Après
le discours présidentiel et malgré le service après-vente assuré par la
majorité, nombre de gilets jaunes continuaient à dire leur
détermination hier sur les ronds-points. La gauche et des syndicats
appellent aussi à la mobilisation.
Tout
avait été bien orchestré pour ménager la surprise et désamorcer le
mouvement. Devant les 23 millions de téléspectateurs qui ont suivi
l’allocution d’Emmanuel Macron lundi soir, les 100 euros annoncés pour
les salariés au Smic étaient censés faire leur petit effet. « On n’est
pas dupes », pouvait-on entendre dans la foulée sur les ronds-points
occupés. Et pour cause, de l’aveu même hier du président de l’Assemblée
nationale, Richard Ferrand, les annonces présidentielles sont « une
accélération, ni (un) virage, ni (un) changement ».
Alors parmi les gilets jaunes, nombreux sont ceux qui
restent déterminés. Sur le rond-point de Loches (Indre-et-Loire) où des
cabanes de palettes sont érigées depuis le 17 novembre, les occupants
sentent l’entourloupe à propos de ces fameux 100 euros supplémentaires.
« Il va prendre aux pauvres pour donner aux pauvres », résume
Michel (*), en touillant les plats de choucroute et de couscous qui
chauffent sur les braises du barbecue. Après avoir travaillé dans les
fermes à 14 ans, dans les champignonnières, puis en usine, le retraité
se mobilise pour la première fois. « J’ai 1 080 euros de retraite après
quarante-six ans de boulot. On ne s’en sort pas », souffle-t-il
pudiquement.
« Je savais que ce serait du pipeau »
La prime de fin d’année au bon vouloir des patrons ne
convainc pas non plus. « Au bout de dix ans d’ancienneté, je ne touche
que 10 euros de prime de fin d’année. Même si elle est augmentée, ça ne
fera pas grand-chose, mais je n’y crois même pas », commente Laure qui
travaille dans un centre d’appels. À des centaines de kilomètres plus au
nord, l’accueil des annonces d’Emmanuel Macron n’est pas plus
chaleureux. « Je ne le regarde pas, je ne peux plus le voir. Je savais
que ce serait du pipeau. La colère se reporte sur lui car il représente
ce qu’on déteste. Je vois de la souffrance humaine partout », raconte
Patricia, en invalidité après avoir été ouvrière dans une usine
agroalimentaire. Avec elle sur le rond-point des Quatre-Chemins à
Somain, dans le Nord, Sébastien, au chômage depuis deux mois, ajoute :
« La fameuse prime, tout le monde ne l’aura pas. Celui qui touche 1 350
euros par mois l’aura-t-il ? Et pourtant, il ne s’en sort pas mieux. La
solution, c’est d’augmenter tous les salaires, en majorant le taux
horaire. » Ici, non plus la motivation n’est pas entamée : « Certains
font des crédits pour vivre et manger, la misère grandit. Mais les
moutons se sont réveillés, tant mieux », lance Gilbert qui sera en
retraite à la fin de l’année.
Sur les plateaux de télévision, en revanche, des gilets
jaunes « libres » tentent de temporiser. « On est à l’heure où il faut
sortir intelligemment du mouvement », plaide ainsi Jacline Mouraud
appelant à une « trêve ». « Il faut transformer le mouvement car on ne
peut pas décemment le continuer à deux pas de Noël, plein de commerçants
vont mettre la clé sous la porte, je ne veux pas me rendre responsable
de dépôts de bilan », ajoute-t-elle. Le discours n’est pas sans rappeler
celui de la majorité : « Si les gilets jaunes veulent continuer leur
mobilisation, je pense qu’ils doivent trouver un type de mobilisation
qui ne pénalise pas les commerces des centres-villes et des
centres-bourgs en cette période de fin d’année très importante pour
notre activité économique et pour l’emploi. Nous avons déjà des pertes
de plusieurs milliards d’euros », insistait, hier, le député LaRem,
Matthieu Orphelin.
