Historien spécialiste de Jaurès, du
mouvement ouvrier et du mouvement socialiste, Alain Boscus analyse les liens
féconds qui ont uni le leader socialiste aux syndicalistes révolutionnaires. Il
interviendra sur cette question le 17 juin prochain lors de l'initiative
proposée par l'Institut CGT d'histoire sociale et « l'Humanité » à Montreuil
(1).
Si les liens de Jean Jaurès avec le mouvement ouvrier sont
bien antérieurs, les premières années du XXe siècle marquent un tournant dans
son engagement en faveur du syndicalisme ouvrier et du socialisme. Quels sont
les événements politiques et sociaux qui conduisent à cette évolution ?
Alain Boscus : La pensée et l'action de Jaurès n'ont rien
d'un bloc monolithique qui, sur trente ans, n'aurait pas bougé. Sur des
questions décisives comme la guerre, le rapport à l'Etat, les alliances
politiques ou encore la question ouvrière, son analyse et ses positions
évoluent. Lorsqu'il entre en socialisme comme leader militant à partir de son
élection à Carmaux en janvier 1893, à l'issue de la grève à but politique des
mineurs de ce bassin, il comprend toute l'importance des liens entre question
sociale, pouvoir économique et conservatisme républicain. Sa conviction est
faite : la question sociale ne se réglera que par la propriété sociale et
l'intervention des classes populaires.
Or, lorsqu'il entre en socialisme, le mouvement ouvrier n'est
pas celui de 1906. Le syndicalisme est un magma de regroupements partiellement
fédérés. Le syndicalisme révolutionnaire en tant que tel n'existe pas. Il
s’autonomise et se structure véritablement autour de 1900, après une période de
tâtonnements marquée, entre autres, par la multiplication des groupes de base
et le développement de leur force, puis par la lutte des verriers de Carmaux et
la constitution de la Verrerie ouvrière d’Albi. Le mouvement ouvrier s'organise
fortement ensuite. La fédération des Bourses a rejoint la CGT en 1902 et
celle-ci adopte en 1906 la fameuse Charte d'Amiens qui affirme l'autonomie du
mouvement ouvrier et syndical, mais aussi la volonté d'être créatif dans le
cadre de la transformation sociale, à côté des groupements existants,
socialistes, anarchistes, coopératifs ou autres.
On observe justement dans la vie politique de Jaurès et du
socialisme un « tournant global », aux alentours de 1905-1906 ; la vie
politique elle-même a été auparavant secouée de scansions particulières auxquelles
Jaurès a été directement mêlé. Lors du très grave épisode politique de
l'affaire Dreyfus qui a divisé les socialistes, il fut un des principaux
dreyfusards, permettant à une partie du mouvement ouvrier de s'inscrire dans
cette dynamique et favorisant ainsi la sauvegarde de la République. Cette
période marque aussi un tournant politique avec l'arrivée de la gauche au
pouvoir. Non pas la gauche socialiste, mais la gauche radicale qui possède
alors un programme de gauche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire