Ayache Benhanis, secrétaire du syndicat CGT des travailleurs sans papiers de l’Isère.
Témoignages de ce qu’une vie sans papiers veut dire. Une assemblée organisée par le syndicat CGT des travailleurs sans papiers a permis l’expression publique de cette réalité d’aujourd’hui, tandis qu’il devient de plus en plus difficile d’obtenir le renouvellement de son titre de séjour, malgré des décennies de travail en toute légalité.
La boule au ventre. L’expression revient dans tous les témoignages. « On ne sait jamais dans quel virage on va croiser un contrôle .» Témoignages de travailleurs immigrés, sans papiers… Ils ne viennent pas de passer les Alpes. Ils vivent et travaillent en France depuis des décennies. Et s’ils sont « sans papiers », c’est qu’ils ne parviennent pas à obtenir le renouvellement de leur titre de séjour, ou tout simplement parce que leur situation est… en attente d’examen.
Et puis, ces derniers temps, les choses ont changé. Ayache Benhanis, secrétaire du syndicat CGT des travailleurs sans papiers de l’Isère, l’explique. « La préfecture demande une autorisation de travail, délivrée par un service du ministère de l’Intérieur, sur demande de l’employeur via un plateforme numérique. Il suffit que le patron ne veuille pas faire cette demande ou n’en ait pas le temps pour que le titre de séjour ne soit pas renouvelé. » Ce moyen utilisé pour mettre des salariés dans l’illégalité n’est pas le seul. Autre exemple : les rendez-vous à la préfecture « doivent être pris par voie numérique et les délais d’instruction atteignent plusieurs mois, voire plus d’un an ». De quoi se retrouver en situation irrégulière par simple « lenteur administrative ».
Des membres du syndicat CGT, des représentants d’associations et de partis politiques, des élus, avaient pris place dans cette assemblée initiée par la CGT le 29 avril à la bourse du travail de Grenoble.
Une situation que vit Walid. Il a fui l’Algérie pour sauver sa vie, menacé par les islamistes. Il travaille en France en CDI comme boulanger depuis 2018. Il demande en mai 2022 l’attribution d’une carte de séjour, après avoir travaillé pendant quatre ans. Ce qu’il obtient à Grenoble. Et la carte est bloquée dans les services du ministère de l’Intérieur sans qu’il sache pourquoi. Une situation irrégulière face au moindre contrôle de police.
Abou travaille en France depuis 24 ans. Ironie du sort, il a participé à la construction de l’immeuble qui abrite aujourd’hui les locaux de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE, devenue depuis DREETS). Refus de renouvellement de son titre de séjour en 2022.
Des situations parfois plus dramatiques encore. A l’exemple de ce que vit Ali, agressé physiquement début avril par son employeur pour avoir demandé une tenue de travail adaptée aux intempéries. Hospitalisation, opération ophtalmologique, traitement chronique… Et une situation qui rend difficile de faire valoir ses droits.
Ou encore Mohamed qui vit en France depuis 1999. Il y a fait des études et obtenu un diplôme à bac+5. Il travaille actuellement comme façadier, pour faire l’isolation des immeubles. Il a toujours été en situation légale. Sauf depuis décembre 2023. Son employeur ne veut pas demander d’autorisation de travail au ministère, considérant qu’un salarié qui travaille, qui reçoit des fiches de paie, qui cotise à la Sécurité sociale, qui est en situation régulière est de fait autorisé à travailler. Comme tout le monde. Mais l’argument n’en est pas un pour les services de l’État, Mohamed est passé, bien malgré lui, dans l’illégalité.
Ces travailleurs « deviennent du jour au lendemain des hommes et des femmes en situation irrégulière, qui n’ont plus le droit de travailler, plus le droit de gagner leur vie honnêtement, plus le droit de bénéficier d’allocations ou d’APL », dénonce Ayache Benhanis. Sans parler de l’humiliation subie par ce travailleur auquel on explique que s’il peut travailler en France, alors il peut aussi le faire en Algérie, et qu’il a tout à fait la possibilité de laisser ses enfants à Grenoble, puisqu’ils y sont scolarisés.
Ce qui a changé aussi, ce sont les dispositions – celles qui n’ont pas été censurées par le Conseil constitutionnel – prises par la loi Darmanin. La loi et ses dispositions de mise en œuvre. Sur la définition des métiers en tension, par exemple, liste qui permet à certains salariés d’obtenir des régularisations. « En Isère, indique Ayache Benhanis, nous sommes dans le flou : la restauration, l’aide à la personne et le nettoyage ne font pas partie de cette liste » établie par la préfecture. Vous avez dit difficultés à recruter ?
Ce qui conduit la CGT à formuler des revendications : retrouver la possibilité d’un dialogue concret avec la préfecture, reconnaissance des accords trouvés en 2009 en Isère sur les régularisations des salariés après dix ans de travail en France, cessation de l’utilisation des obligations de quitter le territoire comme arme de criminalisation des travailleurs sans papiers, liste claire et correspondant aux réalités des métiers en tension, réponse dans des délais raisonnables aux dossiers déposés.
Elisa Martin, députée LFI.
Dans l’assemblée réunie à l’initiative du syndicat CGT des travailleurs sans papiers, de représentants d’associations (la Cisem, la Cimade, Acip-Assado…) et de partis politiques (Le PCF, Ensemble !…) avaient pris place. La parole était également donnée aux élus.
Elisa Martin, députée LFI de l’Isère, témoignait de de son combat à l’Assemblée nationale contre la loi Darmanin, « loi raciste et xénophobe », disait-elle, en rappelant que « nous sommes tous des ‘’mélangés’’, puisque un quart des Français compte au moins un étranger parmi ses grands parents ». Le sénateur Guillaume Gontard (écologiste) soulignait que l’inégalité élevée en principe par la loi Darmanin est contraire aux valeurs républicaines.
Guillaume Gontard, sénateur écologiste.
Au nom de la Cimade, Stéphane Dezalay dénonçait les blocages préfectoraux en soulignant les conséquences humaines du non renouvellement d’un titre de séjour : perte d’un travail, d’un logement, interruption des études…
Stéphane Delazay, pour la Cimade.
Des choix politiques qui relèvent d’une soumission aux exigences de l’extrême droite dont un travailleur sans papier soulignait l’incohérence dans la salle : « nous travaillons, nous pourrions payer des cotisations sociales, nous et les entreprises qui nous emploient, nous pourrions payer des impôts, et notre situation de clandestin nous en empêche ; où est l’intérêt de l’État ? »
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