Les travailleuses sont-elles des travailleurs comme les autres ? Si on regarde de près l’histoire du mouvement ouvrier, au départ le projet d’émancipation des travailleurs avait prévu de laisser les bonnes femmes aux fourneaux. Pourtant, en 1846, Flora Tristan faisait déjà de la libération de la femme une priorité. Non seulement, disait-elle, la femme est « traitée en paria » par le prêtre, le législateur, le philosophe, mais elle est aussi la « prolétaire du prolétaire », la domestique du mâle travailleur. Et c’est pas parce que le prolo appelle son épouse « ma bourgeoise » qu’il faut croire qu’il est l’exploité de la maison ! Flora Tristan affirmait aussi que « l’oubli et le mépris des droits naturels » de la femme sont les « seules causes des malheurs du monde » et en appelait fissa à une déclaration des droits de la femme. Mais le siècle de la bourgeoisie triomphante véhicule surtout les préjugés masculins et beaucoup de socialistes restent crânement misogynes. C’est le cas du gravissime Joseph Proudhon. Lui, qui n’a pas peur de penser que « la femme a été donnée à l’homme pour lui servir d’auxiliaire » et qu’elle ne « hait point être un peu violentée voire même violée », s’offusque « au nom de la morale publique » que la socialiste Jeanne Deroin fasse de la politique et prétende accéder à la députation. Faute de le gifler comme il le mérite, quelques écrivaines croisent la plume avec lui comme Juliette Lambert avec son pamphlet, Idées anti-proudhoniennes sur l’Amour, la Femme et le Mariage ou Jenny d’Héricourt dans son petit essai, La Femme affranchie.
À sa fondation, en 1864, la Première Internationale est truffée de proudhoniens barbus aussi obtus que leur maître sur la question des gonzesses. Le jeune Eugène Varlin, qui s’est battu dans des grèves aux côtés de ses collègues relieuses, a du mal à faire entendre la simple évidence : « À travail égal, salaire égal ». Le salaire féminin à l’époque est la moitié de celui des hommes… rassurez-vous, il est aujourd’hui seulement de 20 % à 30 % inférieur, on voit le progrès ! Le discours ouvrier paternaliste et phallocratique est de dire que l’usine est un lieu dégradant pour la femme mais aussi que, dans le jeu établi par les capitalistes, le travail des femmes cause un préjudice aux travailleurs en tirant les salaires vers le bas.
Durant la révolution industrielle, les femmes constituent à peu près un tiers de la population active industrielle et sont enrôlées principalement dans le secteur textile, d’où cette formule entendue dans un congrès ouvrier : « À l’homme, le bois et les métaux. À la femme, la famille et les tissus. » En 1869, à Lyon les ouvrières-tisseuses de la soie, dites ovalistes, se mettent en grève de leur propre initiative contre leurs conditions d’exploitation et la domination à la fois féodale et masculine dans les ateliers. Cette première grève féminine marque les esprits. À la même époque, Karl Marx écrivait à un collègue : « Quiconque sait un peu d’histoire n’ignore pas que de grands bouleversements sociaux sont impossibles sans le ferment féminin....
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