Existe-t-il encore une classe ouvrière ? Oui et non. On
dénombre encore 6 millions d’ouvriers mais ils sont quasi invisibles. À
l’occasion du festival Filmer le travail, organisé à Poitiers mi-février, la
question de la «représentation» des ouvriers a été mise en débat. Éclairage.
Dans la préface de leur ouvrage, Retour sur la condition
ouvrière, Michel Pialoux et Stéphane Beaud rapportaient après avoir interrogé
des étudiants en sociologie que ceux-ci estimaient le nombre d’ouvriers en
France à 10 % de leur effectif réel. Une estimation largement erronée : leur
nombre est encore d’environ 6 millions. Soit un actif sur quatre. Qui plus est,
les traits « caractéristiques » de la condition ouvrière perdurent : précarité
de l’emploi et de l’existence, travail pénible, faible perspective de
promotion, atteintes à la santé, espérance de vie réduite… Pourtant, cette
catégorie semble devenue invisible sur les scènes médiatique, politique et
culturelle. Pour preuve, elle n’occupe que 2 % seulement de l’espace
médiatique, selon l’Observatoire des inégalités.
En un peu plus d’un demi-siècle, la France est passée d’une
économie fondée sur l’agriculture et l’artisanat à une industrie dominante
avant de connaître un développement des services. Dans le même temps s’est
amorcé « le déclin de la population active des ouvriers au profit des employés
et des cadres », analysait il y a quelques jours Henri Eckert, sociologue du
travail, à l’occasion d’une journée de débat sur « le monde ouvrier en image »
organisée dans le cadre du festival Filmer le travail, qui s’est tenu du 7 au
16 février à Poitiers. Et bien qu’ils demeurent l’un des groupes sociaux les
plus importants aujourd’hui encore, les ouvriers ne forment plus une catégorie
homogène, dotée d’une identité forte.
« Pour les médias, les ouvriers ont disparu, analyse Roger
Cornu, sociologue. Les pourcentages sont trompeurs. Le nombre d’ouvriers n’a
quasiment pas changé. Ce qui a changé, c’est la taille de la population active.
Et alors que dans les années 1950 les ouvriers étaient concentrés dans de
grosses entreprises, depuis les années 1990, plus de la moitié travaillent dans
des entreprises de moins de 50 salariés.» « Aujourd’hui, on ne parle des
ouvriers que lorsque des usines ferment ou quand on les accuse de voter Front
national, alors même qu’une grande majorité d’entre eux est abstentionniste »,
corrobore le sociologue Martin Thibault. « On parle des ouvriers quand ils
menacent de tout faire sauter, on parle d’eux en montrant leurs mines fatiguées
sur fond de fumées noires. Pourquoi continuer à montrer les ouvriers dans ces
seules circonstances ? Pour faire peur ? » interroge Henri Eckert.
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