1. L'ENTREPRISE FAIT SA LOI
L’accord d’entreprise prime.
La loi El Khomry l’avait initiée, ces ordonnances
parachèvent l’inversion de la hiérarchie des normes. Derrière cette
expression, se cache un principe fondateur de notre droit du travail.
Jusqu’à présent, le Code du travail primait sur toute autre forme
d’accord émanant de la branche professionnelle ou d’une entreprise, à
moins que ces derniers soient plus favorables aux travailleurs. Tout est
envoyé cul par-dessus tête. Le Code du travail ne fixera plus que des
seuils minimalistes, adaptables au niveau de chacune des branches
professionnelles chargées de définir des règles communes de
fonctionnement au sein d’un même secteur économique. Règles que les
entreprises auront tout le loisir de contourner via toute une série
d’outils distillés au fil des cinq ordonnances. Alain Griset, le
président de l’U2P (artisans et indépendants), était sans doute le plus
heureux de cette évolution. Car, ces contournements s’offrent aux
petites entreprises. Jusqu’ici, en l’absence de délégué syndical,
celles-ci devaient se conformer à la loi et aux accords de branche.
Désormais, les petits patrons auront la possibilité de passer outre en
téléguidant des négociations maison (voir par ailleurs).
Accords compétitivité-emploi survitaminés.
Symbole de cette prime donnée aux accords d’entreprise, le
gouvernement offre un recours généralisé aux accords compétitivité
emploi. « Il s’agit d’une mesure majeure, reconnaissait Muriel Pénicaud,
hier. Nous donnons la possibilité aux entreprises de s’adapter vite à
une hausse ou une baisse de l’activité économique par des accords
simplifiés. » Ces accords étaient jusqu’alors l’apanage de grosses PME
ou multinationales (Renault et PSA, par exemple) en proie à des
difficultés, souhaitant jouer sur le temps de travail, la rémunération
et la mobilité de leurs salariés, dans un laps de temps réglementé, en
échange d’une garantie de niveau d’emploi. Les négociations menant à ce
genre d’accord vont être « simplifiées », expliquait la ministre du
Travail. Et malheur aux salariés qui s’y opposeraient. Leur éviction ne
sera plus considérée comme un licenciement économique. Adieu les
indemnités et droits au reclassement afférents.
Contrats de chantier, CDD au rabais.
Les promoteurs des ordonnances insistaient tout de même,
hier, sur le rôle central des branches professionnelles pour la fixation
des salaires minimums, des grilles de qualification, des politiques de
formation, de prise en compte de la pénibilité et de l’égalité
professionnelle femmes-hommes, ainsi que du choix des complémentaires
santé. Une façon de souligner que le dumping social tous azimuts entre
entreprises d’un même secteur économique avait été évité. Les branches
sont dotées d’une nouvelle prérogative : celle du contrat de chantier,
dont les modalités étaient jusqu’alors fixées par la loi. Chacune pourra
bientôt fixer par la négociation les règles permettant aux entreprises
concernées de recourir à ce genre de contrat plus précaire et moins
protecteur qu’un CDD. Il n’en reste pas moins que les textes
gouvernementaux offrent à la négociation, au niveau de l’entreprise, les
moyens de contourner ces seuils fixés par la branche. Un exemple
mentionné par le gouvernement ? Une prime d’ancienneté « imposée par la
branche » pourra, après négociation d’entreprise, être détournée pour
autre chose, comme le financement d’une garde d’enfant.
2. LE LICENCIEMENT DEVIENT PRESQUE UNE FORMALITÉ
La rupture conventionnelle collective sortie du chapeau.
