Avec l’entrée en vigueur, hier, du nouveau mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu, les syndicats craignent des dysfonctionnements et un afflux de demandes auxquels les agents ne pourront faire face dans les délais annoncés.
Le grand chamboule-tout a commencé. Depuis hier, salaires, pensions, allocations… seront rabotés en fonction du taux que l’administration fiscale a transmis aux 37 millions de foyers fiscaux concernés en avril et mai dernier. Le prélèvement à la source, déjà reporté une première fois, est désormais en marche. En marche forcée même. Et si le grand bug n’aura pas lieu, les agents des finances publiques « mal préparés », « peu entendus » s’attendent à une ruée massive vers les centres des impôts. Des formations sont encore programmées le 7 janvier pour les agents d’accueil, note ainsi la CGT, dans son communiqué. « Le climat n’est pas serein. Les collègues sont stressés », confie Anne Guyot Welke, de Solidaires finances publiques. « Le moindre imprévu peut provoquer des mises en danger des collègues », ajoute Helène Guerra, de la CGT. Avec 2 130 postes supprimés en 2019 qui s’ajoutent à plus de 30 000 en vingt ans, les syndicats craignent de ne pas être en mesure de répondre.
Les problèmes risquent de se poser dès aujourd’hui, puis, le 9 janvier, lorsque les premiers prélèvements auront lieu sur les retraites de base et complémentaires, et aussi sur les allocations chômage. D’autant que les contribuables dont la situation familiale a depuis changé ou qui souhaitent moduler leur taux en fonction d’une évolution de revenus peuvent le faire à partir du 2 janvier sur Internet ou en se rendant à leur centre de finances publiques. Des modifications qui ne seront prises en compte qu’avec un délai par les entreprises.
Viendra ensuite le tour de ceux bénéficiant de crédits et réductions d’impôts pour l’emploi d’un salarié à domicile, les gardes d’enfant, les dépenses de dépendance, l’investissement locatif, les dons aux œuvres et les cotisations syndicales. Ces derniers devraient recevoir mi-janvier un acompte de 60 %. À condition qu’ils les aient bien préalablement déclarés sur leurs revenus de 2017. Le solde sera ensuite versé en septembre 2019, après la déclaration de revenus de 2018 effectuée en avril ou juin 2019. Enfin, ce sera au tour des salariés d’être prélevés directement par l’employeur et de voir apparaître la mensualisation de son impôt sur le revenu sur la fiche de paie au même titre que les cotisations sociales.
Les contribuables devront malgré tout continuer de déclarer
Bref, la simplicité la plus totale. D’autant que le prélèvement à la source ne signifie pas la fin des démarches administratives. Les contribuables devront ainsi continuer de déclarer, chaque année, au printemps, leurs revenus à l’administration. Cette démarche permettra d’actualiser le taux de prélèvement, mais aussi d’intégrer les crédits d’impôt et revenus exceptionnels, pour que le fisc puisse rembourser les « trop-perçus » ou réclamer les impôts manquants.
Même si, pour le ministre des Comptes publics, le prélèvement à la source « n’est rien d’extraordinaire, juste une ligne de plus sur le bulletin de paie comme les cotisations sociales – et les entreprises collectent déjà la CSG ou la TVA ». Gérald Darmanin assurant que, depuis trois mois, « l’application du taux de prélèvement à la source a été testée sur 8 millions de bulletins de salaire, sans bug ».
