au travail.
Humanité Dimanche. Votre proposition de 1er mai unitaire a été rejetée, notamment par la CFDT et FO. Pourquoi, selon vous ?
Philippe Martinez. Je ne me l’explique pas. Je viens de lire la tribune de Laurent Berger et du secrétaire général des cheminots CFDT. C’est un texte que la CGT peut signer. Je ne comprends pas les faux prétextes que l’on nous oppose comme celui selon lequel la CGT mènerait un combat politique. Ce n’est pas le cas. Il n’est pas compréhensible qu’il y ait unité syndicale chez les cheminots, à Air France ou encore dans la fonction publique, et que les confédérations ne parviennent pas à surmonter leur différence pour permettre ensemble aux salariés de se mobiliser. Du côté de FO, j’ai noté que le futur secrétaire général se dit favorable à des mobilisations.
Humanité Dimanche. Donc, vous ne désespérez pas de parvenir à réaliser l’unité…
Philippe Martinez. Il n’y aucune raison objective aujourd’hui qui justifie que les confédérations ne soient pas en soutien aux luttes en cours qui sont quasiment toujours unitaires.
Humanité Dimanche. Depuis le 22 mars où cheminots et agents de la fonction publique ont convergé place de la Bastille, les syndicats des entreprises ou des secteurs en lutte ne parviennent pas à trouver des dates communes de mobilisation. Pourquoi ?
Philippe Martinez. Cela fait partie des discussions que nous avons avec les autres organisations syndicales. Les luttes professionnelles doivent être visibles. Il est donc normal que les organisations syndicales adoptent leurs propres calendriers. Mais, nous pensons aussi que, pour éviter que les salariés soient opposés entre eux, il faut des mobilisations communes et des journées interprofessionnelles. C’était le sens du 19 avril, ce sera le sens du 1er mai et c’est le sens que nous voulons donner aux suites du 1er mai.
Humanité Dimanche. Il y aura d’autres journées interprofessionnelles après le 1er mai…
Philippe Martinez. Nous y réfléchissons et nous voulons en discuter avec les autres organisations syndicales. Avant d’organiser le 19 avril, nous les avions invitées à se réunir le 19 mars pour faire le point sur la mobilisation et examiner les possibilités d’organiser une journée d’action interprofessionnelle. C’était un ordre du jour clair mais les autres organisations n’y ont pas répondu. Par contre, deux jours plus tard, lorsque la CFDT a proposé une réunion de secrétaires généraux, nous avons accepté. La CGT est unitaire. La situation est suffisamment difficile aujourd’hui pour que chacun mette de côté ses susceptibilités.
Humanité Dimanche. La CGT est-elle isolée aujourd’hui ?
Philippe Martinez. À la SNCF, je ne crois pas. Chez Air France, je ne crois pas. Dans la fonction publique, je ne crois pas.
Humanité Dimanche. De nombreux secteurs sont peu mobilisés malgré le fait que les raisons ne manquent pas, comme le démontre l’exemple de la tentative du patronat d’allonger le temps de travail dans la métallurgie. Comment y remédier ?
Philippe Martinez. Il y a un travail d’information et d’explication à mener auprès des salariés. Dans des secteurs comme la métallurgie, il existe de très nombreuses entreprises, dont beaucoup n’ont pas de syndicats. Cela impose de poursuivre notre effort pour aller à leur rencontre. Il y a aussi beaucoup de luttes qui ne sont pas connues car peu ou pas médiatisées. Ainsi les salariés de Daunat, le fabricant de sandwiches, se sont mis récemment en grève reconductible pour obtenir entre autres, de l’eau chaude dans les douches. C’est la preuve que, quand les salariés sont motivés, ils savent y aller.
Humanité Dimanche. La mobilisation ne souffre-t-elle pas d’un doute sur la possibilité de faire reculer le gouvernement ?
Philippe Martinez. J’ai l’habitude de dire que l’appétit vient en mangeant. Quand on parvient à marquer un point, cela donne envie d’en marquer un second. Il faut donner confiance. Cela passe par gagner et par montrer que d’autres autour de toi se mobilisent. Le 1er mai est l’occasion de se donner confiance.
Humanité Dimanche. Le gouvernement n’hésite pas à recourir à la force pour faire évacuer les universités comme celle de Paris-X Tolbiac. Pourquoi ces démonstrations de force ?
Philippe Martinez. Le gouvernement veut passer en force. Il l’a aussi démontré avec la tentative des CRS d’entrer dans le carré de tête le 19 avril. Nous avons eu plusieurs blessés, dont une camarade qui a passé la nuit à l’hôpital. C’est une façon de dire, c’est moi qui décide. Ce gouvernement ne veut pas négocier. Il fait mine de consulter. L’exemple des cheminots le démontre. Les syndicats se réunissent avec la ministre mais ils apprennent par voie de presse la filialisation du fret ou la fin du recrutement au statut à partir de 2020.
Humanité Dimanche. Pourquoi cette attitude ?
