A quelques jours de la Journée Justice pour tous, le point avec maître Isabelle Taraud
qui plaide pour une indemnité de licenciement non plafonnée à hauteur
du préjudice subi et s’inquiète du devenir des Prud’hommes.
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En février 2018, Les avocats du SAF mettaient à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats un argumentaire visant à briser le plafond de verre des indemnités prud’homales pour licenciement illégitime et obtenir une juste indemnité.
Deux de leurs auteurs, Isabelle Taraud et Judith Krivine, avocates spécialisées dans le droit du travail nous avaient accordé un entretien pour nous expliquer pourquoi le plafonnement des indemnités prud’homales, issu de l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 n’est pas réglo et comment faire pour obtenir aux prud’hommes une indemnité à hauteur du préjudice et non plafonnée.
10 mois après, Isabelle Taraud, fait le point sur la situation des Prud’hommes dont la baisse de fréquentation fait craindre leur disparition et sur les effets de l’argumentaire contre le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement illégitime
La baisse des contentieux aux Prud’hommes
« Elle est bien réelle et se confirme dans le constat de nos cabinets au quotidien, nous confirme l’avocate spécialisée dans le droit du travail.
Cette baisse, largement entamée avant la réforme introduisant les plafonds d’indemnisation à compter du 23 septembre 2017, vient de la multiplication des ruptures conventionnelles et du découragement des justiciables face à la complexité croissante des procédures et l’allongement de leurs délais.
Ce contexte conduit les salariés à accepter des négociations au rabais ou à renoncer à agir en justice.
C’est une tendance lourde et durable que la réforme de l’année dernière va encore aggraver avec les plafonds d’indemnisation, les prescriptions plus courtes et la réduction de moitié de toutes les sanctions planchers. »
La disparition des prud’hommes
« Il faudra nécessairement conserver une justice prud’homale, se veut optimiste Isabelle Taraud. Car le recours au juge est vecteur de démocratie : il faut un juge présent, accessible, pour garantir que les règles soient respectées. Sans risque de sanction, il n’y a plus d’effectivité suffisante de la règle de droit.
Autre effet, le développement de la négociation conduit à un tarissement de la jurisprudence, alors qu’elle est une construction essentielle de notre droit du travail.
De plus, les gouvernements successifs n’ont pas alloué plus de moyens à la justice prud’homale. Les pouvoirs publics misent au contraire sur cette réduction du contentieux et sur une plus grande complexité des procédures, pour désengorger en force les conseils des prud’hommes et les cours d’appel (lire encadré NDLR).
C’est un scandale car la justice est le 3ème pilier de notre démocratie, aussi indispensable que le pouvoir exécutif et les pouvoir législatif. »
Et c'est un des motifs de la Journée Justice pour tous, mercredi 12 décembre à 11 heures devant les préfectures à l'appel de tous les syndicats des avocats, du personnel de la Justice, de la magistrature ainsi que le Conseil National des Barreaux.
Le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle ni sérieuse
« Nous mettons à disposition un argumentaire contre le plafonnement des indemnités parce que ce plafonnement ne respecte pas les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit à un procès équitable.
Nous utilisons cet argumentaire dans nos plaidoiries. Les premières décisions sont négatives comme l’arrêt du 26 septembre 2018 du conseil des prud’hommes du Mans.
Cependant nous estimons au SAF que les motivations du tribunal sont erronées. Il est d’ailleurs fait appel de ce jugement.
De même les positions prises par le Conseil d’Etat – arrêt du 7 décembre 2017 et le Conseil constitutionnel conjuguées à la doctrine patronale selon laquelle il serait de « l’intérêt général » de favoriser les licenciements en limitant leur coût, nous montrent qu’il va falloir de la combativité.
La décision du Conseil d’Etat met en avant que les barèmes d’indemnisation ont été calculés dans le cadre des travaux préparatoires de la réforme du code du travail… en fonction des moyennes constatées des indemnisations accordées par les juridictions.
