La colère des enseignants s’exprime à présent via le mouvement des « stylos rouges », né sur Facebook. Il rassemble aujourd’hui plus de 45 000 professeurs déterminés à se faire entendre… et respecter.
C’est l’allocution d’Emmanuel Macron le 10 décembre qui a tout déclenché. Alors que le président de la République égrène les mesures avec lesquelles il espère éteindre le mouvement des gilets jaunes, des centaines de milliers d’oreilles attentives l’écoutent. Et attendent qu’il leur parle aussi, à eux, les enseignants. Les plus mal payés d’Europe, celles et ceux dont les rémunérations n’avancent plus – donc régressent – depuis des années, qui exercent dans des conditions toujours plus difficiles, qui mesurent le hiatus grandissant entre leur mission, leur vocation et la réalité du métier ; qui s’estiment déconsidérés, dénigrés, ni écoutés, ni entendus par leur hiérarchie, à commencer par le ministre qui la chapeaute, même quand ils font grève ou manifestent.
« Le groupe sert de soupape et de lieu d’échange »
Mais rien ne vient. Rien ! Pas même un mot, une allusion. Comme s’ils n’existaient pas… Dès le lendemain, l’un d’entre eux écrit sa colère – sur Facebook, parce que, quoique certains disent, les professeurs vivent sur la même planète que tout le monde. Son post reçoit aussitôt des centaines de commentaires. 24 heures de plus et une poignée d’entre eux décide de créer un groupe dédié sur le réseau social. « On se connaissait seulement par Facebook, explique Sam, jeune professeur des écoles en Seine-Saint-Denis et l’un des six administrateurs du groupe, mais on s’est rendu compte que tout le monde disait la même chose, que ce qu’il avait annoncé revenait à dire que c’était encore à nous de faire un effort alors que nos conditions de travail se dégradent de plus en plus. »
C’est une traînée de poudre. Au groupe s’est vite adjoint un compte Twitter. Un site doit être créé dans les jours à venir. Surtout, trois semaines après sa création et alors qu’on n’y est admis que sur inscription, le groupe compte déjà plus de 45 000 membres. Rapporté aux quelque 880 000 enseignants employés par l’éducation nationale, le chiffre prend un poids certain. « Le groupe sert de soupape et de lieu d’échange » précise Sam. Un « manifeste » y a été élaboré – encore provisoire, car il doit être soumis à l’approbation des membres. En trois grandes sections – « Revalorisation de notre métier », « Exiger une vraie bienveillance de l’État pour ses élèves » et « Reconnaître la qualité de notre fonction et de notre travail » – , il fait le point des principales revendications.
Les « stylos rouges » manifestent leur attachement à l’équité
Au premier rang de celles-ci, le dégel du point d’indice (dont la valeur détermine le salaire), bloqué depuis des années avec pour conséquence une perte considérable de pouvoir d’achat : « En 1981, explique Sam, un professeur gagnait en moyenne deux fois le Smic. Aujourd’hui, c’est tombé à 1,5 fois. Et ce n’est pas normal de commencer à 1 495 euros par mois quand on arrive avec un bac +5 ! Une revalorisation significative de notre métier doit passer par le salaire. »
À cette exigence essentielle s’en ajoutent bien d’autres. Certaines sont déjà bien connues comme la suppression des réformes en cours, y compris sur les retraites, la limitation des effectifs à 24 élèves en primaire comme dans le secondaire et l’arrêt des suppressions de postes ; d’autre paraissent plus originales comme la création d’une médecine du travail ou, dans le primaire, la fin des « inégalités d’une école à l’autre » dues au financement par les collectivités locales. Certaines traduisent une des spécificités du mouvement : sa grande transversalité. Indifféremment professeurs dans le premier ou le second degré, titulaires ou précaires, directeurs d’école, les « stylos rouges » manifestent leur attachement à l’équité.
« Ce qu’on réclame, ce sont des choses que les syndicats disent depuis longtemps ! » reconnaît Sam. La porte-parole du Snuipp-FSU (premier syndicat du primaire), Francette Popineau, le confirme : « Il n’y a pas de contradiction entre les “stylos rouges” et les syndicats. » Les deux s’accordent pour pointer la responsabilité du pouvoir. « C’est le ministère qui n’écoute pas les syndicats et nous oblige à trouver d’autres voies pour nous faire entendre », analyse Sam. « C’est eux qui fabriquent ce ressentiment », renchérit Francette Popineau, qui elle aussi a « très mal vécu » l’allocution présidentielle du 10 décembre. Pour le moment, syndicats et « stylos rouges » n’ont pas discuté. Même si les seconds préparent pour l’instant « des actions » de leur côté, ni les uns ni les autres ne s’opposent à une rencontre. Pour le ministre, la note pourrait être sévère.
Olivier Chartrain
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