Les grèves de sans-papiers dans le secteur de la
restauration, du nettoyage et du bâtiment en 2009 ont rappelé le caractère
décisif de la syndicalisation des travailleurs étrangers. Il l’est encore plus
en pleine montée du nationalisme qui divise les travailleurs selon leurs
origines. Mais cette question n’est pas nouvelle. Terrains de luttes publie les
bonnes feuilles d’un ouvrage à paraître de Guillaume Davranche qui revient sur
le mouvement ouvrier face à la montée du nationalisme avant la Grande guerre.
(Pour aider à sa publication, souscrivez).
Si le travail d’organisation de la main d’œuvre étrangère
(MOE) effectué par la CGTU dans l’Entre-deux-guerres est assez bien documenté,
on connaît beaucoup moins l’œuvre accomplie en ce domaine par la CGT d’avant
1914.
Il est pourtant assez conséquent.
Alors que, depuis 1911, le mouvement ouvrier est confronté à
un renouveau nationaliste, et que le journal conspirationniste d’Emile Janvion,
Terre libre, travaille à faire renaître l’antisémitisme dans la classe
ouvrière, l’année 1914 voit se profiler un nouveau péril : le risque d’une
montée xénophobe à l’égard des ouvriers étrangers.
Avec l’allongement du service militaire à trois ans, le
maintien d’une classe d’âge une année de plus à la caserne va en effet conduire
le patronat à importer davantage de main d’œuvre étrangère [1]. Pour les
syndicalistes, c’est un véritable défi.
Rappelons qu’à l’époque, il n’existe pas de salaire minimum
garanti, et que le patronat sous-paie les étrangers : parlant mal la langue,
privés de droits, vivant avec l’épée de Damoclès d’une expulsion du territoire,
ils se défendent peu.
L’enjeu, pour la CGT, est de les syndiquer et de les aider à
organiser des luttes pour empêcher une pression à la baisse des salaires. Mais
la tâche est ardue. La fédération des Métaux, qui y a travaillé sans succès
pendant des années, a tiré la sonnette d’alarme dès l’été 1913.
Rouges et jaunes en Lorraine
De 1905 à 1907, deux futurs secrétaires des Métaux, Marius
Blanchard et Alphonse Merrheim, ont arpenté la Lorraine métallurgique et
minière, véritable terre de mission, vierge de toute organisation ouvrière,
pour y implanter la CGT. En Meurthe-et-Moselle, notamment, le patronat a
l’habitude de recruter en masse des ouvriers italiens, allemands, belges et
luxembourgeois. Dans cette région, les tensions xénophobes entre communautés
sont palpables jusqu’au fond des mines où, le long des galeries, fleurissent
les inscriptions à la craie contre les « Piques » (Allemands), les « Français
», les « Boyaux » (Belges), les « Italboches » ou les « Ours » (Italiens).
Avant le travail d’implantation de la CGT en 1905, cette région avait
d’ailleurs connu davantage de grèves anti-italiennes qu’antipatronales [2].
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