Or raisonner à partir d’indemnisations moyennes dans des affaires passées, c’est la négation même de la démarche d’indemnisation des préjudices. Celle-ci exige une appréciation au cas par cas et sans plafond afin de garantir une indemnisation intégrale comme dans tout contentieux de la responsabilité pour faute.
L’objectif « d’intérêt général » que vise le Conseil d’Etat pour justifier ce barème plafonné est en fait dans le seul intérêt des employeurs. Ce qui est contraire à la décision du CEDS-Comité européen des droits sociaux
Quant à se référer à la décision du Conseil constitutionnel du 7 septembre 2017 - article 33, le juge ne peut dans les bornes de ce barème prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi puisque :
- la fourchette d’indemnisation est très resserrée pour les faibles anciennetés,
- le principe même de plafond des indemnités empêche de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi. »
Aucun autre domaine de notre droit français accepte ainsi de limiter la responsabilité contractuelle et l’indemnisation des préjudices. C’est effarant et pourtant ça ne choque pas l’opinion publique parce que cette réforme s’est accompagnée d’un martellement médiatique d’idées qui ne servent que le lobbying patronal (celui des grands groupes plutôt que celui de petites entreprises).
De nombreux procès sont en cours dans lesquels nous plaidons notre argumentaire contre ces plafonds inconcevables, en droit comme en équité. »
En lien ce que prévoit le projet de loi Justice
En février 2018, Les avocats du SAF mettaient à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats un argumentaire visant à briser le plafond de verre des indemnités prud’homales pour licenciement illégitime et obtenir une juste indemnité.
Deux de leurs auteurs, Isabelle Taraud et Judith Krivine, avocates spécialisées dans le droit du travail nous avaient accordé un entretien pour nous expliquer pourquoi le plafonnement des indemnités prud’homales, issu de l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 n’est pas réglo et comment faire pour obtenir aux prud’hommes une indemnité à hauteur du préjudice et non plafonnée.
10 mois après, Isabelle Taraud, fait le point sur la situation des Prud’hommes dont la baisse de fréquentation fait craindre leur disparition et sur les effets de l’argumentaire contre le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement illégitime
La baisse des contentieux aux Prud’hommes
« Elle est bien réelle et se confirme dans le constat de nos cabinets au quotidien, nous confirme l’avocate spécialisée dans le droit du travail.
Cette baisse, largement entamée avant la réforme introduisant les plafonds d’indemnisation à compter du 23 septembre 2017, vient de la multiplication des ruptures conventionnelles et du découragement des justiciables face à la complexité croissante des procédures et l’allongement de leurs délais.
Ce contexte conduit les salariés à accepter des négociations au rabais ou à renoncer à agir en justice.
C’est une tendance lourde et durable que la réforme de l’année dernière va encore aggraver avec les plafonds d’indemnisation, les prescriptions plus courtes et la réduction de moitié de toutes les sanctions planchers. »
La disparition des prud’hommes
« Il faudra nécessairement conserver une justice prud’homale, se veut optimiste Isabelle Taraud. Car le recours au juge est vecteur de démocratie : il faut un juge présent, accessible, pour garantir que les règles soient respectées. Sans risque de sanction, il n’y a plus d’effectivité suffisante de la règle de droit.
Autre effet, le développement de la négociation conduit à un tarissement de la jurisprudence, alors qu’elle est une construction essentielle de notre droit du travail.
De plus, les gouvernements successifs n’ont pas alloué plus de moyens à la justice prud’homale. Les pouvoirs publics misent au contraire sur cette réduction du contentieux et sur une plus grande complexité des procédures, pour désengorger en force les conseils des prud’hommes et les cours d’appel (lire encadré NDLR).
C’est un scandale car la justice est le 3ème pilier de notre démocratie, aussi indispensable que le pouvoir exécutif et les pouvoir législatif. »
Et c'est un des motifs de la Journée Justice pour tous, mercredi 12 décembre à 11 heures devant les préfectures à l'appel de tous les syndicats des avocats, du personnel de la Justice, de la magistrature ainsi que le Conseil National des Barreaux.
