L’année aura été marquée par les rapports catastrophistes et par la montée des luttes environnementales. Les manifestants ont battu le pavé lors de mobilisations locales ou internationales, avec à la clé des points marqués.
Bien sûr il y a l’urgence, que viennent rappeler, à rythme régulier, les chiffres déprimés. Bien sûr, il y a le retard accumulé depuis vingt ans par l’action politique en matière de protection du climat ou de la biodiversité, et cet ajournement systématique des mesures à prendre. Bien sûr il y a le poids des lobbies et la mécanique du système libéral. Bien sûr il y a la crainte de ne pas réussir à transformer tout cela suffisamment vite ni suffisamment fort pour empêcher un effondrement des ressources et des conditions de vie qui mettrait encore plus en souffrance les populations qui le sont déjà.
Mais il y a aussi cette fenêtre de tir, toujours ouverte, à laquelle plusieurs rapports ont apporté, cette année, un coup de projecteur. Celui, retentissant, publié en octobre par le Giec, par exemple. S’il donne à voir l’ampleur de la tâche à accomplir – réduire les émissions globales de gaz à effet de serre de moitié d’ici à 2030 – pour pouvoir limiter le réchauffement à 1,5 °C, il indique également que tout n’est pas fichu. Douze ans pour agir, c’est peu mais ce n’est pas rien. Dans la même veine, la mise à jour, en novembre, par l’Union internationale pour la conservation de la nature de la liste rouge des espèces menacées illustre la portée des actions de conservation. Autrefois « en danger », le rorqual commun a ainsi vu sa population mondiale presque doubler en quarante ans, à la suite des interdictions internationales de chasse commerciale à la baleine.
Surtout, il y a la veille citoyenne et les batailles engagées par les populations. Singulière, 2018 aura hissé l’environnement au premier plan des mobilisations, en France comme un peu partout dans le monde. Ressources, températures et biodiversités sont officiellement devenues des sujets de luttes sociales et politiques. Ce sont elles qui offrent, aujourd’hui, un avenir à la planète et à l’humanité. Normal, avant de boucler l’année, d’en rendre un aperçu, fort heureusement non exhaustif.
1 MOBILISATION L’année où l’environnement est devenu une bataille de masse
Photo : Reuters
En France, on l’a vue exploser au lendemain de la démission de Nicolas Hulot : la mobilisation écologique a pris, en 2018, un tournant tout aussi singulier que l’aura été cette année. Les vagues de chaleur, les sécheresses, les incendies et les inondations qui ont balayé l’hémisphère Nord pendant l’été y ont porté, sans plus d’ambiguïté, la marque du réchauffement. Une expérience concrète des bouleversements climatiques – de même que l’est devenue celle des pollutions atmosphériques ou agricoles – qui, combinée à la sortie spectaculaire de l’ex-ministre de la Transition écologique, a conduit à l’expression massive d’exigences environnementales mûries depuis plusieurs années.
Le 8 septembre, 130 000 personnes marchaient à travers le pays pour demander que cessent les collusions entre lobbies industriels et politiques contre-environnementales. Un mois plus tard, la publication du rapport du Giec sur le réchauffement global à 1,5 °C relançait la machine. Le 13 octobre, 80 marches se tenaient en France pour revendiquer la mise en œuvre immédiate de la transition énergétique. Fait notable : comme ce sera le cas avec le mouvement des gilets jaunes, ces deux journées d’action auront, à la base, été le fruit d’appels lancés par des citoyens lambda via les réseaux sociaux. « GJ » et « climateux », en outre, finiront par converger autour de la revendication d’une transition juste : le 8 décembre, les marches pour le climat organisées en pleine COP24 défileront en jaune et vert.
La dynamique n’est pas propre à la France. Cet automne, des actions ont pris forme un peu partout dans le monde pour bloquer l’avancée des énergies fossiles. L’ONG internationale 350.org décrit ainsi treize batailles engagées ou relancées en Allemagne, en Italie, dans les îles du Pacifique ou encore au Bangladesh, où des communautés locales s’organisent pour empêcher la réalisation de projets carbonés. Plus tôt, le 25 mai, des actions du même type se sont tenues dans 20 pays d’Afrique. Une résistance climatique qui aura marqué 2018 dès ses premières heures : fin janvier, aux États-Unis, des dizaines milliers de personnes se sont retrouvées, à l’appel d’une coalition rejointe par l’ex-candidat Bernie Sanders, pour le lancement d’une campagne contre les velléités extractivistes de Donald Trump.
2 JUSTICE Quand le glaive penche du côté citoyen
Parlant de mobilisation, celle qui accompagne les quatre ONG prêtes à assigner l’État français en justice pour inertie face au réchauffement a de quoi interpeller. Hier, moins d’une semaine après son lancement, la pétition de soutien à ce que l’on a baptisé « l’Affaire du siècle » enregistrait près de 1,8 million de signatures. Il faut dire que les recours à la justice ont le vent en poupe. Ces dernières années ont vu se multiplier les plaintes de citoyens faisant valoir leur droit à un environnement sein et à un avenir sécurisé. Certaines ciblent des projets précis – ainsi le recours déposé, mi-décembre, par sept ONG françaises pour obtenir l’annulation des autorisations de forage accordées au pétrolier Total au large de la Guyane. D’autres, à l’instar de l’Affaire du siècle, visent carrément des politiques publiques. Dans tous les cas, la justice est vue comme l’ultime pouvoir à actionner quand plaidoyers et manifestations ont échoué. Et, en 2018, elle l’aura bien rendu.
