samedi 30 mars 2013

Fascisme ou communisme : l'alternative est de retour

Par Alain Badiou
Que se passe-t-il, en temps de crise économique, du côté de ceux qui en subissent de plein fouet les conséquences : le monde ouvrier et plus généralement celui des salariés en bas de l'échelle ? Fondamentalement, il se passe qu'il devient impossible d'assurer, à leur avantage relatif, la continuation d'une politique «sociale». Non seulement de vives pressions s'exercent afin que les salaires réels stagnent ou diminuent ; non seulement s'installe un chômage de masse, mais on assiste au démantèlement progressif des protections sociales.

Tout cela peut se résumer en une phrase : il n'y a pas la moindre marge de manœuvre pour rallier les ouvriers et les employés au système économico-politique existant par l'attraction d'une politique sociale, d'une politique «de gauche». La possibilité d'une redistribution d'une petite partie des profits du capital aux salariés - certes toujours parcimonieuse, mais dans certaines circonstances suffisante pour que les peuples des grands pays développés acceptent le consensus autour du capitalisme impérial rénové - se trouve, en temps de crise, pratiquement réduite à néant.

Alors, faute de ce que Pasolini appelle «l'humble corruption», qui est la résignation au pouvoir existant achetée par une maigre redistribution «sociale», les ouvriers et salariés du bas de l'échelle, ce qu'on peut appeler les larges masses populaires, ne peuvent plus être ralliés que par des idées. C'est là sans doute l'effet le plus singulier des crises : elles exigent l'idée politique comme substitut à l'humble corruption. Or, des idées, dans ce domaine, et dès lors que l'idée «démocratique» ordinaire est hors jeu, il n'y en a en définitive que deux : l'idée identitaire et l'idée égalitaire.
 
Aller à la racine
L'idée identitaire consiste à désigner un «autre» intérieur comme responsable du blocage général de la redistribution, et donc du chômage et de la pauvreté. Ce fut, comme on sait, le juif autrefois, ou le métèque d'Europe centrale. C'est aujourd'hui, chez nous, l'étranger venu d'Afrique, l'Arabe, le Noir, le musulman. Dotés d'une collection d'attributs négatifs, constituant en outre une sorte de noyau dur du monde ouvrier, chose toujours dangereuse, ces personnages idéaux sont ce contre quoi, et avec violence, peut se reconstituer un consensus provisoire. Il se fera autour de quelques aventuriers politiques avec lesquels les vraies puissances - celles qui gèrent le capital - tenteront de négocier un nouveau consensus forcé, dans le cadre d'un Etat autoritaire. On se préparera inévitablement à la guerre, en commençant par celle qui existe déjà : la «guerre contre le terrorisme».
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