C’est la grosse surprise de la journée. Alors que le gouvernement
souhaitait inscrire dans le Code du travail les plans de départ
volontaires (PDV), il a fi nalement proposé à la place une rupture
conventionnelle collective. Dans le PDV, la prime de départ est
incitative, donc en générale supérieure à celle d’un plan de sauvegarde
de l’emploi. Désormais, la négociation sera menée sur le modèle des
ruptures conventionnelles individuelles, qui donnent souvent lieu à des
indemnités bien moindres, beaucoup d’employeurs se contentant de verser
l’équivalent de l’indemnité légale de licenciement. Leur nombre est
d’ailleurs en explosion depuis leur création en 2008, avec 35 700
ruptures conclues rien qu’en juin dernier, un record. Ce dispositif,
reposant sur le principe erroné que salarié et employeur sont sur un
pied d’égalité, fait pourtant couler beaucoup d’encre. Accusée de servir
de préretraite déguisée, de n’être souvent qu’à la simple initiative de
l’employeur, la rupture conventionnelle collective prédit de nouvelles
dérives. Pour Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, « cette
création » est aussi une manière d’éviter de mettre en place un plan de
sauvegarde de l’emploi (PSE), avec les garanties sociales qui vont avec…
Le rôle du juge anéanti.
Après une première tentative avortée dans la loi Macron, l’exécutif
réussit cette fois-ci à sérieusement limiter les recours des salariés
licenciés devant les prud’hommes. Tout d’abord, les ex-employés voient
le délai de contestation devant la justice passer de deux ans à un an.
Mais surtout, alors que la compensation allouée au plaignant était
laissée à l’appréciation du juge, elle sera désormais plafonnée à vingt
mois de salaire brut pour les personnes ayant trente ans d’ancienneté et
dont le licenciement a été requalifi é sans cause réelle et sérieuse, de
six à trois mois de salaire pour deux ans passés dans l’entreprise, et
un mois de salaire en dessous de deux ans. Ces plafonds ne
s’appliqueront pas en cas de plainte pour discrimination ou d’atteinte
des droits des salariés. Cet encadrement drastique augure d’indemnités
moindres pour les salariés lésés et d’une sécurisation des licenciements
pour les employeurs. Pour tenter de faire passer la pilule, le
gouvernement propose en parallèle
d’augmenter les indemnités légales de licenciements de 25 %. « Insuffi
sant », pour Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO.
Le plan social facilité.
Le périmètre du plan social et son motif économique ne seront plus
appréciés au niveau international, mais au niveau local. Pour le
gouvernement, il s’agit d’harmoniser les règles avec celles des pays
européens : « Cette solidarité de toutes les fi liales du monde avec la fi
liale française en diffi culté compte parmi les règles qui pénalisent
la France dans les comparaisons internationales et qui détournent les
investisseurs. » Rien que cela ! Cette réduction du périmètre rend
possible la mise en faillite d’une unité implantée en France alors que
la santé du groupe est fl orissante à l’échelle mondiale. Même si la
ministre du Travail précise que des garde-fous seront instaurés, comme
un « éventuel contrôle du juge », le risque est réel.
3. DIALOGUE SOCIAL : LES SYNDICATS AU SECOND PLAN
Des accords pourront âtre signés sans les syndicats...
Contre-révolution dans l’entreprise : les sociétés de moins de 20
salariés pourront négocier avec un employé non élu et non mandaté par un
syndicat. Les entreprises de 20 à 50 salariés le pourront avec un élu
du personnel non mandaté. Un seuil de 50 que revendiquait la CFDT lors
des concertations, rejointe aujourd’hui par Jean-Claude Mailly, de Force
ouvrière, qui affi rme que les discussions ont permis d’éviter que
cela ne s’étende aux entreprises jusqu’à 300 salariés. Maigre
consolation pour les autres syndicats. Argument du gouvernement et des
patrons ? La présence syndicale dans les PME atteint juste les 4 %, et
l’absence de délégués syndicaux impose de se conformer aux accords de
branche, sans négociation possible à l’échelle de l’entreprise. Dans les
TPE, le chef d’entreprise pourra directement consulter ses salariés,
notamment par le biais du référendum.
Référundum pour les employeurs dans les TPE.
