Par Elisabeth Roudinesco
Réunis en une grande coalition boursoufflée, voici que les
représentants de l'extrême-droite, toutes tendances confondues - anti-mariages
gay, appuyés sur un catholicisme intégriste, salafistes habités par la terreur
d'un maléfique lesbianisme américain, lepénistes anti-système, baroudeurs de la
quenelle, anciens du Groupe uniondéfense (GUD), multiples partisans de
Dieudonné, de Robert Faurisson, d'Alain Soral, de Farida Belghoul, de Marc
Edouard Nabe et autres écrivains illuminés, habitués des plateaux de télévision
-, nous offrent un spectacle tonitruant pour commémorer le quatre-vingtième
anniversaire de l'irruption des ligues fascistes hurlant contre la République,
sur fond de crise économique majeure. Les images partout diffusées ressemblent
à celles du 6 février 1934, même si les protagonistes de ces défilés intitulés
"jour de colère" se détestent les uns les autres et affirment ne pas
partager les opinions de leurs alliés. La haine de l'autre est toujours
enfantée par l'union de ceux qui se haïssent entre eux. Rien à voir avec le
magnifique poème biblique sur la colère de Dieu (Dies Irae).
Et c'est pourquoi on retrouve dans leurs rangs une même
thématique : slogans conspirationnistes, détestation des élites, des
intellectuels, des femmes, des étrangers, des immigrés, de l'Europe
cosmopolite, des homosexuels, des communistes, des socialistes et enfin des
Juifs, le tout ancré dans la conviction que la famille se meurt, que la nation est
bafouée, que l'école est à l'agonie, que l'avortement va se généraliser,
empêchant les enfants de naître, et que partout triomphe l'anarchie fondée sur
une prétendue abolition généralisée de la différence des sexes.
Le thème n'est pas nouveau, il était déjà présent sous une
autre forme dans certains discours apocalyptiques de la fin du XIXe siècle qui
affirmaient que si les femmes travaillaient et devenaient des citoyennes à part
entière, elles cesseraient de procréer et détruiraient ainsi les bases de la
société, laquelle serait alors livrée, d'un côté aux "infertiles" -
sodomites, invertis et masturbateurs - agents d'une dévirilisation de l'espèce
humaine, et de l'autre aux Juifs, soucieux, d'établir leur domination sur les
autres peuples en usant d'une fertilité sans commune mesure avec celle des
non-Juifs. Le thème du Juif lubrique, incestueux et pourvu d'un pénis sans
cesse érigé, aussi proéminent que ses fosses nasales, est une des constantes du
discours antisémite.
Aujourd'hui, les ligues de la colère prétendent dénoncer,
après le vote de la loi sur le mariage entre personnes du même sexe, un nouveau
complot fomenté à la tête de l'Etat pour détruire davantage la famille et la
différence anatomique des sexes. Il aurait pour objectif d'imposer l'enseignement
dans les écoles républicaines d'une prétendue "théorie du genre"
visant à transformer les garçons en filles, les filles en garçons et les
classes en un vaste lupanar où les professeurs apprendraient aux élèves les
joies de la masturbation collective. On retrouve ici le thème de l'infertilité
érigé en complot contre la reproduction sexuée et l'idée de la généralisation
de l'accouplement entre personnes du même sexe. En effet, aucun enfant ne peut
naître biologiquement d'un acte sexuel qui unirait une femme devenue homme et
un homme devenu femme.
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