Sollicités par Macron pour l’organisation du « grand débat national », après avoir éte superbement ignorés par l’élysée durant dix-huit mois, les maires, usés, sont méfiants. D’autant que le malaise couve depuis bien plus longtemps.
Et Macron découvrit les élus locaux… Pris de court par une révolte sourde et soudaine qui s’est levée partout en France et notamment sur les ronds-points, voilà le président forcé à se tourner vers ceux pour lesquels il affichait jusqu’alors le plus superbe mépris. Il n’avait pas daigné se déplacer au congrès des maires de France, organisé par l’AMF (Association des maires de France) du 20 au 22 novembre dernier, malgré sa promesse formulée l’année précédente.
Si Edouard Philippe a daigné se rendre au congrès de l'AMF du 20 au 22 novembre 2018, Emmanuel macron, malgré ses promesses, n'a pas fait le déplacement.
Mi-octobre, l’épisode « Balance ton maire » a révolté nombre d’élus locaux : plusieurs membres de LaREM avaient lancé ce mot d’ordre sur Twitter pour vouer aux gémonies les maires qui répercutaient sur les impôts locaux la baisse de la taxe d’habitation… alors qu’ils n’avaient aucun autre moyen de garder un budget à l’équilibre, comme ils y sont tenus par la loi. Puis les épisodes des gilets jaunes ont tout changé, et voici qu’Emmanuel Macron a sorti de sa manche un « grand débat national » qui se tiendra dès le début de l’année, et pour une période de trois mois. Et voici que le couple exécutif passe la pommade, pour faire des maires « les interlocuteurs naturels des citoyens », ceux qui « portent la République sur le terrain » (Macron), quand Édouard Philippe, moins lyrique, estimait qu’« il leur reviendra s’ils le souhaitent de participer à l’organisation de ce débat dans leur commune ». Les maires sont les seuls élus politiques à bénéficier encore de la confiance des citoyens : 53 % des Français leur font confiance, contre 33 % à l’institution présidentielle et 29 % aux députés, selon le dernier baromètre Cevipof (janvier 2018). Si l’AMF a officiellement réagi favorablement à la demande en précisant que les maires sont « disponibles et peuvent faciliter le dialogue », il paraît évident que le fil est distendu plus nettement entre l’État et les élus locaux. L’AMF estime d’ailleurs que les maires « prennent leur part depuis longtemps » dans le dialogue avec les Français, une façon de rappeler, en creux, que l’exécutif découvre ce rôle. Et ils ne sont pas disposés à jouer les faire-valoir d’un débat qui semble tenir d’une opération de communication : le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a d’ores et déjà exclu un changement de politique à l’issue du grand débat. Or l’AMF précise bien la part de responsabilité gouvernementale, rappelant qu’elle « a fait part de longue date de ses réserves sur les décisions (…) telles que la diminution des APL, la diminution drastique des emplois aidés, l’affaiblissement du rôle de la commune » ou bien encore « le retrait de services de l’État ».
« mairie ouverte »
Même son de cloche pour la présidente de l’association Villes de France (ex-Fédération des villes moyennes, qui regroupe ces villes et les intercommunalités hors métropoles), Caroline Cayeux, qui exhorte elle aussi le gouvernement à écouter. Elle interpelle le président en ces termes : « Les maires peuvent (vraiment) vous aider » face à ce qu’elle identifie comme la « fracture sociale », notamment des gilets jaunes, qualifiés de « femmes et hommes au bord de la rupture ». De son côté, l’Association des maires ruraux de France (AMRF), dont les membres sont les premiers concernés par la crise sociale qui touche le territoire français, a dès le 8 décembre lancé l’opération « mairie ouverte », afin de recueillir les doléances des Français. Un franc succès qui trouve sa prolongation sur le Net, où tout citoyen est invité à formuler doléances et propositions (1).
Mais le malaise des maires, à l’instar de celui de la population et de ce qu’on nomme aujourd’hui « les territoires », est plus profond : à l’occasion du congrès de novembre, une grande étude menée par le Cevipof tirait la sonnette d’alarme. Alors que les élections municipales de 2014 ont vu un renouvellement sans précédent avec 40 % de nouveaux maires, ils sont aujourd’hui 49 % à ne pas vouloir se représenter : un record. Les raisons de ce malaise sont multiples : la première tient au caractère chronophage de la fonction, notamment pour les petites communes : 71 % des maires qui ne comptent pas se représenter veulent se « concentrer sur (leur) vie personnelle et familiale ». 52 % estiment d’ailleurs qu’ils ont « rempli (leur) devoir civique ». Viennent ensuite les raisons plus politiques : 37 % éprouvent des « difficultés à satisfaire les demandes de (leurs) administrés », 34 % jugent qu’ils n’ont « pas ou plus les moyens financiers de (leur) action », et 15 % mettent en avant le manque de personnel. En filigrane, on lit le sentiment de dépossession, la faiblesse des moyens après les multiples coups de rabot aux collectivités, mais également les relations dégradées avec les habitants, qui considèrent de plus en plus les maires et les élus de façon générale comme des « prestataires de services », sur fond d’individualisme et d’intérêt particulier.
A Creil, dans l'Oise, en bataille rangée contre la fermeture de la maternité. L'un des défis des élus : préserver des soins de proximité.
désertification galopante
Sur le terrain, les problèmes sont multiples : aménagement du territoire abandonné par l’État au profit des multinationales, désertification médicale, recul des services publics, forte pression immobilière, regroupement des intercommunalités à marche forcée, changement profond de la sociologie des villes : étalement urbain et modèle de la banlieue pavillonnaire qui produit de la relégation territoriale. Le taux de vacance commerciale, par exemple, est passé de 7,2 % en 2012 à 11,7 % en 2017 (selon une étude du cabinet Procos), touchant surtout les villes petites et moyennes : le gouvernement, via le ministère de la Cohésion des territoires, a lancé un plan « action cœur de ville » pour revitaliser les centres-villes. Ce sont d’ailleurs les maires de ces villes-là qui sont le plus touchés par le découragement : 55 % des élus des communes de moins de 500 habitants ne veulent pas se représenter, contre 28 % pour les villes de 5 000 à 10 000 habitants, et seulement 8 % des villes de plus de 30 000 habitants. Des chiffres qui mettent en exergue la dépossession de leurs prérogatives au profit des intercommunalités et plus encore des métropoles : 80 % des élus considèrent que leur « interco » a beaucoup d’influence sur leur commune mais l’inverse n’est vrai que pour 25 % d’entre eux : il s’agit souvent des maires des villes-centres qui ont précisément absorbé les compétences et les budgets des communes alentour. Une conséquence directe de la loi Notre, adoptée en 2015 par la majorité socialiste de l’époque : les griefs formulés alors se sont révélés justes, à savoir une remise en cause du rôle de la commune et un éloignement des maires vis-à-vis des citoyens. Au fond, c’est ce bouleversement de l’organisation territoriale héritée de la Révolution française, basée sur la commune et le département, qui tient une place centrale dans le malaise des maires. Et il faudra bien plus qu’un grand débat national pour remédier à cette crise profonde.
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