Il flotte aujourd’hui comme un parfum d’Union sacrée autour
du centenaire de la Grande Guerre. C’est l’évidence sur le plan politique, et
l’on peut passer sans s’attarder sur le discours inaugural tout vibrant de
patriotisme d’un Président de la République qui ne se dit plus qu’« issu du
parti socialiste », n’hésitant pas à citer De Gaulle davantage que Jaurès, pour
appeler à « l’impérieuse nécessité de faire bloc si nous voulons gagner les
batailles qui, aujourd’hui, ne sont plus militaires mais économiques »[1]. Mais
c’est aussi le cas des historiens qui semblent mettre en sourdine les récentes
controverses et leurs différentes « sensibilités » (selon la formule
consacrée), pour mettre ce centenaire sous le signe de la distance[2]. (…)
Une entreprise d'histoire
à succès
En 1992, après l’engouement rencontré par son prédécesseur
le Mémorial de Caen, l’Historial de la Grande Guerre ouvre ses portes à
Péronne. Comme souvent en France, tout commence donc par des grands travaux.
Mais au grand équipement culturel il faut bientôt ajouter une école historique.
À la fois très internationale par les nombreux historiens étrangers qui la
parrainent ou l’accompagnent et très française par son style comme son public,
affichant une volonté de rupture radicale et en même temps portée sur les fonts
baptismaux par les plus hautes autorités éditoriale et universitaire, l’école «
de Péronne » s’incarne au cours des années 1990 dans les personnes d’Annette
Becker et de Stéphane Audoin-Rouzeau[3], deux historiens alors d’une quarantaine
d’années, qui signent ensemble une série de manifestes jusqu’au vrai succès
rencontré en 2000 par leur ouvrage commun : 14-18 Retrouver la guerre [4],
référence désormais incontournable à laquelle sont adossées les nombreuses
encyclopédies, présentations de témoins, préfaces et autres synthèses publiées
depuis. Entrepreneur en « nouvelle histoire » depuis au moins trente ans, leur
éditeur Pierre Nora connaît bien son affaire. Il publie celle de la Grande
Guerre comme il avait publié celle de la Révolution française avec François
Furet [5]. Même maison (Gallimard), même collection (« Bibliothèque des
histoires »), deux événements matriciels de l’histoire, et deux livres qui se
ressemblent : sérieux d’apparence mais pas trop gros, et des manifestes au ton
vindicatif. En 1978 comme en 2000, c’est deux fois le même « coup ». Mettre en
scène la « nouvelle histoire » qui renverse la table en rétablissant les droits
de la science malmenée par l’idéologie. Chez Furet, c’était l’histoire «
communiste » de la Révolution française, chez Audoin-Rouzeau et Becker, c’est
le « pacifisme » rampant de l’histoire de 1914-1918. (…)
Mais pour fonder le succès d’une thèse, il ne suffit pas
d’être parrainé par un éditeur habile, de paraître scandaleux ni d’être les
héritiers désignés d’une lignée universitaire ; et même si cela finit par faire
beaucoup, il ne suffit pas non plus de s’appuyer sur un équipement muséal de
premier plan. Encore faut-il aussi rencontrer une demande et venir combler un
manque. À ce titre, la « nouvelle histoire » de la Grande Guerre tombe à pic en
offrant une vulgate clé en main. Elle le répète assez : elle est une histoire
culturelle. (…)
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