« Comme tous mes camarades gilets jaunes j’appelle à l’acte V »
Tandis que les marcheurs sont occupés à faire le service
après-vente, à l’instar du premier ministre hier devant les députés, le
reste de la droite tente de tirer son épingle du jeu. Difficile quand
une des mesures phares, la défiscalisation des heures supplémentaires,
est ressortie des limbes de la Sarkozye et de son « Travailler plus pour
gagner plus » de 2007. Ou encore quand le spectre du ministère de
l’Immigration et de l’Identité nationale plane sur le discours
présidentiel (lire page 11). Mais LR a trouvé son angle d’attaque :
« Pas un mot sur le financement ou la baisse des dépenses publiques, on
met la poussière sur le tapis, on repousse les choses », n’a pas manqué
de relever le président du groupe des députés LR, Christian Jacob, hier
matin, sur France Inter. Le chef de l’État, dont les ministres n’ont
cessé de le marteler, a pourtant prévu le coup et glissé la « maîtrise
des dépenses publiques » entre deux signaux rassurants pour le patronat
et les plus riches. Pour faire bonne mesure, l’Élysée a précisé, dans la
foulée de son discours, que les annonces ne « remettent pas en cause la
maîtrise de la dépense publique ». Comme le Modem dont la porte-parole
Sarah El Haïry estime que « l’acte V ne doit pas être dans la rue »,
mais « autour de la table des concertations », LR est raccord avec LaRem
sur ce point : « Je pense qu’à un moment donné, il faut lever le camp
des ronds-points, il faut reprendre la vie », a déclaré Éric Woerth.
À gauche, au contraire, le « président des riches » en a
pris pour son grade. « Toutes les mesures annoncées » seront « payées
par les contribuables et les assurés sociaux, aucune par les grandes
fortunes, ni les profits », dénonce Jean-Luc Mélenchon (FI). « C’est
trop tard et c’est trop d’entourloupes et c’est pour ça que la
mobilisation va continuer », renchérit Olivier Besancenot (NPA). « Le
cap n’est pas modifié ! Le nouveau monde, c’est “retour vers le
futur” », juge aussi Olivier Faure dont la formation a finalement décidé
de se joindre à la motion de censure (lire ci-contre) des communistes
et des insoumis. Dans ce camp-là, on estime que des points ont d’ores et
déjà été marqués et qu’il faut pousser l’avantage. « Avec l’annonce de
l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraité·e·s modestes, le
président de la République a opéré un premier recul. Preuve est faite
que la mobilisation actuelle est décisive », constate notamment Fabien
Roussel (PCF), qui appelle à ce qu’elle se poursuive.
À l’inverse, bien sûr, « il est temps de se remettre au
travail », selon le Medef. Sans surprise, l’organisation patronale se
félicite de mesures « de nature à répondre aux attentes exprimées sans
pénaliser la compétitivité des entreprises ». Côté syndicats de
salariés, l’avis n’est pas tout à fait le même. Si la CFDT salue une
« première réponse pour les plus modestes » qui en appelle « d’autres à
l’issue du débat national et des débats territoriaux que le président a
confirmés », Solidaires et la CGT se montrent beaucoup plus critiques et
mobilisés. « Ses petites phrases dont il s’est repenti, ou presque, ce
ne sont pas des erreurs de communication, c’est naturel. Parce qu’il ne
comprend pas les problèmes des Français, il ne comprend pas les
problèmes de fin de mois, de chômage », juge Philippe Martinez,
secrétaire général de la CGT. C’est d’ailleurs « un discours pour rien
pour toutes celles et ceux qui ont du mal à vivre au quotidien », que
dénonce le syndicat. La CGT appelle donc « à poursuivre les
mobilisations et à agir par des grèves dans les entreprises et des
manifestations le 14 décembre ». « Les seules “réponses” de Macron à la
souffrance sociale se limitent donc à de la poudre aux yeux et à des
miettes », estime également Éric Beynel, de Solidaires. « Constat sans
surprise qui confirme si besoin était qu’il faut amplifier et faire
converger les mobilisations actuelles pour la justice sociale et
fiscale », ajoute-t-il, appelant « à faire du vendredi 14 décembre une
journée de grève interprofessionnelle et à rejoindre le samedi 15
décembre les mobilisations des gilets jaunes ». Loin d’être satisfaites
de la seule annulation de la hausse de la CSG pour les pensionnés qui
touchent moins de 2 000 euros, neuf organisations de retraités (CGT, FO,
CFCT, CFE-CGC, Solidaires, FSU, FGR-FP, LSR, UNRPA Ensemble &
solidaires) invitent elles aussi à gagner la rue, le mardi 18 décembre.
Dès hier, lycéens et étudiants organisaient un « mardi noir » (lire page
6). Et samedi, un nouveau rendez-vous demeure bien à l’ordre du jour.
« Ils peuvent toujours faire des mesurettes, nous faire croire qu’ils
augmentent le Smic alors qu’en réalité ils vont taper dans les
cotisations sociales (…). Pour moi, c’est complètement bidon et comme
tous mes camarades gilets jaunes de France j’appelle à l’acte V, samedi
prochain, à Paris », résume Christophe Couderc, un gilet jaune de Paris.
Macron n’en a pas fini avec les mobilisations.
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