Philosophe érudit, orateur brillant, journaliste flamboyant,
Jaurès a su aussi montrer de remarquables qualités d’historien.
Indissociablement socialiste et républicain, il ne pouvait se désintéresser de
ce moment fondateur que fut la Révolution française.
À la fin du XIXe siècle, le socialisme émergent avait besoin
d’affirmer son ancrage dans le sol du progressisme et de l’esprit
révolutionnaire. En 1898, l’éditeur Jules Rouff propose à Jean Jaurès le projet
de ce qui va devenir L’Histoire socialiste 1789-1900. Parue en 13 volumes, de
1900 à 1908, elle est rédigée entièrement par des socialistes. Tous pourtant ne
sont pas là. Quand l’ouvrage paraît, le socialisme français n’est pas encore
réunifié et Jaurès, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas que des amis. Son
rival, Jules Guesde, a ainsi refusé vivement de prendre la plume. Mais le
député de Carmaux réussit malgré tout à réunir une palette brillante et
diverse, des "guesdistes" (Louis Dubreuilh) aux "possibilistes"
(Paul Brousse).
« Matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet »
Lui-même décide de rédiger les volumes consacrés à la
Révolution française, publiés entre 1901 et 1904, juste avant la fondation de
l’Humanité et la création de la SFIO. Pour ce faire, il puise pendant trois ans
dans une documentation impressionnante. Il en tire une somme qui va constituer
une rupture dans l’historiographie de la Révolution. Ses bases intellectuelles
? La pensée de Marx, bien sûr, que Jaurès, parfaitement germanophone, est un
des rares en France à avoir fréquenté dans le texte original. Mais on sait que
Jaurès entend conjuguer rigueur et éclectisme. Il ne veut pas d’une, mais d’«
une triple inspiration de Marx, Michelet et Plutarque ». Ailleurs, il dit qu’il
veut être « matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet ».
Jaurès croit au poids des déterminations
"lourdes", celle des structures économiques et sociales et de leurs
contradictions, qui structurent l’arrière-plan de l’action des hommes. Pas de
compréhension, donc, de la Révolution sans regard sur le capitalisme en
gestation. Mais le poids des superstructures n’annule pas l’impact de la
volonté des individus et des groupes. Le grand apport de Jaurès, en rupture
avec l’historiographie de l’époque, tournée vers les "sommets", les
gouvernements et les assemblées (c’est l’histoire telle que la décrit
brillamment le radical Alphonse Aulard), est de porter le regard sur "le
bas", les luttes urbaines et rurales qui ponctuent la chronologie
révolutionnaire.
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