samedi 15 décembre 2018

Territoires. Les maires ruraux au cœur de l’ébullition

Renforcés par les cahiers de doléances, les élus des campagnes deviennent des acteurs incontournables pour relayer les aspirations citoyennes.
Certains d’entre eux, sentant gronder la colère dans leur commune, avaient déjà alerté dès le début de l’automne. Comme l’Association des maires ruraux d’Ille-et-Vilaine, qui soulignait, le 8 octobre, dans un communiqué, que les ruraux, « contraints d’utiliser leur véhicule dans le cadre de leurs activités professionnelles, mais aussi des activités des enfants et de l’éloignement des services publics », allaient voir leur pouvoir d’achat directement amputé par l’augmentation du prix du carburant. Au plus proche des habitants, pour qui ils sont souvent « des interlocuteurs de confiance », les maires ruraux pour-suivent leur rôle de relais de la parole citoyenne.

« Faciliter l’expression de celles et ceux qui sont empêchés »

C’est ainsi que, depuis le 8 décembre, plusieurs mairies ouvrent leur portes pour recueillir « doléances et propositions ». Pour l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et l’Association des petites villes de France (APVF), l’objectif est aussi de « faciliter l’expression de celles et ceux qui sont empêchés (exclusion numérique, analphabétisme…) ». Les bons vieux cahiers ont donc fait leur retour sur les guichets des mairies derrière lesquels les agents municipaux se mettent à la disposition des citoyens. C’est le cas à Clion-sur-Indre (Indre). Dans cette commune berrichonne, les habitants peuvent formuler leurs aspirations par écrit ou oralement. La mairie s’engage ensuite à les transmettre pour en réaliser une synthèse départementale qui sera diffusée au gouvernement, au Parlement et aux médias. « Il y a un malaise profond », juge le maire Williams Lauerière, qui dit comprendre le mouvement en s’estimant face à une Cocotte-Minute. « Ici, beaucoup d’agriculteurs se plaignent de travailler beaucoup et de ne pas être rémunérés en conséquence. Il faut les comprendre, ils voient des gens aux minima sociaux qui gagnent parfois autant qu’eux ! » assène le maire de droite. Ici, la colère n’est pas moins protéiforme qu’ailleurs et ne prend pas toujours pour cible les profits des plus riches, pourtant à l’origine de la crise. Parmi celles et ceux qui n’écriront pas sur les cahiers de doléances, les veuves de paysans, dont la retraite plafonne parfois à 500 euros. Celles-ci, qui bénéficient du soutien discret de la municipalité, font pourtant « partie de ceux qui souffrent », relève le maire.
En Dordogne, les maires ruraux ont été nombreux à ouvrir des cahiers de doléances. « Une centaine de communes les ont mis en place. Les remontées collent parfaitement aux revendications des gilets jaunes », rapporte Alain Castang, président de l’Association des maires ruraux du département. Ce maire de Rouffignac-de-Sigoulès soutient « à fond » le mouvement. Il n’a pas été surpris de constater son ampleur : « Bien avant les gilets jaunes, on sentait, dans nos campagnes, monter le ras-le-bol de tous ces citoyens qui n’y arrivent plus. » Pour le directeur de l’AMRF, Cédric Szabo, l’initiative a permis à de nombreux citoyens de dire « j’existe ». Notamment aux très nombreuses personnes dans les campagnes qui ne se sont pas rendues sur les ronds-points. Parmi les cahiers déjà remontés, la question de l’urgence territoriale surgit majoritairement du lot des revendications. Le volet « propositions » représente quant à lui « un vivier considérable », pour l’AMRF, qui dit jouir d’une écoute bien plus attentive depuis quelques semaines de la part de l’exécutif. La synthèse des cahiers de doléances devrait être connue dans le week-end.
Olivier Morin avec Pierre Duquesne

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