Une communication « hors-sol » qui agace les syndicats. Des bugs, « il y en aura et ils ne seront pas corrigés en temps et en heure », assure Hélène Fauvel, du syndicat FO, contrairement à ce que promet le ministre des Comptes publics, qui évoque un délai de deux mois pour régulariser les situations de trop-perçu en cas d’erreur dans le taux appliqué. « Lors du premier prélèvement à la source, les contribuables vont devoir faire attention à ce que ce soit le bon taux d’imposition qui soit prélevé. Il n’est pas impossible qu’il y ait des erreurs », pointe Alexandre Derigny, secrétaire général de la CGT finances publiques, qui invite les contribuables à bien vérifier leurs bulletins de pension et fiches de paie. Lui non plus ne juge pas « plausible » le délai de régularisation promis par le gouvernement. « L’État a amputé trop d’emplois pour que nous puissions répondre correctement aux sollicitations. Mais il y a aussi des raisons techniques : il y a des évolutions dont on ne peut préjuger six mois à l’avance. La vie privée est aujourd’hui moins stable qu’avant : les séparations et les familles recomposées sont plus courantes. Les carrières professionnelles sont moins linéaires : il faut que le contribuable signale et vérifie bien tout changement au quotidien », souligne le syndicaliste CGT.
D’autant que les dernières mesures annoncées par le président de la République pour tenter d’éteindre l’incendie social, comme la défiscalisation des heures supplémentaires, devraient rajouter à la complexité de ce qui ressemble déjà fortement à une usine à gaz. La DGFIP (Direction générale des finances publiques) assure s’être mise en ordre de bataille. La consigne a ainsi été donnée aux agents de ne pas prendre de congés début 2019. « Il faut que tout le monde soit sur le pont à ce moment-là », assume la DGFIP. Cinquante-six CDD vont également être embauchés, formés et déployés sur le terrain, avant la fin de l’année, pour faire face à l’afflux de demandes des contribuables. « Mais le recours à des contractuels qui sont embauchés pour trois mois sur une plateforme téléphonique ne va pas suffire », souligne Alexandre Derigny, qui redoute que les problèmes rencontrés par les usagers et leurs sollicitations des agents du Trésor public ne soient pas que temporaires.
Autre source d’inquiétude pour les syndicats : l’utilisation des informations fiscales désormais collectées et transmises par les employeurs. « Même si ceux-ci n’ont pas accès aux autres éléments de rémunération de leurs employés, s’ils voient que le taux appliqué à un salarié est supérieur à ce qu’il devrait être en ne tenant compte que du salaire, ils pourront en déduire que celui-ci a des revenus annexes importants. Et cela peut jouer dans la négociation d’une augmentation individuelle, par exemple », explique Alexandre Derigny. Pour remédier à cela, les salariés ont certes la possibilité de demander un prélèvement à taux neutre, pour que leur employeur n’ait pas connaissance de ce taux, ou à une individualisation des impôts pour que la rémunération du conjoint ne rentre pas en ligne de compte, mais la CGT estime que ces possibilités n’ont pas été suffisamment publicisées ni expliquées à l’ensemble des contribuables.
Mais peu importe. Car, pour le gouvernement, l’impératif est budgétaire. Il s’agit, en effet, avec cette réforme d’obtenir des recettes supplémentaires pour l’année 2019. Selon la CGT, le prélèvement à la source permettra de récolter un milliard de recettes fiscales supplémentaires en 2019 « liées au fait que les revenus augmentent d’une année sur l’autre et parce que les changements de situation personnelle ne seront pas tous signalés à la DGFIP ». Un gain qui pourrait pourtant basculer en perte dès l’an prochain. Car si le gouvernement espère faire passer de 98 % à 99 % le taux de recouvrement, les syndicats font part de « fortes inquiétudes sur les recettes », estimant que le taux de collecte sera plus proche de celui de la TVA à 70 %.
le risque pour le gouvernement est avant tout politique.
La Cour des comptes a, de son côté, estimé cet été que la bascule vers le prélèvement à la source pouvait créer un risque de 2 milliards d’euros pour les caisses de l’État. Une incertitude relativisée par les magistrats financiers, qui estiment que le nouveau dispositif pourrait aussi profiter aux finances publiques… Mais le risque pour le gouvernement est avant tout politique. En plein mouvement des gilets jaunes, le choc psychologique sur les contribuables français concernés pourrait raviver la colère contre l’injustice fiscale.
Clotilde Mathieu, avec Loan Nguyen
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