Chaque matin à l’aube, 150 000 salariés de Belgique,
d’Allemagne et de France se rendent au Luxembourg. Cette migration quotidienne
de travailleurs frontaliers révèle les bouleversements économiques et sociaux
en cours dans une région située au coeur de l’Europe.
Au sein de l’Union européenne, la mobilité du travail n’a
pas la même cote que celle du capital... Avec Salariés sans frontières, le
documentariste Gilles Balbastre a exploré la région d’Europe qui a vu la
naissance de la sidérurgie : la Lorraine, le Luxembourg, la Wallonie et une
partie de la Ruhr. Il plonge dans l’univers de l’économie des services où
s’expérimentent les nouvelles formes de domination et d’exploitation du
salariat.
Mémoire des luttes publie, avec l’aimable autorisation de
Golias Hebdo, cet entretien de Gilles Balbastre réalisé par le journaliste
Olivier Vilain.
Olivier Vilain (OV) : Qu’avez-vous voulu montrer dans
Salariés sans frontières ?
Gilles Balbastre (GB)
: Mon idée, c’est de montrer les conditions de vie des gens de la région
qui a vu la naissance de la sidérurgie sur le continent européen. Celle-ci
comprend le Luxembourg, la Lorraine en France, la Wallonie en Belgique, la
Sarre et la Rhénanie-Palatinat en Allemagne. C’est la thèse universitaire
réalisée, il y a quelques années, par Pierre Rimbert, désormais
rédacteur-en-chef au Monde diplomatique, qui m’a mis la puce à l’oreille. C’est
le fil rouge en somme : qu’est devenu, après plus de trente ans de
désindustrialisation, ce bastion ouvrier, où les travailleurs étaient visibles,
organisés syndicalement et politiquement ? A l’époque, toute la région est
rouge, communiste quoi !, y compris dans le sud du Luxembourg. Cette plongée
dans cet univers de friches industrielles permet aussi de montrer que les mêmes
tendances sont à l’œuvre de chaque côté des frontières, ou presque.
OV : Qu’avez-vous découvert ?
GB : Une réalité assez triste, entêtante, révoltante :
l’ancien « pays de l’acier », comme l’appellent encore des habitants du cru,
est au cœur des transformations de l’Europe. Les usines sidérurgiques y ont
pour la plupart fermé et, au centre de cette zone, le Luxembourg a été
transformé en paradis fiscal. Difficile de ne pas y voir une organisation de
l’espace et du monde du travail au profit unique des propriétaires du capital,
actionnaires et banquiers. Plus de trente ans après les grandes saignées
d’emplois industriels, notamment avec la fermeture des principaux
hauts-fourneaux de Lorraine au tournant des années 1980, l’Europe continue de
consommer énormément d’acier. Le « pays de l’acier » est devenu un désert, à
l’exception de la Sarre, où Oskar Lafontaine, co-fondateur du parti de gauche
Die Linke, a fait passé les entreprises sidérurgiques sous contrôle public, il
y a plus de dix ans. Elles sont désormais aussi bien à la pointe en matière de
prix de revient que de développement de produits, de savoir-faire. Elles font
figure de modèle, notamment auprès des ouvriers de Florange dans leur
contestation de la politique menée par Mittal.
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