Sous la pression des gilets jaunes, le président de la République a avancé l’idée d’un bonus exceptionnel allant jusqu’à 1 000 euros. Si certaines grandes entreprises ont joué le jeu, d’autres rechignent à mettre la main à la poche.
Lors de son allocution du 10 décembre, Emmanuel Macron avait égrené des propositions censées renforcer le pouvoir d’achat des Français. Parmi ces mesures adoptées expressément vendredi par le Parlement, la possibilité pour les entreprises de verser une prime exceptionnelle de 1 000 euros, exonérée de toute cotisation sociale et d’impôt sur le revenu, pour leurs salariés rémunérés jusqu’à 3 600 euros.
Reçus à l’Élysée, certains grands patrons s’étaient empressés de voler au secours du président de la République qui les avait enjoints à participer « à l’effort collectif ». Si des sociétés comme Total ou le Crédit mutuel Arkéa ont annoncé dans la foulée l’octroi d’une prime de respectivement 1 500 euros et 1 000 euros à tous leurs salariés, d’autres se contentent de distribuer des bonus rabotés, comme Publicis, dont les 1 000 euros ne seront versés qu’au tiers de ses CDD et CDI qui touchent moins de 2 500 euros brut par mois. Engie, Veolia ou BPCE ont adopté la même stratégie.
D’autres encore, comme les géants du luxe LVMH, Kering et Hermès, dont les cotes brillent pourtant au firmament du CAC 40, s’en tiennent pour l’heure à des promesses floues qui n’engagent que ceux qui y croient.
Enfin, certains groupes n’en parlent même pas. Comme PSA qui, malgré une hausse de 7,2 milliards d’euros de son chiffre d’affaires au premier semestre 2018, renvoie cette question à la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires, le 17 janvier prochain. Une façon de noyer doublement le poisson. La question de la prime se perd dans ces NAO qui se déroulent dans chacune des filiales et se mélangent avec les questions d’augmentation des salaires. « On demande plus de salaire », fait ainsi valoir Michel Chevalier, délégué CGT chez Michelin. Le géant du pneumatique va certes verser en janvier de 250 à 750 euros de prime à ses salariés français gagnant moins de 34 000 euros par an, mais « ce n’est pas ça qui va changer les choses », reprend le syndicaliste, car « il n’y a pas eu de réelles négociations sur les salaires chez Michelin depuis plusieurs années ».
Le 1er décembre, à Barentin (Seine-Maritime). Pendant leur mouvement, les gilets jaunes ont organisé des blocages dans les enseignes de la grande distribution. Tesson/Andia.fr
1. Chez Carrefour, la fin 2018 tombe un 11 janvier 2019, voire jamais
Saisie de la question de la prime exceptionnelle de 1 000 euros par certains syndicats au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, la direction du grand distributeur a convié le 19 décembre dernier les représentants du personnel à une « réunion de concertation » à ce sujet. Résultat : de prime exceptionnelle, il n’en fut pas question. « On nous a expliqué que ce n’étaient pas les gilets jaunes qui représentaient Carrefour et qu’il n’y aurait donc pas de décision unilatérale sur le sujet », raconte un participant. Un nouveau rendez-vous a été donné aux syndicats le 11 janvier 2019, pour envisager les questions de pouvoir d’achat, sans garantie que cette fameuse prime fasse partie des solutions abordées. Celle-ci pourrait être renvoyée aux NAO qui débutent en janvier. Quant à l’entrevue du 11, elle pourrait n’envisager que des aides ponctuelles pour les frais de transport des salariés ou la mise en place d’une carte de réduction auprès de magasins partenaires. De quoi provoquer la colère de la CGT : « La direction a botté en touche en opposant une fin de non-recevoir aux revendications de la CGT (prime de 1 000 euros supplémentaire annuelle, revalorisation de 300 euros pour chaque niveau avec un salaire de départ de grille à 1 800 euros), tout en concédant malgré tout une seconde réunion le 11 janvier pour continuer à discutailler de quelles miettes elle allait nourrir ses salariés, une fois les fêtes de Noël et du Nouvel An passées… »
2. Amazon logistique joue avec les nerfs de ses salariés
