Gharib Hassou est le
représentant du PYD syrien au Kurdistan irakien, la principale force de
résistance kurde de Syrie. Il accuse la Turquie d’appuyer militairement «
l’État islamique » (« EI ») et d’acheter du pétrole aux djihadistes, organisés
selon lui en véritable « mafia ».
Erbil (Kurdistan irakien), envoyé spécial. Pourquoi la prise
de Kobané est-elle un enjeu si important pour « l’État islamique » ?
GHARIB HASSOU La situation de la ville de Kobané est
stratégique. Si Daesh (« EI ») venait à la prendre, cela séparerait les deux
autres cantons kurdes syriens d’Afrin et de Djeziré, ce qui affaiblirait notre
résistance tout en élargissant leurs propres frontières. Mais au-delà de
l’aspect stratégique, il y a aussi un aspect symbolique, car c’est à Kobané en
2012 que nous avons commencé la révolution. Daesh veut aussi saper le moral des
Kurdes syriens en s’emparant de ce symbole fort. Depuis un an, ils ont tenté à
dix reprises de prendre la ville et à chaque fois, avec nos seules forces
armées, nous avons réussi à les repousser. Le problème, c’est qu’aujourd’hui
leur puissance de feu, depuis qu’ils ont pris des chars et des armes lourdes à
l’armée irakienne, est bien plus importante. Et puis il y a des forces
obscures… des États, qui aident franchement les djihadistes dans leur conquête.
Vous pensez à la
Turquie ?
GHARIB HASSOU Ce sont des aides directes, et je parle bien
de la Turquie. Joe Biden (le chef de la diplomatie américaine – NDLR) vient
d’ailleurs de le confirmer sur le plan financier. Non seulement Ankara a aidé
récemment Daesh militairement, mais l’apport financier de la Turquie est très
important. Il y a des accords directs avec Daesh, qui fonctionne comme une
mafia avec l’argent qu’on lui donne. Cet argent, c’est notamment celui du
pétrole que les djihadistes contrôlent tout au long de la frontière et vendent
à la Turquie (on parle d’un prix du baril à 40 dollars au lieu du prix actuel
de 100 dollars). C’est la Turquie qui aujourd’hui tire les ficelles dans la
région, et puis d’un autre côté elle parle de venir rejoindre la coalition…
Mais le Parlement
turc vient de voter pour une intervention, sinon militaire, au moins manitaire,
pour aider la ville de Kobané…
GHARIB HASSOU Je n’y crois pas une seconde. Cela fait des
millénaires que les Turcs combattent les Kurdes donc ils ont choisi qui était
leur ennemi. Et ce n’est pas Daesh. En vérité la Turquie ne veut pas d’un État
démocratique dans notre région, mais d’un État islamique. Erdogan est un
islamiste. Aussi faut-il que les Occidentaux sachent que cette guerre, dans
laquelle nous sommes les seuls (YPG, Kurdes syriens, et PKK, Kurdes de Turquie)
à combattre sur le terrain, les concerne autant que nous. Nous sommes l’unique
bouclier fraternel, humaniste, face à la barbarie. Nous sommes le seul peuple
de la région à être organisé démocratiquement. Chez nous, c’est le peuple qui
dirige. Dans chacun des trois États, il y a un gouverneur de chaque sexe.
Toutes les communautés ont droit de cité. Nous n’avons pas gagné Kobané en
coupant des têtes et en ayant violé des femmes ! Je lance donc un appel au
monde civilisé, il faut nous venir en aide. Si Kobané tombe, c’est le symbole
de la fraternité d’un peuple qui tombe. Et aujourd’hui nous sommes le seul
rempart pour éviter la création de l’État islamique. Si nous tombons, cela peut
entraîner un effet domino. Car la Syrie entière, la Turquie, et même jusqu’aux
confins de l’Europe, la Roumanie, la Bulgarie, pourraient un jour tomber. Et
pourtant aujourd’hui le monde entier nous regarde nous faire massacrer sans que
personne ne bouge le petit doigt.
Les États-Unis
procèdent pourtant à des bombardements près de Kobané…
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