Dans les entreprises comprenant jusqu’à 11 salariés, l’employeur pourra consulter directement ses employés par rallèle
d’augmenter les indemnités légales de licenciements de 25 %. « Insuffi
sant », pour Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO.
Le plan social facilité.
Le périmètre du plan social et son motif économique ne seront plus
appréciés au niveau international, mais au niveau local. Pour le
gouvernement, il s’agit d’harmoniser les règles avec celles des pays
européens : « Cette solidarité de toutes les fi liales du monde avec la fi
liale française en diffi culté compte parmi les règles qui pénalisent
la France dans les comparaisons internationales et qui détournent les
investisseurs. » Rien que cela ! Cette réduction du périmètre rend
possible la mise en faillite d’une unité implantée en France alors que
la santé du groupe est fl orissante à l’échelle mondiale. Même si la
ministre du Travail précise que des garde-fous seront instaurés, comme
un « éventuel contrôle du juge », le risque est réel.
référendum, sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation
d’entreprise. Dans les entreprises de 11 à 20 salariés, qui ne possèdent
pas d’élus du personnel, un référendum à l’initiative de l’employeur
pourra aussi être utilisé pour valider un accord d’entreprise. La loi El
Khomri avait ouvert la possibilité du référendum mais initié par des
syndicats minoritaires. La loi Pénicaud donne cette fois-ci directement
la prérogative à l’employeur. Une possibilité qui inquiète même Laurent
Berger, le numéro 1 de la CFDT, plutôt sensible jusqu’ici aux
propositions du gouvernement.
Fusion des IRP et disparition des CHSCT.
Osant affi cher vouloir « défendre un dialogue social simplifié et
opérationnel », le gouvernement a décidé de fusionner les trois
instances représentatives du personnel – délégué du personnel, comité
d’entreprise, et CHSCT (comité d’hygiène, sécurité et conditions de
travail) – en un seul conseil social et économique (CSE) dans toutes les
entreprises de plus de 50 salariés. François Hommeril, président de la
CFE-CGC, dénonce une « fusion forcée » qui « supprime le CHSCT de sa
personnalité morale, ce qui discrédite l’ensemble du projet ». Une
commission CHSCT pourra exister dans les entreprises de plus de 300
salariés ou être imposée dans certains cas par l’inspection du travail.
L’ensemble des syndicats de salariés dénonce cette fusion qui entraînera
la diminution du nombre d’élus et de moyens. Un décret prochain devrait
préciser ces chiff res. Le gouvernement ouvre également à hauteur de 20
% la participation du CSE aux frais des expertises, qui jusqu’ici
demeuraient principalement à la charge de l’employeur. Une façon d’en
freiner le recours car le budget octroyé actuellement au comité
d’entreprise n’est pas extensible. Autre bouleversement : par accord
majoritaire, il sera possible de fusionner les délégués syndicaux (DS)
au CSE, et donc leur compétence de négociation. Dans ce cas-là, le CSE
prendra le nom de « conseil d’entreprise ». Or, comme le souligne
Philippe Martinez, de la CGT : « Un représentant du personnel et un
syndicat, ce n’est pas la même chose. »
Face à l’ampleur des attaques, la Fête de l’Humanité s’inscrira trois jours durant, les 15, 16 et 17 septembre, dans la lutte pour le progrès social et mettra la question des droits des travailleurs au cœur de ses grands débats. Samedi 16 septembre après-midi, l’Agora de l’Humanité accueillera ainsi la mise en scène du procès de la nouvelle loi travail, en présence d’avocats spécialisés, de responsables syndicaux, mais également de grands témoins comme Gérard Filoche (ancien inspecteur du travail) ou Emmanuel Dockès (professeur de droit du travail). Le Forum social organisera, samedi, à 18 heures, un grand débat sur le thème en présence de Philippe Martinez et le stand national du PCF mettra le droit du travail au cœur d’un échange avec des parlementaires dès le vendredi, à 18 heures.
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