« La direction nous a d’abord dit qu’elle ne connaissait pas les modalités de cette prime, explique Alain Jeault, délégué syndical central CGT. Puis, elle nous a assuré qu’une réunion se tiendrait le 9 janvier. Mais vendredi le directeur général d’Amazon France a déclaré sur BFM qu’il n’avait pas d’annonce à faire en la matière ! Cette réunion de janvier est donc de l’enfumage pour dégonfler le mouvement de grève qui devait se tenir vendredi et samedi dernier. Nous allons réfléchir à une action au début des soldes. » Pour le syndicaliste, cette situation est d’autant plus injuste que l’entreprise réputée pour ses bas salaires, autour de 1 300 euros, a enregistré « un surplus de commandes avec le mouvement des gilets jaunes ». À l’entrepôt de Douai (Nord) mais aussi à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), certains employés ont naturellement rejoint les chasubles fluo. « Nous sommes fatigués, poursuit Alain Jeault. Nous bossons six jours sur sept depuis un mois et demi. Lundi dernier, c’était le “pic day”, on a battu tous les records, mais nous ne sommes pas récompensés ! Cette prime de 1 000 euros pour les 5 300 employés en France ne représente pourtant rien par rapport à la fortune de 150 milliards de dollars de Jeff Bezos, notre PDG. »
3. Chez CapGemini, 75 % d’employés exclus du dispositif
Dans l’entreprise du top 10 du CAC 40, tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. Seuls 25 % des 24 000 salariés vont toucher la prime exceptionnelle. Elle sera de 1 000 euros pour ceux percevant des salaires inférieurs à 30 000 euros par an et de 500 euros pour ceux compris entre 30 000 et 35 000 euros, pour un coût total de 4 millions d’euros. « Si j’ai bien écouté le premier ministre, cela devait concerner les personnes touchant jusqu’à 3 600 euros net, on en est donc loin ! Avec 1 milliard d’euros de bénéfices en 2017, zéro impôt payé en France et 286 millions de dividendes en 2018, je pense qu’on pouvait au moins verser 1 000 euros à tout le monde », regrette Thierry Achaintre, secrétaire de la CGT du géant des services au numérique. Si les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont démarré, le syndicat craint que l’octroi de ce bonus sélectif pèse sur les discussions. « Ils pourront ainsi justifier de faibles augmentations. Nous n’avons pas de hausses de salaires générales mais individuelles. Si on a eu une augmentation l’année d’avant, nous ne sommes plus éligibles l’année suivante sauf pour les managers… » Alors que le groupe se porte très bien, les revendications de résorption des inégalités salariales homme-femme, qui coûteraient 3 millions d’euros, ne sont pas non plus satisfaites. « Cette prime, c’est un one shot (cas unique), pas une vraie hausse de nos rémunérations. Notre PDG préfère sauver le soldat Macron », tranche Thierry Achaintre.
4. Un cadeau de Noël amer pour les agents de La Poste
La direction a annoncé mercredi qu’elle verserait une prime exceptionnelle à 200 000 postiers, mais bien en deçà des 1 000 euros avancés par Emmanuel Macron. Les personnes gagnant jusqu’à 1,5 fois le Smic brut annuel percevront 300 euros. Celles ayant une rémunération comprise entre 1,5 et 3 fois le Smic toucheront 200 euros. « Nous avons eu le droit à un long laïus expliquant qu’il n’était pas possible de faire plus car cet argent va être pris sur les investissements, souligne Eddy Talbot, de la fédération SUD PTT. Mais ces dernières années, ils ont servi à acheter des entreprises à l’étranger ! On nous a sorti plein de chiffres en oubliant de parler des 300 millions d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) ou encore des 171 millions de dividendes. » Les 50 millions d’euros de coût de cette prime auraient pu être prélevés sur les dividendes versés annuellement par le groupe à l’État, encore actionnaire majoritaire. Selon les calculs du syndicat, en divisant le nombre de postiers par cette somme de 171 millions d’euros, les 700 euros de primes manquants apparaissent comme par magie… « Le gouvernement propose cette mesure mais il ne faut pas toucher à son argent ! » ironise le syndicaliste.
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