lundi 13 novembre 2023

Halte à la hausse des prix : 5 solutions pour s’attaquer aux vraies raisons de l’inflation

Face à la flambée des prix qui, depuis deux ans, bouleverse la vie de millions de Français, le gouvernement refuse obstinément de prendre des mesures structurelles. Depuis la taxation des superprofits jusqu’à la nécessaire réforme du marché de l’énergie, l’Humanité Magazine propose cinq pistes concrètes pour s’attaquer aux vraies raisons de l’inflation.

L’inflation ralentit mais les prix sont loin d’être revenus à leur niveau d’avant l’envolée. Selon l’Insee, les prix à la consommation ont ainsi augmenté sur un mois de 0,1 % en octobre, après – 0,5 % en septembre. Sur un an, la hausse s’élève, en octobre, à 4 %, tout en demeurant bien plus forte sur certains produits, notamment alimentaires (+ 21,3 % entre août 2022 et 2023). Face à ce constat le gouvernement se targue d’avoir agi en multipliant les « demandes » aux distributeurs avec une efficacité des plus limitées, pourtant les solutions existent pour le pouvoir d’achat. L’Humanité Magazine en passe cinq au crible.

1. Réindexer les salaires sur l’inflation

C’était la proposition phare de la CGT et de FO pour la conférence sociale du 16 octobre, balayée d’un revers de main par l’exécutif. L’indexation des salaires sur l’inflation était en vigueur en France jusqu’en 1982 et le tournant de la rigueur. À la sortie de la crise du Covid, cette mesure est réapparue dans le débat public, faisant l’objet de propositions de loi communistes et insoumises à l’Assemblée nationale. En octobre 2022, 87 % des Français se déclaraient favorables à la mesure, selon un sondage Ifop. Mais, ni le Medef, ni l’exécutif ne sont enclins à répondre à cet impératif social.

Lors de la conférence sociale, arrachée par l’intersyndicale, Bruno Le Maire a dépeint cette revendication comme une « impasse ». Et le ministre de l’Économie d’ajouter : « En Belgique, où les salaires sont indexés sur l’inflation, le taux d’emploi est à 66 %, contre 68 % en France. » À l’entendre, la mesure serait un frein à l’objectif d’un taux d’emploi de 80 % d’ici dix ans. « Le gouvernement et la BCE ont l’angoisse d’une boucle prix-salaires. Mais dans les pays où l’indexation des salaires existe, comme en Belgique et au Luxembourg, la croissance est supérieure à la nôtre et le chômage est plus faible », rétorque Sophie Binet.

Selon la secrétaire générale de la CGT, « contrairement à la boucle prix-salaires, c’est la boucle prix-profits qui plonge le pays dans la difficulté sociale ». Précisant que « dans l’alimentaire, le taux de marge est passé de 30 % à 45 % entre 2021 et 2022 ». À ce propos, les économistes du Fonds monétaire international (FMI) estiment que les profits ont « joué un large rôle, contribuant à 45 % de l’inflation » du début 2022 au début 2023, dans les économies européennes.

Au-delà de l’indexation des salaires sur l’inflation, l’ensemble de l’intersyndicale s’accorde pour réclamer « une augmentation du Smic et des politiques salariales dans les branches, les entreprises et la fonction publique ». Les raisons ne manquent pas. Entre août 2021 et août 2023, les prix alimentaires ont progressé de 21,3 %. Et, selon une étude Harris Interactive, si 91 % des Français pensent que l’inflation doit constituer une priorité du gouvernement, 81 % estiment que l’exécutif n’en fait pas assez.

2. Augmenter le Smic à 2 000 euros brut

Actuellement d’un montant de 1 747,20 euros brut (1 383,09 euros net), le Smic mérite un sérieux coup de pouce. La CGT propose de l’augmenter à 2 000 euros brut« Une part de plus en plus nombreuse de travailleurs ne peuvent plus prendre trois repas par jour. Pour celles et ceux qui arrivent à remplir leur frigo, le déclassement existe, tance Sophie Binet. L’augmentation du Smic doit s’accompagner d’une conditionnalité des aides publiques aux entreprises, qui représentent 200 milliards, soit le tiers du budget de l’État. »

Par ailleurs, la CGT veut faire de ce Smic à 2 000 euros le « point de départ de toute grille de salaires et de traitements », alors que 40 % des branches professionnelles ont des minima sociaux en dessous de l’actuel Smic. Ce montant serait aussi un « socle minimal de référence » pour les privés d’emploi, retraités et jeunes en contrat de professionnalisation ou d’apprentissage.

« Nous en avons tous envie. Augmenter le Smic, c’est sympathique, mais les résultats économiques derrière, c’est de menacer l’emploi des plus fragiles et des non-qualifiés ! » a asséné Bruno Le Maire durant la conférence sociale, le 16 octobre, qui écarte aussi toute augmentation générale des salaires décidée par l’État. Pourtant, selon Eurostat, au 1er janvier 2023, la France ne se situait qu’à la sixième place des pays imposant le salaire minimum le plus élevé, derrière le Luxembourg, l’Allemagne (1 997 euros), les Pays-Bas (1 995 euros), la Belgique (1 955 euros) et l’Irlande (1 910 euros).

