Ouragans
ou inondations : l’été qui s’achève a sévèrement frappé les pays en
développement et replace sur le devant de la scène l’enjeu de les
soutenir face aux changements climatiques.
Son
nom est d’ores et déjà gravé dans l’histoire: Irma, l’ouragan le
plus intense qu’ont jamais connu les Caraïbes, a ravagé la région
avec des vents de plus de 350 km/h. Le bilan est lourd. Hier,
les secours français faisaient état d’au moins 5 morts et une
cinquantaine de blessés sur l’île de Saint-Martin, dont les
infrastructures sont détruites à 95 %. Classé en catégorie 5, Irma
n’a pas fini sa course. L’ouragan devrait atteindre la Floride ce
week-end, après être passé au nord d’Haïti. Si l’île est touchée,
rien n’exclut que les pertes y soient pires qu’ailleurs, tant le pays est mal préparé à faire face aux vents ravageurs. Dernier
événement en date d’un été à la météo meurtrière, Irma s’a che
ainsi comme une fenêtre ouverte sur un futur inquiétant, dans lequel
les épisodes clima- tiques deviendront de plus en plus assassins,
notamment vis-à-vis des plus pauvres. Fatalité ? Non, quand des
solutions d’adaptation existent et que le nombre de victimes reflète
d’abord une inaction politique coupable.
C’est une petite phrase qui a fait le tour du globe en
l’espace de quelques heures et marqué les esprits. « Je ne savais pas
qu’un cyclone arrivait. On ne reçoit pas l’électricité ici, donc on ne
peut pas avoir d’informations ». Mercredi, alors qu’Irma balayait les
Caraïbes et semblait foncer droit sur Haïti, Jacquie Pierre, habitant de
l’île, balançait à la face du monde - du moins de monde occidental -,
la réalité crue de son pays. Livrés à eux-mêmes face au pire ouragan
qu’a connu la région, les haïtiens n’avaient pas même la possibilité de
s’y préparer, faute d’accès aux infrastructures les plus élémentaires.
Les vents ont-ils finalement déferlés sur l’île ? On ne le
savait pas hier, à l’heure de boucler nos pages : l’ouragan n’était
attendu dans le secteur que durant la nuit. Le cas échant, le pire était
redouté. Seule la partie nord-est du pays était menacée, mais 2,2
millions de personnes étaient néanmoins concernées (lire ci-après),
avec, en outre, cette singularité de compter au nombre des plus
vulnérables de la planète. Car une chose est claire en matière de
catastrophes naturelles : « Qu’il s’agisse d’ouragan ou séismes, le
nombre de victimes est directement lié au niveau de développement des
régions », explique Stéphane His, expert climat à l’AFD (Agence
française de développement). Alors qu’Haïti figure à la liste des pays
le plus pauvres de la planète, « il y a fort à craindre que si Irma s’y
abat, elle fasse énormément de victimes, peut-être plus qu’ailleurs. »
3000 morts cet été dont 1500 en Inde
Queue de comète (a priori) d’une saison durant laquelle la
météo aura été particulièrement assassine dans les pays du sud,
l’ouragan jette ainsi un coup de projecteur sur l’autre réalité du
changement climatique. Si la hausse des températures globales engendre
partout une intensification des évènements météorologiques, ceux-ci ne
tuent pas au hasard.
« Les derniers mois nous l’ont rappelé dramatiquement »,
souligne Armelle Lecompte, chargée de campagne climat pour l’ONG de
développement Oxfam-France. Marqué au nord comme au sud par une série de
pluies et d’ouragans plus puissants qu’à l’accoutumée, l’été a été
particulièrement meurtrier dans les pays en développement. Sur les plus
de 3000 morts survenus depuis le mois de juin, à peine 70 sont
comptabilisées dans les pays industrialisés. L’Inde, le Bengladesh et le
Népal en comptent à eux seuls plus de 1500, le Sierra Léone plus de 500
(lire ci-dessous).
La réalité vaut aussi à l’échelle d’une même région et
d’un même évènement. En octobre dernier, l’ouragan Matthew déferlait
d’une traite sur Haïti et les Etats-Unis. Bilan : 1000 morts pour la
première, contre 19 aux USA.
