dimanche 19 novembre 2023

Travailleurs des plateformes : gare à la directive européenne empoisonnée

Seulement, à mesure de l’avancée des négociations - commencées sous la présidence française de l’Union européenne début 2022 - la proposition de directive n’a cessé de s’appauvrir. Dès le départ, en décembre 2021, la proposition de la Commission européenne introduit une liste de critères pour bénéficier de la présomption de salariat. Ainsi, au lieu de définir les notions « plateforme de travail » et de « travailleur de plateforme », puis de qualifier d’employeurs et de salariés (méthode qui avait été privilégiée par la gauche européenne dans sa proposition de texte), la directive imposerait d’autres éléments obligatoires pour bénéficier de la présomption : que la plateforme détermine les plafonds du niveau de rémunération, supervise l’exécution de l’activité, restreigne la liberté de choisir son horaire de travail, ses périodes d’absence ou la possibilité de recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants, etc. Plus le nombre de « critères de subordination » à remplir serait important, plus le déclenchement de la présomption serait difficile, et plus les plateformes pourraient s’exonérer de leurs responsabilités d’employeur.

Surtout, le texte pourrait contenir des exemptions permettant aux États membres de ne pas appliquer la présomption de salariat, notamment si un système de négociation et de « dialogue social » entre les plateformes et leurs travailleurs « indépendants » était instauré... Ce que la France a récemment mis-en-place avec la création de l’ARPE (Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi) (1) dont l’un des objectifs affichés est de faciliter la négociation et la conclusion d’accords entre les plateformes, les livreurs et les chauffeurs. Si les plateformes négocient sur les thèmes des critères de subordination, cela pourrait soustraire ces critères du risque de déclenchement de la présomption, rendant de fait impossible son application. Un procédé qui ressemble par ailleurs à ce qui avait déjà été tenté sur le plan national, mais censuré par le Conseil constitutionnel : l’établissement de chartes dites de « responsabilité sociale » écrite par les plateformes qui les exempteraient du risque de requalification des travailleurs en salariés (2). Si elle devait être admise, cette exemption par la négociation annihilerait l’intérêt même de la directive : imposer le respect des droits sociaux aux plateformes de travail dans tous les pays de l’Union européenne (3).

Cette dernière phase de négociation d’une « directive plateforme » va alors sceller son destin : celui d’un texte peu contraignant qui légitime les stratégies pernicieuses du capitalisme de plateforme, ou celui d’un texte plus exigeant qui impose le respect des droits et des travailleurs aux modèles qui prétendent s’en exempter. La première voie ouvrirait la celle d’une accélération de la contamination de ces modèles, déjà en cours, à d’autres secteurs d’activités (services à la personne, Ehpad…) (4). La seconde, en revanche, y mettrait un terme. Le message est donc clair : mieux vaut pas de directive qu’un texte au-rabais.

Barbara Gomes

membre du CN


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