Depuis
samedi, l’aviation turque bombarde plusieurs villes de la région
d’Efrin, ce canton du nord de la Syrie géré par les Kurdes depuis le
début de la guerre, et qui avait pour l’instant été préservé par tous
les combats qui se sont déroulés dans cette partie du Moyen-Orient. Le
point sur la situation avec Agit Polat, le représentant des relations
extérieures du Conseil démocratique kurde en France. Il est en contact
permanent avec les forces kurdes et les institutions civiles de la
région d’Afrin.
Humanite.fr : Quelle est la situation ce dimanche dans la région d’Afrin ?
Agit Polat : Il y a eu à nouveau 3 attaques de
l’aviation turque sur la région, à Afrin même et aussi dans 3 autres
villes au moins: Djindires, Shérawa et Mabeta. Il y a eu plusieurs
blessés, dont une fillette de 7 ans. Hier, 6 civils ont été tués et il y
a eu 10 blessés, et 3 combattants des YPG ( Unité de protection du
peuple, branche armée du Parti de l’Union démocratique syrien,
organisation politique des Kurdes du Nord de la Syrie, ndlr ) ont été
tués. Le camp de réfugiés de Roubar, qui abrite 20 000 personnes, a été
également la cible de l’aviation turque ce matin. Je viens de parler
avec nos camarades sur place, selon eux, les YPG ont détruit 3 blindés
turcs, car les attaques aériennes de la Turquie, s’accompagnent
d’attaques au sol.
Humanite.fr : Quelles sont précisément les cibles visées par la Turquie dans cette offensive aérienne ?
A.P. Jusqu’à aujourd’hui, on compte plus de 170
cibles visées, parmi lesquelles des positions d’unités combattantes
kurdes. Mais l’aviation opère aussi des tirs au hasard, notamment sur le
centre ville d’Afrin. L’objectif, c’est d’installer la peur dans la
population pour que les gens quittent la ville. Mais Afrin n’a pas connu
d’attaques depuis le début de la guerre en Syrie il y a 5 ans, et les
Kurdes ont eu le temps de se préparer.
Humanite.fr : Est-ce que d’autres forces militaires interviennent à l’heure dans le région d’Afrin ?
A.P. Oui, au sol, il y a des djihadistes
anciennement d’al-Nosra, ils s’appellent aujourd’hui Fatah al-Cham,
c’est la Turquie les a fait changer de nom. Ils sont positionnés au Sud
d’Afrin et ils ont tenté des attaques, mais les YPG les ont repoussés.
Au sol, il y a également des attaques de l’armée turque installée au
nord et à l’est de la ville, et qui dispose d’artillerie et de blindés. A
l’heure actuelle, il y a 3 fronts autour d’Afrin : au nord, au sud, et à
l’est. Leur objectif, c’est d’entrer dans la ville et d’en chasser la
population.
Humanite.fr : Comment est organisée la défense côté Kurdes ?
A.P. Elle est très bien préparée parce qu’elle est
en place depuis plusieurs années. Il y a des ateliers de munitions, et
les YPG disposent d’artillerie lourde. Selon nos camarades sur place, ce
sont les Kurdes qui ont actuellement l’initiative, l’armée turque n’a
pas gagné de terrain. Nous sommes dans une zone montagneuse, les
combattants kurdes sont bien installés, la seule possibilité qu’ont les
Turcs, c’est d’employer l’aviation.
Humanite.fr : De nombreux pays sont
impliqués dans la guerre en Syrie. Comment réagissent-ils à cette
attaque de la Turquie, sur le territoire syrien, contre les Kurdes ?
A.P. Selon l’accord qui a été passé entre les
Russes et les Etats-Unis, les Américains contrôlent les territoires
situés à l’est de l’Euphrate, et les Russes, ce qui est à l’ouest, dont
le canton d’Afrin, qui en fait partie. Pour que la Turquie puisse
intervenir militairement dans cette région, il a donc fallu l’accord de
la Russie. Nous considérons que la Russie est complice d’Erdogan dans
cette attaque qui va déstabiliser toute a région.
Humanite.fr : Sur quels alliés peuvent compter aujourd’hui les Kurdes ?
A.P. Avant tout, les Kurdes comptent sur
eux-mêmes, et cela depuis des années. Jusqu’à maintenant, nous avions en
principe le soutien des Etats-Unis, mais depuis 48 heures, nous
subissons une attaque et il n’y a aucune déclaration consistante de leur
part. Même chose pour la Russie qui en principe n’était pas opposée aux
Kurdes, mais eux aussi se taisent. Nous demandons que ces deux grandes
puissances interviennent pour faire cesser cette attaque. C’est une
guerre, ce qui se passe dans la région d’Afrin n’est pas normal.
Humanite.fr : Quelle est la réaction côté syrien ?
A.P. Avant l’attaque de la Turquie, la Syrie avait
dit qu’elle détruirait tous les avions qui pénétreraient dans son
espace aérien. Mais elle n’intervient pas contre l’aviation turque, et
pour l’instant, elle ne fournit aucune explication.
Humanite.fr : Et ailleurs dans le monde ?
A.P. Il y a peu de réactions officielles précises
de la part des Etats. Nous avons fait appel aux Nations-Unies. Nous
pensons également que la France peut jouer un rôle en Syrie. La France
pourrait soutenir les Kurdes qui proposent d’être une force de stabilité
dans la région. Les Britanniques ont dit que la Turquie défendait ses
intérêts, c’est inacceptable. Jamais un combattant kurde d’Efrin n’a
franchi la frontière de la Turquie.
En revanche, beaucoup de personnes se sont mobilisées à travers le
monde pour dénoncer l’attaque de la Turquie contre la région d’Efrin.
Depuis 48 heures, il y a eu des manifestations dans 27 pays, en Europe,
au Canada, en Australie, au Japon, aux Etats-Unis, etc… Hier, il y a eu
une manifestation devant l’ambassade de Russie à Paris. En Turquie, le
HDP ( Parti démocratique des peuples ) a également appelé à la
mobilisation générale des mouvements kurdes.
C’est très important que les citoyens se mobilisent dans le monde.
Les Kurdes ont combattu Daesh et à ce moment là, nous avions un
soutien mondial, tous les pays prétendaient être nos alliés parce qu’ils
avaient besoin de nous. Aujourd’hui, nous sommes lâchés par les pays
occidentaux. Ils observent les attaques contre Afrin, mais c’est le
silence total, ils ne font rien.
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