Le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle ni sérieuse
« Nous mettons à disposition un argumentaire contre le plafonnement des indemnités parce que ce plafonnement ne respecte pas les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit à un procès équitable.
Nous utilisons cet argumentaire dans nos plaidoiries. Les premières décisions sont négatives comme l’arrêt du 26 septembre 2018 du conseil des prud’hommes du Mans.
Cependant nous estimons au SAF que les motivations du tribunal sont erronées. Il est d’ailleurs fait appel de ce jugement.
De même les positions prises par le Conseil d’Etat – arrêt du 7 décembre 2017 et le Conseil constitutionnel conjuguées à la doctrine patronale selon laquelle il serait de « l’intérêt général » de favoriser les licenciements en limitant leur coût, nous montrent qu’il va falloir de la combativité.
La décision du Conseil d’Etat met en avant que les barèmes d’indemnisation ont été calculés dans le cadre des travaux préparatoires de la réforme du code du travail… en fonction des moyennes constatées des indemnisations accordées par les juridictions.
Or raisonner à partir d’indemnisations moyennes dans des affaires passées, c’est la négation même de la démarche d’indemnisation des préjudices. Celle-ci exige une appréciation au cas par cas et sans plafond afin de garantir une indemnisation intégrale comme dans tout contentieux de la responsabilité pour faute.
L’objectif « d’intérêt général » que vise le Conseil d’Etat pour justifier ce barème plafonné est en fait dans le seul intérêt des employeurs. Ce qui est contraire à la décision du CEDS-Comité européen des droits sociaux
Quant à se référer à la décision du Conseil constitutionnel du 7 septembre 2017 - article 33, le juge ne peut dans les bornes de ce barème prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi puisque :
- la fourchette d’indemnisation est très resserrée pour les faibles anciennetés,
- le principe même de plafond des indemnités empêche de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi. »
Aucun autre domaine de notre droit français accepte ainsi de limiter la responsabilité contractuelle et l’indemnisation des préjudices. C’est effarant et pourtant ça ne choque pas l’opinion publique parce que cette réforme s’est accompagnée d’un martellement médiatique d’idées qui ne servent que le lobbying patronal (celui des grands groupes plutôt que celui de petites entreprises).
De nombreux procès sont en cours dans lesquels nous plaidons notre argumentaire contre ces plafonds inconcevables, en droit comme en équité. »
En lien ce que prévoit le projet de loi Justice
Vers la fin des Prud’hommes ?
Un amendement au projet de loi de programmation et de réforme de la Justice, vise à permettre la fusion des greffes du tribunal judiciaire et du conseil de prud'hommes. Ce texte présenté par les députés LREM vise à modifier l'article 123-1 du code de l'organisation judiciaire.
Il s'agit de permettre, indique l'exposé des motifs, "la fusion des greffes du tribunal judiciaire et des conseils de prud'hommes". Objectif ? "Favoriser une allocation optimale des moyens sur un même territoire en donnant la possibilité de répondre de manière satisfaisante aux exigences de bon fonctionnement des juridictions, aussi bien à la faveur du conseil de prud'hommes qui pourra mobiliser des effectifs du tribunal judiciaire, que du tribunal judiciaire qui pourra mobiliser des effectifs du greffe initialement affectés au conseil de prud'hommes".
La mesure de fusions des greffes pourrait donc toucher environ 120 des 200 conseils prud'hommes de France. Selon la CFDT, cela pourrait donc concerner 700 agents des greffes de conseils prud'hommes, et encore davantage d'agents des greffes des tribunaux d'instance.
Ce projet s'ajoute à celui prévu par l'article 53 du projet de loi Justice qui sous couvert "d’améliorer l’efficacité en première instance » vise à fusionner tribunaux d'instance et de grande instance.
Bonjour la Justice pour tous de proximité.
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