samedi 22 décembre 2018

MARSEILLE. GAUDIN À LA RUE FACE AUX SINISTRÉS DU MAL-LOGEMENT

Six semaines après le drame de la rue d’Aubagne, le maire a enfin convoqué, hier matin, le conseil municipal. Une réunion sous tension, alors que des centaines de personnes évacuées, souvent dans l’improvisation, se sentent abandonnées à leur sort.
Est-ce un conseil municipal ou Fort Alamo ? La scénographie sécuritaire mise en place hier matin autour du Vieux-Port invite au doute. Accès à l’hôtel de ville bloqués dans un rayon de 500 mètres. Camions de CRS à foison. Deux rangées de barricades formant un périmètre autour de l’espace Bargemon, un hémicycle enterré où le conseil municipal de Marseille se réunit pour la première fois depuis l’un des pires drames de l’histoire récente de la ville : l’effondrement de deux immeubles et la mort de huit personnes. Comme dans un roman de science-fiction aux normes inversées, ce n’est pas le petit peuple que l’on a enfoui dans les tréfonds de la terre, mais les élus… La population, elle, est à l’air libre, en cette surface baignée d’un soleil levant.

« L’immense majorité des cas n’a pas été réglée »

Contre les barricades ont été posés huit cercueils noirs avec les noms des victimes. Un quintet de musiciens entonne la Marche funèbre. À n’en pas douter, ses notes n’ont pas franchi les murs épais de la salle du conseil (lire page 5). Symbole de souffrances et de revendications qui peinent également à être entendues par une municipalité et un maire aux abois. À l’appel du Collectif du 5 novembre, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées pour, de nouveau, porter les unes et les autres sur la place publique. Mardi dernier, Jean-Claude Gaudin a enfin reçu une délégation d’associations. Il a fallu attendre quarante-deux jours après le drame. Mais le premier édile n’a toujours pas rencontré les familles des victimes. « Je leur ai écrit un courrier », s’est-il défendu. Vieux renard de la politique, le maire de Marseille s’est comme effondré politiquement le même jour que le bâti de la rue d’Aubagne. À son image, la municipalité et la machine municipale ressemblent à un canard sans tête.
« L’immense majorité des cas n’a pas été réglée, pointe Marie Batoux, du Collectif du 5 novembre. Il y a des propositions avec des loyers plus chers que ne peuvent se permettre les personnes. Il y a des propositions qui amènent à séparer des familles car les deux enfants aînés sont majeurs et qu’il n’y aurait pas de logements assez grands pour recevoir toute la famille. » La municipalité piétine, patauge et parfois sombre. Elle a un temps supprimé les petits déjeuners aux personnes hébergées dans des Appart’city. Avant de faire machine arrière devant le tollé. L’épisode aura laissé la trace indigne du commentaire de Jean Montagnac, un élu LR : « Aujourd’hui, ils ont des croissants et ils ne savaient pas ce que c’était. » Il a ensuite retiré son propos. Mais la spontanéité du mépris est éclatante.
Sur France Bleu Provence, Jean-Claude Gaudin avait assuré à propos des frais d’obsèques : « Nous avons tout pris en charge, cela va de soi, c’est la moindre des choses. » Une affirmation contredite par plusieurs familles de victimes. « Nous n’avons toujours pas été remboursés, tout le monde se renvoie la balle », témoigne ainsi Linda, petite-cousine de Chérif, une des victimes de la rue d’Aubagne.

La municipalité est prise comme d’une frénésie d’évacuations

Comme le diable qui se niche dans les détails, le sentiment d’abandon s’incarne aussi dans l’élément le plus basique : le manque d’informations. « Les familles sont déboussolées car elles ne sont jamais au courant de rien », souligne un militant. Les familles évacuées se trouvent, le plus souvent, dans des situations de grande précarité économique, voire juridique.
Cette carence frappe au-delà des seuls évacués de la rue d’Aubagne. Depuis le 5 novembre, la municipalité est prise comme d’une frénésie d’évacuations. On en recense au moins 1 500. Le plus souvent dans la plus grande improvisation. C’est ce qui est arrivé à Claude Ritter. Le 30 novembre, elle a été sortie de son appartement. Immeuble en péril, dit la mairie. Le temps de prendre quelques affaires. Une partie part chez des amis à Aix-en-Provence, une autre reste dans sa voiture. Propriétaire occupante, elle n’a pas le droit à un relogement. Elle prend un hôtel, dont le coût ronge son allocation d’adulte handicapée. Un expert passe. L’immeuble est déclaré sain. « On me dit que je peux réintégrer mais je n’ai aucun papier. Pas plus qu’on ne m’avait donné de papier au moment de l’évacuation », s’étonne-t-elle.

Interdit d’accès à son lieu de travail depuis six semaines

Chacun semble livré à lui-même. Prenez Thierry Pellicani. Propriétaire d’une galerie dans le haut de la rue d’Aubagne, il est interdit d’accès à son lieu de travail depuis six semaines. Quatre artistes y ont leurs toiles et ne peuvent les récupérer. Lui-même, tapissier de profession, se retrouve au chômage technique. Afin de prouver la solidité de son immeuble, il a payé de sa proche (1 000 euros) un expert. Aucun danger. Peut-il le réintégrer ? Non. Car les deux immeubles voisins n’ont pas de diagnostics établis. Qui les fera ? Quand ? La mairie obligera-t-elle les propriétaires ? Mystère.
À la désorganisation s’ajoutent des choix politiques. Malgré les demandes répétées des associations et collectifs, l’équipe de Jean-Claude Gaudin se refuse à faire appliquer l’ordonnance de 1945 sur les réquisitions. « Il y a des milliers de logements privés vides à Marseille et on se refuse à les réquisitionner, dénonce Kevin Vacher, du Collectif du 5 novembre. On préfère utiliser trois cents logements sociaux et priver ainsi des familles qui en ont besoin. » L’idée d’une charte du relogement, incluant notamment un « droit au retour » des habitants dans le centre-ville, fait son chemin. Sous la pression, la mairie n’y est plus opposée. « La question centrale est celle de la place des habitants qui sont les premiers experts, pose Bernard Eynaud, ancien président de la Ligue des droits de l’homme marseillaise et membre du collectif. Ce que l’on demande, ce n’est pas que des élus qui ont failli à leur mission rendent désormais compte aux habitants. Mais que ces derniers soient partie prenante de toutes les décisions les concernant. » Une telle méthode aurait sans doute évité le dernier couac en date. Si la mairie avait bien anticipé le besoin de réveillon des familles délogées, elle l’avait délocalisé à Venelles, à 40 kilomètres de Marseille. Une sorte de péché véniel qui fait suite à un péché d’abandon politique qui s’est avéré, lui, plus mortel.

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