La victoire, en août, du jardinier Dewayne Johnson face à Monsanto a été de celles tonitruantes. Après une bataille acharnée, l’homme, atteint d’un cancer en phase terminale, est parvenu à faire condamner le géant de l’agrochimie pour avoir tu la dangerosité de l’herbicide Roundup et de son principe actif, le glyphosate.
Il y en a eu d’autres. Ainsi, le 9 octobre, la cour d’appel de La Haye a-t-elle confirmé un jugement ordonnant au gouvernement néerlandais de diminuer au plus vite les émissions de gaz à effet de serre du pays. Estimant que l’État agissait « illégalement et en violation du devoir de diligence », elle lui a commandé de les avoir réduites de 25 % par rapport à 1990 avant fin 2020. Rien de symbolique dans cette décision : les Pays-Bas sont désormais dans l’obligation légale de prendre des mesures pour protéger leurs citoyens contre les conséquences du changement climatique. Dans la même veine, le 5 avril, la Cour suprême de Colombie, à travers un jugement historique, a ordonné au gouvernement de mettre fin à la déforestation, lui rappelant son devoir de protéger la nature et le climat au nom des générations présentes et futures.
3 DROITS NOUVEAUX des points marqués à L’ONU
Qui dit justice, dit droits. Et qui dit droits, dit droits humains. Sans être aussi révolutionnaire que l’on aurait pu le souhaiter, 2018 a vu, dans ce domaine aussi, des points marqués. Comme au Pérou, où, après plusieurs années de lutte, les peuples autochtones Awajun et Wampis se sont vu reconnaître celui d’être consultés en cas de projet extractiviste sur leur territoire. On pourrait y voir un minimum syndical – ou, en l’occurrence, légal. Ce n’en est pas moins une première dans le pays, où les entreprises pétrolières ne se privaient jusqu’alors pas de débarquer là où cela leur chantait.
L’espace législatif devient, de fait, un terrain de bataille environnemental conséquent. Adoptée par la France en 2017, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, qui impose aux sociétés privées d’établir des stratégies industrielles compatibles avec les droits environnementaux et sociaux, est de celles sur lesquelles les ONG peuvent désormais s’appuyer. Beaucoup appellent, en outre, à ce que ce texte, pour l’heure unique au monde, soit répliqué à l’échelle globale.
En mars dernier, le conseil de l’ONU est allé dans leur sens. Alors que vacillaient les discussions autour d’un traité qui ferait primer les droits sociaux et environnementaux sur les droits commerciaux, l’organe s’est prononcé en faveur de la poursuite des négociations. En d’autres termes, il a offert un avenir au texte, lequel, dans un contexte de multiplication des accords de libre-échange, pourrait s’avérer un outil capital pour les populations.
Ce n’est pas la seule avancée onusienne : en mai, l’Assemblée générale des Nations unies a également adopté une résolution intitulée « Vers un pacte mondial pour l’environnement », ouvrant ainsi la voie à un nouvel instrument international visant à renforcer les droits environnementaux.
4 ÉNERGIES SALES Forages et pipelines
Des militants de Greenpeace interrompant l'AG des actionnaires de Total pour protester contre le projet de forages au large de la Guyane. Photo : Philippe Wojazer/Reuters
S’il est des batailles remportées cette année, beaucoup ont à voir avec les énergies fossiles. Ainsi celle gagnée contre Total et ses projets de forages pétroliers au large l’Amazone. Début décembre, l’Ibama, agence environnementale du Brésil, a refusé au groupe français l’autorisation d’effectuer des forages dans cinq secteurs de l’embouchure de l’Amazone. Elle déclare avoir détecté d’ « importantes incertitudes » dans le plan présenté par la multinationale, évoquant la « possibilité d’une fuite de pétrole qui pourrait affecter les récifs coralliens ». Total s’était déjà vu, à plusieurs reprises, demander de peaufiner son projet afin qu’il soit recevable. Selon Greenpeace, le pétrolier vient d’épuiser ses dernières cartouches. C’est une « excellente nouvelle pour les 2 millions de personnes qui se sont mobilisées », commente l’organisation.
Au Canada, la mobilisation – là encore épaulée de la justice – a permis de freiner le Trans Mountain Pipeline, un projet d’oléoduc envisagé entre l’Alberta et la côte Ouest du pays, visant à tripler le débit de pétrole issu de sables bitumineux.
En France, enfin, ce sont les actions non violentes et les plaidoyers visant à convaincre banques et assurances de ne plus investir dans les énergies carbonées qui ont payé. La BNP Assurance, la Maif, Groupama ou encore CNP Assurances ont ainsi annoncé qu’ils cessaient leur financement de centrales à charbon, indiquent les Amis de la Terre. Très active dans cette bataille, l’ONG entend bien faire plier pareillement la Société générale, dont elle dénonce les investissements dans les énergies sales.
5 BIODIVERSITE Ressources sous protections citoyennes
Photo : Pascal Rossignol/Reuters
Les mobilisations, enfin, auront aussi payé sur le front de la biodiversité. On a en tête le point marqué contre la pêche électrique en Europe : en janvier, la campagne menée contre les lobbies de la pêche industrielle par l’ONG Bloom a permis de faire pencher le Parlement européen contre cette pratique. À la suite d’une campagne de Greenpeace, Wilmar International, plus gros négociant mondial d’huile de palme, s’est ainsi décidé à publier, début décembre, un plan d’action détaillé pour surveiller ses fournisseurs, « étape importante vers l’élimination de la déforestation » . En Argentine, le gouverneur de la province de Salta, répondant à une revendication citoyenne, a infligé une amende de 2,5 millions de pesos à un industriel et lui a ordonné de reboiser les 174 024 hectares de forêt protégée qu’il a détruits entre 1998 et 2017.
Marie-Noëlle Bertrand
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