3. Imposer un contrôle sur les marges

Depuis plusieurs mois, les profits des entreprises alimentent la flambée des prix et c’est le FMI qui le dit dans une étude qui a fait couler beaucoup d’encre cet été : les bénéfices des entreprises de la zone euro contribuent à hauteur de 49 % à la hausse des prix au premier trimestre 2023, devant les salaires, les coûts de l’énergie, etc. Le FMI ne s’intéresse pas spécifiquement à l’Hexagone, mais l’Insee nous apprend que le taux de marge des sociétés non financières y a atteint le chiffre stratosphérique de 33,2 % au deuxième trimestre 2023. Entre 1950 et 2022, jamais ce taux n’avait atteint un tel niveau.

Les entreprises du CAC 40 sont évidemment les grandes gagnantes de la période. Selon les données de Scalens (une entreprise de data spécialisée dans les sociétés cotées) transmises à l’Humanité, 24 sociétés du CAC 40 voient flamber de 20 % leurs marges opérationnelles au premier semestre 2023. Si les patrons s’étaient contentés de répercuter sur leurs prix la hausse de leurs coûts de fabrication, ces marges auraient stagné.

Conclusion logique : pour freiner la flambée des tickets de caisse, il est nécessaire de s’intéresser à la manière dont sont formés les prix au niveau des entreprises. C’est l’un des combats portés par l’économiste communiste Denis Durand« Un blocage administratif des prix ne suffira pas, souligne-t-il. Il faut agir sur la fixation des marges là où elles se décident, dans les entreprises. Les mieux placés pour en avoir connaissance, pour signaler les abus au public et, le cas échéant, pour en saisir l’administration, sont les salariés de ces entreprises eux-mêmes. »

Mettre cette idée en pratique implique deux conditions, poursuit-il : « Un renforcement des effectifs et des moyens des services de Bercy (le ministère de l’Économie), et l’exercice de nouveaux droits d’accès à l’information économique par les institutions représentatives du personnel, avec de nouveaux pouvoirs d’intervention et de décision pour imposer des changements dans la politique de prix de l’entreprise. »

4. Taxer les superprofits pour financer des politiques de justice

Revendication portée par une bonne partie de la gauche et des syndicats, la création d’une véritable taxe sur les profits des grands groupes permettrait de lever l’argent nécessaire à une politique de redistribution, à destination des plus précaires, premières victimes de l’inflation. Une proposition européenne défendait l’idée de prélever 33 % sur la part des bénéfices supérieurs de 20 % à ce qu’ils étaient ces trois dernières années, dans les entreprises des secteurs qui ont le plus profité de la crise. Cela semble peu, mais pour Total seulement, les surprofits s’élèvent à 7,66 milliards d’euros pour 2022.

Une telle taxe pourrait ainsi rapporter 10 à 20 milliards d’euros. Impossible néanmoins de se mettre d’accord sur une liste de profiteurs : faut-il ajouter ceux qui ont bénéficié de la pandémie ? Des guerres ? « Une taxe sur les superprofits n’est pas miraculeuse. Elle ne va pas régler les injustices fiscales. Mais elle reste un symbole fort », nous disait à ce propos Vincent Drezet, porte-parole d’Attac à la tête de l’Observatoire de la justice fiscale.

Si le besoin d’une telle taxe exceptionnelle se fait ressentir, c’est que la fiscalité sur les grandes entreprises dysfonctionne. En premier lieu, les grandes entreprises bénéficient toutes de niches fiscales (pour un total de 94 milliards d’euros !) contre 30 % des PME. Ces ristournes, dont l’efficacité n’est jamais évaluée et qui sont distribuées sans condition, plombent l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés et créent une injustice flagrante : proportionnellement, les PME sont bien plus imposées que les grands groupes.

En outre, ce sont les multinationales qui ont aussi accès aux schémas d’évasion ou d’optimisation. Elles font artificiellement apparaître leurs profits dans leurs filiales des territoires où les taux d’imposition sont les plus faibles. C’est notamment ces méthodes qui ont permis à Total, malgré ses 20 milliards de bénéfices, de ne pas en déclarer en France.

Pour cela, la taxation unitaire – prendre la juste part qui nous revient sur les bénéfices mondiaux – serait l’outil adéquat : elle permettrait, selon les calculs d’Attac, d’imposer les bénéfices des multinationales jusqu’à 22 fois plus que ce qu’elles paient aujourd’hui. Car 1 000 milliards de dollars de bénéfices échappent ainsi chaque année aux administrations fiscales. C’est plus de 40 milliards d’euros pour la France, soit 15 milliards de recettes d’impôt sur les sociétés non perçues.













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