Du cynisme des industriels à l’inaction des pouvoirs publics, Annie
Thébaud-Mony, directrice de recherches au CNRS, dresse un état des lieux
sans concession de la santé au travail…
Moyenâgeuse et cynique. C’est en ces termes qu’Annie Thébaud-Mony
qualifie l’attitude de certains industriels vis-à-vis de la santé et de
la sécurité des salariés. Attitude qui, selon elle, expliquerait que
l’on déplore encore chaque jour en France deux morts par accidents du
travail et plus de dix des suites d’une exposition à l’amiante.
Une situation archaïque que cette spécialiste des questions de
sécurité au travail dénonce depuis près de 30 ans en parlant non pas de
négligence mais d’une authentique forme de “crime organisé” de la part
de certains dirigeants qui, depuis longtemps, ont appris à sous-traiter
non seulement les risques qu’ils génèrent mais aussi les responsabilités
qui les accompagnent.
Face à cette manifestation de “pur cynisme industriel” dont les
pouvoirs publics n’ont jusqu’alors pas pris la mesure, Annie
Thébaud-Mony entend opposer deux mesures : l’interdiction d’avoir
recours à la sous-traitance sur tout site dangereux et l’introduction
des notions de crime industriel et de désastre volontaire dans le droit
pénal. Seuls moyens, selon elle, d’en finir avec une situation qui
persiste à placer l’intérêt économique au-dessus de la préservation de
la vie humaine.
“Je
viens de refuser la Légion d’honneur parce que ce n’est tout simplement
pas le type de reconnaissance que j’attends au terme de toutes ces
années d’engagement et de recherche scientifique sur les questions de
santé au travail et de santé environnementale. Ce que j’attends, c’est
que mon travail soit pris en compte et reconnu ; autrement dit, qu’il
incite les pouvoirs publics à adopter un certain nombre de dispositions,
ne serait-ce que pour faire respecter la loi.
Car pour l’heure, en ce qui concerne la santé et la sécurité, le code
du travail n’est pas appliqué. Il pose un certain nombre de principes
qui ne sont pas respectés, à commencer par le principal : l’obligation
faite depuis plus d’un siècle aux employeurs de garantir la santé de
leurs salariés. Cette obligation a pourtant été rappelée à l’occasion du
drame de l’amiante en 2002, l’affaire ayant débouché sur une certaine
prise de conscience en montrant qu’il existait un réel problème de
prévention face à un risque qui, pourtant, était identifié depuis
longtemps. En prenant la mesure de cette catastrophe sanitaire, la Cours
de cassation a réactivé cette obligation des employeurs d’assurer la
santé des salariés au quotidien.
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