jeudi 16 mai 2024

Comment taxer le rachat d’actions ? (2/2)

Le gouvernement a annoncé vouloir mettre en place une mesure pour taxer les entreprises qui rachètent leurs propres actions. Selon Bercy, cela pourrait rapporter « plusieurs centaines de millions » d’euros.

Ce genre d’opération réalisée par les sociétés du CAC 40 n‘est pas vertueuse. Il faut la pénaliser et favoriser l’actionnariat salarié.

Natalia Pouzyreff

Députée Renaissance des Yvelines

C’est en 2023 que j’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène des rachats d’actions en vue de leur annulation par de grandes entreprises cotées. Dès 2021, les rachats d’actions ont atteint un niveau record dans notre pays avec 23,8 milliards d’euros, soit 1,1 % de la capitalisation boursière. La tendance s’est confirmée en 2022 – 24 milliards – et 2023, avec plus de 30 milliards d’euros !

Cette pratique concerne principalement des sociétés matures du CAC 40 ayant fait des bénéfices exceptionnels et sans projet d’investissement immédiat. Elle peut certes permettre de renforcer la structure capitalistique de l’entreprise mais le plus souvent elle vise à accroître la valeur boursière des titres et ainsi à mieux rémunérer les actionnaires par annulation du nombre d’actions rachetées. Que la France compte de grandes entreprises leaders sur les marchés mondiaux qui réalisent de forts bénéfices et attirent ainsi des capitaux est une bonne chose.

Qu’elles mettent en œuvre des programmes de rachat d’actions en vue de leur annulation n’est en revanche pas très vertueux eu égard à l’impact sur l’investissement et le partage de la valeur au détriment des salariés. Aux États-Unis, où les rachats d’actions sont courants, ce constat a conduit le président Joe Biden à introduire une législation visant à encadrer cette pratique.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, l’Excise Tax on Repurchase of Corporate Stock prévoit ainsi un prélèvement de 1 % sur les rachats d’actions, taxe que l’administration américaine a envisagé de faire passer à 4 %. En mars 2023, le président Emmanuel Macron dénonçait le procédé « des grandes entreprises qui font des revenus tellement exceptionnels qu’elles en arrivent à utiliser cet argent pour racheter leurs propres actions » et d’appeler à trouver la bonne technique pour que ces sociétés « distribuent davantage à leurs salariés ».

Forte d’un long engagement en faveur de l’actionnariat salarié dans ma carrière préparlementaire, j’ai pris attache en août 2023 avec la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS) dans l’idée de déposer un amendement visant à favoriser l’actionnariat salarié. Le dispositif proposé est le suivant : majorer de 1 % le taux de la taxe sur les transactions financières, actuellement fixé à 0,3 %, pour les rachats d’actions de sociétés capitalisées plus d’un milliard d’euros, tout en prévoyant une possibilité d’exonération si au moins un dixième des actions rachetées est attribué gratuitement aux salariés de manière égale et concomitante à l’annulation des autres actions.

Ma démarche n’est pas idéologique mais pragmatique : encourager les grandes entreprises qui aujourd’hui rachètent leurs actions à développer l’actionnariat salarié et à favoriser l’investissement en vue de concilier défis industriels et cause environnementale.

Cette pratique qui ne bénéficie qu’aux actionnaires est la manifestation ultime d’un capitalisme dégénéré. Il faut l’interdire ou la taxer à 100 %.

François Hommeril

Président de la CFE-CGC

Racheter des actions pour les détruire est l’acte anticapitaliste le plus répugnant qui puisse exister. On ne parle pas ici des rachats nécessaires à distribuer des actions à ses salariés. Mais de cette pratique obscène qui consiste à détruire du capital aux seuls fins de faire monter le cours de l’action d’une entreprise, enrichir ses actionnaires par la spéculation et au surplus échapper à l’impôt.

Le regretté Bernard Maris considérait cet acte suicidaire comme la manifestation ultime d’un capitalisme dégénéré dépourvu de ce qui fait sa substance : inventivité, initiative, prise de risque, ce que, usuellement, on appelle, « l’esprit d’entreprise ». Plus de 30 milliards d’euros de rachats d’actions en 2023 pour le CAC 40, quand l’économie est au ralenti et que les dépôts de bilan font la chronique quotidienne de la presse régionale. Magie du chiffre, 30 milliards, c’est justement ce que Bruno Le Maire déclare rechercher dans les finances publiques pour passer son rabot austéritaire.

Ainsi, et alors que les entreprises n’auront jamais été autant gavées d’argent public sans discernement ni condition (plus de 200 milliards), le haut du panier de l’économie française brûle les euros qu’il a captés en comprimant la chaîne de valeur et en consommant les aides de l’État. Leurs actionnaires nous rient au nez, tout le monde dit que c’est mal, et personne ne fait rien. Et pourtant, tout serait si simple avec un peu de volonté politique et un peu moins de cynisme de la part de nos dirigeants qui s’offusquent du moindre larcin d’un fraudeur social et passent l’éponge en baissant les yeux devant ce qui est peut-être un des plus énormes scandales de notre époque troublée.

Il faut interdire cette pratique, ou la taxer à 100 %. À tout le moins, exiger le remboursement de toutes les aides publiques perçues par les entreprises qui pratiquent cette calcination de la valeur. Défier le pouvoir actionnarial qui régente une économie définitivement financiarisée est possible. Encore faut-il avoir l’esprit libre et la pensée claire. Autant dire une mission, tant les charlatans de l’économie qui squattent les plateaux des médias ont rependu un épais brouillard de propagande tentant à absoudre ces pratiques pour « plaire aux marchés ».

Racheter des actions pour les détruire, c’est la marque assumée d’un capitalisme sans idée. Une machine qui tourne à vide quand l’urgence climatique impose des investissements et une créativité sans précédent. On peut se demander comment restaurer un peu de confiance en l’avenir pour une jeune génération exigeante et soucieuse du bien commun devant un spectacle aussi désolant d’égoïsme. La CFE-CGC se bat pour une société de liberté de prospérité et de solidarité.

Pour y arriver, nous pensons qu’il faut réformer la structure juridique des entreprises et empêcher le capital et ses représentants de guider toutes les décisions de l’entreprise dans le seul objectif de maximiser le profit de ses actionnaires. Empêcher le rachat d’actions sera le premier signe d’une reconquête de l’intelligence dans le projet de développement des entreprises.

 

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