Philippe Martinez. Je vais rester poli. Disons qu’Emmanuel Macron pense que les syndicats ne servent à rien. Mais ils ne sont pas les seuls à ses yeux à ne servir à rien. Tous les corps intermédiaires pour lui sont inutiles. C’est une dérive autoritaire. Macron, c’est un peu Louis XIV. « L’État c’est moi. »
Son gouvernement refuse tout débat de fond. C’est flagrant sur le ferroviaire. Je trouve dramatique qu’un gouvernement écarte tout débat public sur cette question, qui implique pourtant de nombreux enjeux : qu’est-ce qu’une entreprise publique, quelles sont les missions d’un service public, comment préserver la planète… J’ai entendu Nicolas Hulot défendre la réforme du gouvernement. Mais je ne l’ai jamais vu dénoncer le fait que la SNCF était le premier transporteur routier de France ! Ce refus du débat vise à masquer les conséquences dramatiques qu’aura cette réforme.
Humanité Dimanche. C’est-à-dire ?
Philippe Martinez. La concurrence. Je ne connais aucun investisseur privé qui investisse dans une ligne utile aux usagers mais qui ne rapporte pas d’argent. Prenez le cas de la ligne des Alpes, qui va de Grenoble jusqu’à Digne. Elle n’est pas rentable, mais des milliers d’usagers l’empruntent chaque jour pour traverser les Alpes. Elle sera pourtant condamnée par la réforme. Autre exemple, la dette. C’est l’État qui en est responsable, en raison de ses choix passés. C’est aussi une volonté de la direction de la SNCF d’avoir un groupe présent partout dans le monde. Qu’est-ce qui justifie qu’un service ferroviaire français investisse dans des transports urbains à Las Vegas ? Pourquoi la SNCF devrait privilégier une croissance externe, posséder 1 000 filiales à l’étranger ? Tout cela coûte une fortune, mais ne rapporte rien. Il s’agit simplement de démonter que le groupe est mondialisé. C’est bien une logique importée du privé. La dette est une dette d’État, qui doit être reprise par l’État.
Humanité Dimanche. Peut-on mettre en échec le gouvernement ?
Philippe Martinez. Je ne connais aucun pouvoir qui puisse résister à une large mobilisation des salariés.
Humanité Dimanche. Constatez-vous une recrudescence des adhésions dans la période ?
Philippe Martinez. Oui, partout où on fait le boulot ! En Aveyron, par exemple, la CGT a réalisé autant d’adhésions sur les trois premiers mois de l’année 2018 que tout au long de l’année 2017. À Lille, les camarades m’expliquaient que des salariés venaient spontanément à plusieurs pour créer un syndicat. Je ne prétends pas que c’est partout ainsi. Mais quand on fait le boulot, ça paie.
Humanité Dimanche. Vous avez évoqué le 5 mai. La CGT ne veut pas faire la fête à Macron ?
Philippe Martinez. Quelles sont les revendications concrètes derrière ce mot d’ordre ? Nos objectifs, à la CGT, sont sociaux, il n’est pas question de dégager Macron. D’ailleurs, qui mettrait-on à la place ? Proposer une mobilisation quatre jours après une journée inscrite dans le paysage depuis longtemps (le 1er mai – NDLR), ce n’est pas le plus efficace pour rassembler le monde du travail. Le risque est que l’on parle plus de l’existence de ces deux dates que des travailleurs et de leurs problèmes. Cela génère des divisions.
Humanité Dimanche. Ce qui s’est passé à Marseille le 14 avril, où des partis politiques comme la FI et le NPA ont défilé aux côtés de syndicats (CGT, FSU…), est-il porteur d’espoir ?
Philippe Martinez. À Marseille, cela fait au moins quatre ans qu’ils font cela, tenter de faire converger les opposants à la politique du gouvernement. Ils menaient déjà ce genre de journées d’action sous le quinquennat Hollande.
Humanité Dimanche. Mais que pensez-vous de ce type d’initiatives, visant à réunir partis politiques et syndicats sous une même bannière ?
Philippe Martinez. Sur le principe, je n’ai rien contre rassembler le plus large possible, au contraire. Mais chacun doit jouer son rôle en conservant son identité. Des partis, associations et syndicats peuvent se retrouver ensemble, mais cela doit se faire à partir des champs d’intervention de chacun. Les syndicats et les partis politiques n’interviennent pas dans le même champ.
À la CGT, nous portons un projet social, de transformation de la société : nous voulons des services publics de qualité, davantage de pouvoir d’achat, des droits collectifs… Mais nous ne portons pas le projet d’un parti politique. Notre objectif à nous n’est pas de dégager Macron ! Ce n’est pas aux syndicats d’élaborer des alternatives politiques, c’est aux partis politiques. Par exemple, cela fait deux fois qu’un membre de la famille Le Pen est au second tour de la présidentielle, je suis inquiet pour la troisième fois. Nous alertons, à la CGT, sur les dangers de la montée de l’extrême droite, mais c’est aux partis politiques de dégager des alternatives…
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