« Comme l’art et la littérature, le football-rhizome est la
résultante de la créolisation, c’est l’opacité inextricable de la rencontre des
cultures et des politiques. » L'écrivain Aliocha Wald Lasowski nous livre une
lecture des équipes américaines à travers la pensée philosophique d’Édouard
Glissant.
Le philosophe et écrivain Edouard Glissant, penseur de la
mondialité et de la créolisation, avait-il pressenti le succès des sélections
d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale dans cette coupe
du monde 2014 ?
Disparu en 2011, Edouard Glissant était lui-même un grand
sportif. Amateur de basketball, il aimait défier sur le playground ses
étudiants de la Louisiana State University, où il enseigna pendant plusieurs
années. Comme en écho à l’unité-diversité des huit équipes des Amériques
présentes en huitième de finale le 28 juin dernier (Brésil, Argentine, Mexique,
Colombie, Uruguay, Costa Rica, Chili et Etats-Unis), l’œuvre de Glissant, grand
admirateur de l’écrivain des plantations du Sud et du Mississippi, William
Faulkner, auquel il consacra un livre en 1998 (grande année du football),
manifeste une passion latino-américaine et inscrit la relation transatlantique
au cœur du Tout-monde.
Des Sierras mexicaines aux plaines d’Argentine, où, pendant
longtemps, rappelle Glissant, se sont effectués le débarquement, le partage et
la distribution des esclaves par les puissances européennes du Vieux Continent,
ces archipels de l’hispanité que sont les pays d’Amérique incarnent les audaces
de la modernité, le bouillonnement volcanique d’un football du Tout-monde,
comme un chaos-monde incertain de lui-même, dans ses convulsions et ses
dérélictions.
Nations férocement rivales, mais fondatrices de beautés
nouvelles, les pays des Amériques déploient un football marqué par la ferveur
du peuple et la passion des supporters. Par-dessus le silence où se terrèrent
les cultures et les langues andines, mayas, taïnos ou arawaks, se soulève
aujourd’hui la clameur qui chante les exploits des Sud-Américains, dans toutes
les rues de Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Recife ou Brasilia, ces
villes-monde où se jouent les matchs de la compétition. Quelle excitation pour
l’imaginaire ! Dans les stades de football, véritables places avancées de la
néo-America, s’expérimente la multiplicité, l’étincellement créole ou caraïbe,
d’après les mots de Glissant, où se mêle l’art baroque et infini de la
relation, où se croisent latinité, négritude et africanité. Comme l’art et la
littérature, le football-rhizome est la résultante de la créolisation, c’est l’opacité
inextricable de la rencontre des cultures et des politiques.
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