vendredi 18 juillet 2014

Syndiquer les travailleurs étrangers 1913-1914 : la CGT face à la « main d’œuvre étrangère »

Les grèves de sans-papiers dans le secteur de la restauration, du nettoyage et du bâtiment en 2009 ont rappelé le caractère décisif de la syndicalisation des travailleurs étrangers. Il l’est encore plus en pleine montée du nationalisme qui divise les travailleurs selon leurs origines. Mais cette question n’est pas nouvelle. Terrains de luttes publie les bonnes feuilles d’un ouvrage à paraître de Guillaume Davranche qui revient sur le mouvement ouvrier face à la montée du nationalisme avant la Grande guerre. (Pour aider à sa publication, souscrivez).
Si le travail d’organisation de la main d’œuvre étrangère (MOE) effectué par la CGTU dans l’Entre-deux-guerres est assez bien documenté, on connaît beaucoup moins l’œuvre accomplie en ce domaine par la CGT d’avant 1914.
Il est pourtant assez conséquent.
Alors que, depuis 1911, le mouvement ouvrier est confronté à un renouveau nationaliste, et que le journal conspirationniste d’Emile Janvion, Terre libre, travaille à faire renaître l’antisémitisme dans la classe ouvrière, l’année 1914 voit se profiler un nouveau péril : le risque d’une montée xénophobe à l’égard des ouvriers étrangers.
Avec l’allongement du service militaire à trois ans, le maintien d’une classe d’âge une année de plus à la caserne va en effet conduire le patronat à importer davantage de main d’œuvre étrangère [1]. Pour les syndicalistes, c’est un véritable défi.
Rappelons qu’à l’époque, il n’existe pas de salaire minimum garanti, et que le patronat sous-paie les étrangers : parlant mal la langue, privés de droits, vivant avec l’épée de Damoclès d’une expulsion du territoire, ils se défendent peu.
L’enjeu, pour la CGT, est de les syndiquer et de les aider à organiser des luttes pour empêcher une pression à la baisse des salaires. Mais la tâche est ardue. La fédération des Métaux, qui y a travaillé sans succès pendant des années, a tiré la sonnette d’alarme dès l’été 1913.

Rouges et jaunes en Lorraine
De 1905 à 1907, deux futurs secrétaires des Métaux, Marius Blanchard et Alphonse Merrheim, ont arpenté la Lorraine métallurgique et minière, véritable terre de mission, vierge de toute organisation ouvrière, pour y implanter la CGT. En Meurthe-et-Moselle, notamment, le patronat a l’habitude de recruter en masse des ouvriers italiens, allemands, belges et luxembourgeois. Dans cette région, les tensions xénophobes entre communautés sont palpables jusqu’au fond des mines où, le long des galeries, fleurissent les inscriptions à la craie contre les « Piques » (Allemands), les « Français », les « Boyaux » (Belges), les « Italboches » ou les « Ours » (Italiens). Avant le travail d’implantation de la CGT en 1905, cette région avait d’ailleurs connu davantage de grèves anti-italiennes qu’anti­patronales [2].

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