jeudi 9 décembre 2010

« On a mis la médecine du travail sous la tutelle du patronat »

Où va la médecine du travail ? Comment lutter contre la remise en cause permanente de l’indépendance des médecins du travail ? Comment faire face à la souffrance croissante des salariés ? Des questions que se posent depuis 20 ans une dizaine de médecins de l’Ain. Leur vision, sans concession, est résumée dans un ouvrage, La santé au travail en France : un immense gâchis humain. Entretien avec Odile Chapuis, médecin du travail, membre de ce collectif d’insoumis.

Vous dites, dans votre ouvrage, que dans le domaine de la santé au travail, le jeu social français est gangréné par l’hypocrisie. Pourquoi ? 

La médecine du travail, appelée désormais Service de Santé au Travail (SST) a toujours été le fruit d’un compromis de la société. On a mis ce service sous la tutelle du patronat ! Ce qui est quand même incroyable ! C’est un peu comme si on confiait la douane à un contrebandier. Le directeur de mon service, par exemple, fait partie de la direction du Medef du département. Quand je dis ça aux gens qui ne connaissent pas le fonctionnement de la médecine du travail, ça les fait rire ! Nous n’avons pas l’indépendance nécessaire à l’esprit critique et à l’analyse des dysfonctionnements du monde du travail.
Vous avez pourtant réussi, au sein de votre collectif, à souligner ces dysfonctionnements...
Nous avons tenté d’alerter, à maintes reprises, depuis plus de 15 ans ! Mais nous avons toujours été traités d’extrémistes, de gauchistes, etc., alors que, chiffres en mains, les résultats sont parmi les plus mauvais en Europe. Pour ce qui concerne les inégalités sociales de santé en rapport avec le travail, nous sommes même les meilleurs ! De même pour le harcèlement. Qui le sait ? Qui le dit ? On est encore trop souvent dans la banalisation. La preuve : le gouvernement a essayé de faire passer la réforme de la médecine du travail discrètement, parmi la réforme du système des retraites.

Mais le Conseil constitutionnel a refusé que les deux questions soient traitées dans la même loi. 
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