La Macronie a la passion de la fusion. Et c’est avec méthode qu’elle détruit les services publics les uns après les autres.
L’audiovisuel est le prochain secteur à risquer de faire les frais, cette fois, de la politique destructive de commun d’Emmanuel Macron. C’est pourquoi la grève qui s’étale sur deux jours à Radio France et France Télévisions est légitime et très suivie.
Les salarié.es s’opposent au projet de rapprochement de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (RFI, France 24) et l’INA (Institut national de l’audiovisuel), sous forme d’une holding chapeautant ces entreprises à partir du 1er janvier 2025 puis d’une fusion en 2026. Il n’y aucune bonne raison de mener à bien ce regroupement. Nous avons besoin de plus et de mieux d’audiovisuel public, et non de sa casse organisée.
Le malade imaginaire
Pourquoi s’en prendre à un service public qui marche bien en termes d’audience ? En France, la radio publique est le premier acteur radio du pays, sur le hertzien et le numérique. Nous devrions en être fier et chercher à améliorer le modèle. En 2023, 60% des Français s’informent chaque semaine sur les chaînes télévisées du service public. France TV affiche la meilleure progression des plateformes de streaming gratuit quand 18,3 millions de téléspectateurs regardent au moins un documentaire chaque semaine sur France Télévisions.
La Macronie, si obsédée des performances, devrait tirer son chapeau. Elle préfère créer un « malade imaginaire », pour reprendre la formule de Sybile Veil, PDG de Radio France. Car le couple bling-bling Macron-Dati n’a qu’une idée en tête : en finir avec ce qu’il reste d’esprit public dans l’audiovisuel.
Ce qui me frappe, c’est l’indigence de l’argumentation en faveur de la fusion, la ministre de la Culture en tête. Qu’importe que cinq anciens ministres de la Culture, de Jacques Toubon à Rima Abdul-Malak, en passant par Roselyne Bachelot, aient dit que c’était une très mauvaise idée. Comme avec le « There Is No Alternative » de Thatcher, Rachida Dati martèle « qu’on ne pourra pas faire autrement » que de « rassembler les forces pour protéger l’audiovisuel public face aux plateformes » et créer une « BBC à la française ». L’actuelle ministre de la Culture, mise en examen pour corruption et toujours en poste, a donc ressorti ce projet des cartons, sans doute pour inscrire son nom sur une loi et appliquer, sans en avoir l’air, une cure budgétaire. C’est aussi par mépris de ce qui fait la spécificité du public que cette fusion pourrait être imposée aux forceps.
Fusionner pour réduire les budgets
Qui dit fusion dit mutualisation des coûts et au passage, baisse des budgets. C’est ainsi que notre pays est en marche. Toujours les mêmes coups de rabots. L’audiovisuel public a été durement atteint par la récente fin de la redevance qui lui garantissait des revenus pérennes et directement affectés. Celle-ci avait le défaut de ne pas être progressive mais participait de l’indépendance et de la stabilité du financement de l’audiovisuel public. Au lieu de la supprimer, il aurait fallu la réformer pour qu’elle soit payée en fonction des revenus. Aujourd’hui, l’audiovisuel public se retrouve davantage dépendant du pouvoir politique qui décide de la part qui lui sera dédié dans le budget de l’État. C’est une véritable fragilisation du service public audiovisuel, qui se retrouve contraint à chercher d’autres sources de financement. C’est ainsi, par exemple, qu’est apparue la publicité sur France Inter…
L’audiovisuel public subit par ailleurs ce que tous les services publics subissent. Comme vient de le montrer une note de la Fondation La Boétie, depuis le début des années 1980, la part des services publics dans le PIB a stagné tandis que les revenus du patrimoine progressaient de 5 points et que les profits non redistribués passaient, eux, de 7 à 15% du total. C’est le fruit de choix politiques qui ont favorisé les aides aux entreprises privées et aux hyper-riches au détriment des services publics, qui servent pourtant le collectif et répondent à nos besoins fondamentaux. La suite de l’histoire est connue : après 10 milliards en moins dans les budgets publics pour 2024, ce sont encore 20 milliards d’ici 2025 et 50 milliards à horizon 2027 qui sont annoncés par le gouvernement.
Et puisque Rachida Dati prend en modèle la BBC, sachez qu’en Grande-Bretagne, elle a de ce point de vue bien des soucis. Face à un gel de la redevance imposée par le gouvernement, son budget a baissé de 30% en dix ans et 1.800 postes ont été supprimés. Le PDG de la BBC réfléchit à une nouvelle forme de financement, et s’orienterait vers celle proposée par Julia Cagé, à savoir une taxe progressive en fonction des revenus. S’il faut s’inspirer, prenons le meilleur, et évitons le pire.
Le retour de l’ORTF ?
Il y a des spécificités au secteur de l’audiovisuel public qui nourrissent les craintes. La fin de l’ORTF, symbole du pouvoir gaulliste, a séparé en 1974 l’activité des radios de celle des télévisions. Cinquante ans plus tard, force est de constater que des cultures différentes s’y sont ancrées. Les fusionner à nouveau, c’est notamment prendre le risque de marginaliser celle de notre radio publique. Beaucoup plus petite numériquement, cette dernière pourrait être aspirée par les normes et pratiques de la télévision. Il faut savoir par exemple que la radio publique produit à 100% ses contenus, contrairement à France Télévisions qui externalise au privé. Sous la pression d’un pouvoir acquis au néolibéralisme, le risque est évidemment grand que l’alignement se fasse sur la télé et non sur l’exemplarité de la radio.
Ce parfum d’ORTF, nous le sentons aussi dans les rédactions qui semblent sous pression du pouvoir, de manière plus ou moins indirecte. Entre la suspension à titre conservatoire de Guillaume Meurice et les coups de boutoir annoncés contre plusieurs émissions emblématiques de France Inter – « La terre au carré », finalement sauvée, mais aussi « Des vies françaises », « C’est bientôt demain » ou « La librairie francophone » –, les journalistes de la radio publique s’inquiètent à juste titre d’un « virage éditorial plus large » et d’une reprise en main politique de leur station. La pression de l’extrême droite sur les chaines publiques est elle aussi montée d’un cran, Jordan Bardella étant notamment en croisade contre France Inter. Et si le RN arrivait au pouvoir, hypothèse contre laquelle je compte bien me battre de toutes mes forces, une direction d’un grand groupe France Médias, perméable au pouvoir et à ses caprices, permettrait à l’extrême droite d’avoir une mainmise sur l’ensemble des branches de l’audiovisuel public.
Contre la bollorisation, pour l’esprit public
À mille lieues de ce projet, notre obsession doit être de garantir la meilleure offre sur toutes les chaînes, leur conformité avec l’esprit public, avec les valeurs communes que nous voulons véhiculer. L’urgence, c’est d’en finir avec la « bollorisation » des médias, en luttant pied à pied et par la loi contre la concentration, en empêchant une chaîne comme CNews de pouvoir émettre sur un canal public. Et d’améliorer les conditions de travail des salari.es, de combattre leur précarité. Ce serait une vision progressiste de l’évolution de l’audiovisuel public. Et nous en avons bien besoin.
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