La Confédération estime que des suppressions de postes sont en cours ou annoncées dans 130 entreprises, mettant en péril entre 60 000 et 90 000 emplois directs et indirects. L’industrie paye le plus lourd tribut.
À dix jours d’écart : deux salles, deux ambiances. Au château de Versailles, le 13 mai, Emmanuel Macron recevait en majesté lors de Choose France, son rendez-vous annuel avec des investisseurs internationaux. Devant 200 « CEO » étrangers et 60 PDG de groupes tricolores, le chef de l’État revendiquait plus de 15 milliards d’euros d’investissements privés en France. En écho, son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, annonçait que la réindustrialisation du territoire était en marche et que l’objectif de propulser l’industrie de 10 % aujourd’hui à 15 % d’ici à 2035 était atteignable.
Au siège de la Confédération générale du travail, ce mercredi matin, pas de galerie des Glaces, ni de clinquants milliards. Et s’il est question de chiffres, ceux-ci sont en négatif. « Choose France est l’arbre qui cache la forêt d’une saignée sociale en cours ! » assène Sophie Binet, secrétaire générale.
Son organisation publie une « liste noire des plans de licenciement depuis septembre 2023 ». Les fédérations professionnelles ont fait remonter pas moins de 130 entreprises « où l’emploi est mis à mal », dont 82 à caractère industriel.
Combien d’emplois sont menacés en France ?
Ces plans actuels ou annoncés devraient causer la disparition de 33 021 emplois. Dans l’industrie, 14 611 postes directs seraient concernés, auxquels s’ajouteraient au moins 26 762 emplois indirects, si l’on considère l’hypothèse basse d’un emploi industriel pour deux emplois indirects. Mais, selon le ratio haut de la Banque publique d’investissement (un emploi direct pour 4 indirects), 60 214 postes seraient en jeu.
Tous secteurs cumulés, la CGT considère que ces 130 plans sociaux vont supprimer entre 59 783 et 93 235 emplois directs et indirects. Et encore, la liste n’est pas tout à fait consolidée, de nouveaux plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) s’additionnant. Secrétaire fédéral de la CGT Filpac (industrie du papier et du carton), Carlos Tunon ajoute une société d’envoi de publicités, déjà aux prises avec un PSE concernant 3 500 emplois, dont le placement en redressement judiciaire met en suspens l’intégralité de ses 10 000 postes.
De quoi relativiser les 10 000 emplois créés ou maintenus grâce aux 15 milliards d’euros d’investissements de Choose France. « Cela ferait 1,5 million d’euros par emploi créé ou maintenu. Avec ces 15 milliards d’euros, on pourrait créer 400 000 emplois dans les services publics », ironise Sophie Binet, qui voit dans cette vague de plans sociaux un triple échec des gouvernements d’Emmanuel Macron.
« L’échec de la spécialisation productive de la France, sur l’armement et le luxe, en déconnexion totale avec les besoins des gens. L’échec d’avoir laissé les clés aux grandes firmes internationales. L’échec d’avoir misé sur une hypothétique compétitivité du ”coût du travail” que nous, nous appelons ”prix du travail”, alors que c’est le coût du capital, des dividendes, qui empêche les entreprises d’investir. »
Les plans sociaux, ennemis du climat ?
La CGT dénonce d’autant plus ces plans sociaux qu’ils mettent à mal la transition écologique. Dans les métiers du papier, « on se croirait revenu à la vague de désindustrialisation des années 1990, décrit Carlos Tunon. Les productions de carton sont délocalisées vers les pays frontaliers et nous reviennent par camions ».
À ses côtés, sa collègue des industries chimiques, Françoise Baran, reprend la balle au bond : « Quand Yara délocalise sa production d’engrais, nous perdons non seulement 139 emplois, mais aussi une production qui était testée au grain. Les importations qui viendront par bateau seront-elles testées à la tonne ? Ce ne sont pas les mêmes normes. »
Comment réindustrialiser ?
La CGT, qui avait rompu lors de son dernier congrès avec l’Alliance écologique et sociale regroupant notamment la Confédération paysanne, Greenpeace, la FSU ou Attac, compte faire de l’industrie et de l’environnement un nouvel axe de son action syndicale. « Nous voulons sortir du productivisme low cost en relocalisant, en centrant l’industrie sur les besoins de la population et en proposant de nouveaux droits pour les travailleurs », synthétise Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral en charge des états généraux pour l’industrie et l’environnement, organisés mardi 28 mai.
Cette journée d’étude, avec 700 participants, vise à « dépasser les oppositions entre le social et l’environnemental », selon son organisateur. Une ambition pas simple, à l’image de la « casse sociale dans l’automobile. Au nom du tout-électrique, des milliers d’emplois sont délocalisés. Nous, on considère que le thermique a de l’avenir, mais que le patronat et l’État ont décidé qu’il se fera hors du territoire », dénonce ainsi Fabrice Sanchez, de la fédération de la métallurgie.
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