Si la hausse de la prime d’activité annoncée par le chef de l’État va bénéficier à davantage de foyers, seuls 55 % des travailleurs payés au salaire minimum en profiteront. Les autres, en majorité des femmes, n’y auront pas droit, du fait des revenus de leur conjoint.
On savait déjà que l’augmentation du Smic de 100 euros annoncée par Emmanuel Macron, lundi 12 décembre à la télévision, n’en serait pas vraiment une. On sait aussi désormais que, contrairement à la promesse initiale, celle-ci ne sera versée dans les faits, à compter du 5 février, qu’à un peu plus de la moitié des travailleurs payés à cette rémunération.
Dans les Échos datés de lundi, Édouard Philippe a achevé de doucher les espoirs d’une bonne part de ceux qui, abonnés au salaire plancher, avaient pris au mot le président de la République. Si la hausse de la prime d’activité, qui a été préférée à une revalorisation du Smic en bonne et due forme, va bénéficier à davantage de foyers qu’auparavant (5 millions, contre 3,8 millions, selon le premier ministre) grâce au relèvement du seuil pour la percevoir jusqu’à 1,5 Smic par salarié (contre 1,2 Smic), seuls 55 % de ceux qui émargent au salaire minimum la percevront. Mieux que les 35 à 45 % qui touchent la prime actuelle. Mais très loin fr la promesse de toucher 100 % des salariés payés au Smic.
Confusion entretenue « entre salaire et lutte contre la pauvreté »
Édouard Philippe met en avant d’autres exemples : « Tous les salariés célibataires sans enfant auront 100 euros de plus jusqu’à 1 560 euros net de revenus. Avec un enfant, une mère célibataire (...) pourra percevoir la prime jusqu’à 2 000 euros de salaire. Un couple (avec) deux enfants, dont l’un gagne le Smic et l’autre 1 750 euros, verra ses revenus augmenter de 200 euros. » Il n’empêche que près de la moitié (45 %) des smicards devront s’en passer, au nom des revenus que gagne leur conjoint. « La hausse de la prime d’activité devait intervenir en janvier, elle interviendra en février. Elle devait concerner tous les smicards, elle n’en concernera plus qu’un sur deux… Quand le gouvernement parle de loi sur les fake news (fausses nouvelles – NDLR), la plus grosse des fake news vient de l’Élysée », grince le porte-parole du PCF et tête de liste communiste pour les élections européennes, Ian Brossat.
Boris Plazzi, dirigeant confédéral de la CGT en charge de la question des salaires, a fait les comptes : « Cela signifie qu’environ un million de travailleurs, et en particulier de travailleuses, ne toucheront pas ce que le président de la République leur avait pourtant promis. » Les femmes, qui perçoivent une rémunération en moyenne inférieure de 24 % aux hommes et représentent 58 % des deux millions de personnes payées au Smic, sont en effet mathématiquement désignées pour être les victimes de l’arbitrage gouvernemental en faveur d’une hausse de la prime d’activité, une aide sociale calculée selon les revenus du foyer et non le salaire perçu par la ou le bénéficiaire. « Le fait que davantage de foyers touchent la prime d’activité ne peut aucunement compenser l’injustice faite à ces travailleuses et travailleurs au Smic », dénonce Boris Plazzi.
Pourtant, Édouard Philippe avait promis textuellement tout autre chose à l’Assemblée nationale, mardi dernier. « Nous voulons que l’ensemble de ceux qui sont rémunérés au Smic bénéficient d’une augmentation substantielle de 100 euros, comme l’a dit le président de la République », avait-il affirmé devant les députés. Pour justifier son revirement, le chef du gouvernement s’est livré à une sidérante réflexion dans les Échos : « Cela peut paraître étonnant, mais 1,2 million de salariés payés autour du Smic (c’est-à-dire la majorité d’entre eux – NDLR) se trouvent dans les 30 % des foyers les plus aisés. (…) Prendre en compte l’ensemble des revenus ne me paraît pas scandaleux. C’est même un sujet de justice sociale. » CQFD. Cette confusion entretenue « entre salaire et lutte contre la pauvreté » est la rançon de « la volonté de décrocher le Smic de la notion de rémunération de la force de travail, décrypte Michel Husson, membre des Économistes atterrés. Cela de manière à justifier à tout prix que le patronat ne paye pas. Mais s’il faut ‘‘que le travail paie’’, comme l’a reconnu lui-même Édouard Philippe, cela passe par des hausses de salaire et non par des compléments bricolés ».
Pour Boris Plazzi, le détail des mesures exposé par Édouard Philippe dévoile « l’escroquerie en bande organisée à laquelle on assiste sur une prétendue augmentation du Smic ». D’autant que, à « l’arnaque sur les bénéficiaires de la prime d’activité », s’ajoute l’annonce, confirmée lundi aux syndicats, que le salaire minimum « ne sera revalorisé que de 1,5 % au 1er janvier, c’est-à-dire moins que la prévision avancée par le gouvernement », s’insurge le responsable de la CGT.
Mardi, devant les députés, la ministre du Travail avait été formelle : « Quant au Smic, il sera bien revalorisé d’environ 1,8 % à la rentrée. (…) Il s’élèvera à 1 210 euros » net. Muriel Pénicaud allant jusqu’à parler de « plus forte augmentation depuis treize ans » en l’absence de tout coup de pouce, la forte inflation expliquant ce niveau de revalorisation annuelle. Lundi matin, sur RTL, la ministre a fait machine arrière, évoquant « un Smic finalement à 1 204 euros », à cause d’« une inflation plus basse que prévu ». « Ça fait à peine une vingtaine d’euros par mois », calcule Boris Plazzi, très loin des 300 euros au minimum réclamés par la CGT. « Il aurait été bien plus efficace, lisible, d’augmenter tout de suite le Smic, plutôt que la prime d’activité, argumente le syndicaliste. Car cette prime versée par l’État ne va rien changer au bas des grilles de salaires dans les branches, les entreprises et l’administration. »
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