Cela vaut, enfin, à l’échelle d’un même pays, y compris
pour la France, dont les populations d’Outre mer s’avèrent
singulièrement vulnérables. Certes – c’est une lapalissade de le dire -,
ces territoires sont plus exposés que la métropole aux ouragans. « Mais
la politique d’abandon par l’Etat et le taux de pauvreté, parmi les
plus élevés de France, finissent de fragiliser les habitants », estime
Françoise Vergès, politologue, spécialiste des territoires d’outre-mer
et titulaire de la chaire « Sud global » à la Maison des sciences de
l’homme. « Dès qu’il y a un cyclone, les gens se précipitent pour
accumuler eau et autres nécessités comme l’essence, car ils craignent, à
juste titre, de manquer », raconte-t-elle, vilipendant en outre des
plans d’aménagement qui fleurent bon, le post-colonialisme. « Les
bâtiments sont souvent construits sur un modèle français. De façon
générale, l’urbanisation ne tient compte ni des cyclones, ni de la force
des pluies, avec du bétonnage partout qui favorise les inondations »,
poursuit-elle, n’hésitant pas à dénoncer une discrimination entre noirs
et blancs. « L’anthropocène (cette nouvelle ère qui voit l’activité
humaine devenir force géologique, au point de transformer la météo,
NDLR) est racialisée », acène-t-elle. « Les populations les plus
discriminées sont évidemment les pauvres, qui, dans ces territoires,
sont des Noirs, des descendants d’esclaves.»
Si ce dernier point regarde strictement les politiques
françaises, l’enjeu de soutenir les pays les plus pauvres face aux
effets du changement climatique traverse quant à lui les débats
internationaux depuis plusieurs années. A mesure que le réchauffement se
confirmait, il est même devenu un point central des négociations
climatiques, qui se déroulent depuis près de 25 ans sous l’égide de
l’ONU. « En 1997, quand le protocole de Kyoto (1) a été signé, on en
parlait très peu », reprend Stéphane His, de l’AFD. « A l’époque, on
espérait encore pouvoir réduire suffisamment vite les émissions de gaz à
effet de serre (GES), de façon à empêcher la hausse des températures. »
La désillusion s’imposera durant les années 2000. « Quand il est devenu
évident que nous n’éviterions pas une hausse des températures (d’au
moins 1,5°C, NDLR), il est du même coup devenu évident qu’il fallait
consacrer des moyens pour s’y adapter ». Reconnus comme principaux
responsables du réchauffement du fait de leurs taux d’émissions
historiquement élevés, les pays industrialisés se voient, depuis, sommés
de mettre la main au portefeuille pour aider ceux en développements,
entre autre pour leur permettre de faire face aux aléas climatiques.
En 2015, la COP21 et l’accord de Paris sur le climat ont
finit de consacrer cet enjeu. Cette année là, les pays dits du nord se
sont engagés très officiellement à verser 100 000 milliards de dollars
par an de financements climat pour soutenir ceux dits du sud. Où en
est-on deux ans plus tard ? Près de 60 milliards de dollars sont
aujourd’hui versés chaque année par les pays industrialisés à ceux en
développement. « Mais sur cette sommes, 16% seulement sont consacrés à
l’adaptation », reprend Armelle Le Comte, d’Oxfam. « A l’horizon 2020,
l’OCDE estime que cette part ne dépassera pas les 20%. » Le reste est
destiné aux mesures dites d’atténuation, visant essentiellement le
développement des énergies propres.
Les états-Unis font perdre deux milliards de dollars
Un déséquilibre notable, quand l’accord de Paris lui-même
invite à une répartition plus partagée, qui trouve sa source chez les
bailleurs eux-mêmes. « Une très large partie de cet argent est versé
sous forme de prêts et provient du secteur privé », explique Armelle Le
Comte. « Or celui-ci attend des retours sur investissements », poursuit
la responsable. S’il est facile d’en espérer sur une centrale solaire,
la construction d’infrastructures urbaines ou de système d’alerte des
populations sont des secteurs moins prometteurs, note-t-elle encore,
insistant sur une revendication exprimée par beaucoup : « Les pays en
développement ont impérativement besoin d’argent public. »
Les prochaines sessions de discussions qui se tiendront en
décembre prochain à Bonn, en Allemagne, remettront le sujet sur le
tapis. Avec cette difficulté en sus, venue s’ajouter au débat depuis la
COP21 : les Etats-Unis, qui avaient promis de verser 3 milliards de
dollars au Fonds vert pour le climat d’ici 2019, se sont retirés de
l’accord de Paris, après n’en avoir crédité qu’1 milliards. Alors que la
réalité du changement climatique les frappe sévèrement à leur tour, le
congrès qui doit se réunir à l’automne reviendra-t-il sur cette décision
de ne pas participer à l’effort international ? Dans le cas contraire,
démonstration est faite que leur argent manquera cruellement aux pays
vulnérables.
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