Je suis, vous le savez, favorable à la relance de la filière nucléaire – pas par idéologie et certainement pas par amour, mais parce que je veux préserver le climat. J’y suis favorable parce que notre pays a besoin d’une énergie sûre, pilotable et décarbonée, garante de notre souveraineté énergétique et industrielle. Je le suis parce que j’ai confiance dans notre sûreté nucléaire et dans les personnels qui réalisent un travail exceptionnel, confiance dans le système dual qui, depuis plus de quarante ans, permet à la France d’être le pays le plus nucléarisé au monde sans risquer d’incident. Je suis pronucléaire parce que j’ai confiance dans l’ASN et l’IRSN.
Notre pays a construit, du plan Messmer à aujourd’hui, un modèle unique qui s’est inspiré des catastrophes du passé et du présent, avec un haut degré d’exigence dans le traitement des retours d’expérience. Ce modèle a, dès l’origine, cherché à maintenir une séparation étanche entre l’expertise et la décision, en préservant deux entités – non par goût du doublon ou de la dépense budgétaire, mais parce que « démontrer la sûreté, c’est confronter des doutes ».
Ce modèle, organisé autour de l’ASN et de l’IRSN, a su au fil des années intégrer la participation du public et garantir la transparence de l’information, notamment grâce aux commissions locales d’information (CLI), dans lesquelles j’ai siégé pendant de nombreuses années. Il a été à la pointe de la recherche scientifique, questionnant les pratiques de l’exploitant, allant plus loin que les recommandations usuelles et permettant de débattre sereinement, dans un échange démocratique, de la place d’une telle technologie et des risques que nous sommes prêts à prendre. Ce modèle, on nous l’envie, ainsi que cela a déjà été dit. Personne, aucune institution française ou internationale, de la Cour des comptes aux comités les plus spécialisés, n’a remis en cause son existence ou son efficacité.
Pourtant, depuis un an désormais, nous assistons à un triste feuilleton, qu’on pourrait qualifier de comique si le sujet n’était pas si sérieux. Nous discutons d’un projet de réforme sans motifs ni justifications, décidé par un fait du Prince dans le silence du Conseil de politique nucléaire. Un projet de réforme géante que ni le rapporteur ni le ministre – que je ne souhaite d’ailleurs pas blâmer – ne savent réellement justifier. Aux « pourquoi ? » ne répondent que des éléments de langage peu convaincus et peu convaincants.
Lorsque le projet de réforme est apparu, par le biais d’un amendement, pas même une étude d’impact ne l’accompagnait. Nous l’avons rejeté. Et maintenant, alors que le rapport à l’origine de cette réforme reste secret, opaque, nous devrions l’accepter ? On nous demande de voter à l’aveugle, de signer un chèque en blanc ; de voter une réforme contestée par tous, des anciens présidents de l’Opecst aux organisations syndicales des deux organismes concernés en passant par des associations de consommateurs ; de voter une réforme et de céder au chantage à la relance du nucléaire ; de voter pour aller plus vite, pour être plus efficace.
Chez vous, les libéraux, amoureux de l’agilité disruptive, casser ce qui marche pour aller plus vite, pour uniformiser, ressemble à une obsession pathologique.
Casser notre modèle de sûreté en pleine relance de la filière nucléaire, alors que la charge de travail est inédite pour les personnels et que les défis de recrutement font peser sur toute l’industrie de l’énergie une pression sans précédent. Casser, enfin, en pleine période de confiance du pays dans l’énergie nucléaire, un modèle qui rassure et dont nos concitoyens savent qu’il n’est pas synonyme de complaisance.
Il y a dans cette réforme tous les ingrédients du fiasco : un manque de travail, une absence de justifications, des motifs de désorganisation des personnels responsables de notre sécurité collective et, surtout, l’envie, pour le chef de l’État, de transformer notre système de sûreté nucléaire en un grand accompagnateur du business de l’énergie. Il y a aussi des intentions inavouables d’économies budgétaires. Les ressources de l’IRSN ont baissé de près de 10 % en dix ans et la fusion avec l’ASN pourrait faire courir le risque de nouvelles coupes. Cela serait dangereux, au moment où l’IRSN connaît une vague de départs et où l’ASN peine à recruter.
Je n’irai pas jusqu’à dire que vous êtes fous de défendre une telle réforme à un tel moment. Je dirai simplement que vous êtes inconscients. Désorganiser le système actuel ne manquerait pas d’accroître les retards dans l’instruction des dossiers, le risque de passer à côté de failles et le sentiment antinucléaire dans le pays.
Monsieur le ministre – j’en terminerai par là pour écourter mon propos –, vous devriez vous inquiéter quand des personnes attachées à la relance de la filière nucléaire, comme Saint-Huile ou moi-même, vous disent leurs doutes sur l’efficacité de cette réforme. Écoutez ceux qui doutent : la sûreté a besoin de dualité, de confrontations, de débats. En matière nucléaire, la démontrer, c’est douter, et non être assertif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
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